Citations de Comité invisible (82)
Il n'y a pas de « question de l'immigration ». Qui grandit encore là où il est né ? Qui habite là où il a grandi ? Qui travaille là où il habite ? Qui vit là où vivaient ses ancêtres ? Et de qui sont ils, les enfants de cette époque, de la télé ou de leurs parents ? La vérité, c'est que nous avons été arrachés en masse à toute appartenance, que nous ne sommes plus de nulle part, et qu'il résulte de cela, en même temps qu'une inédite disposition au tourisme, une indéniable souffrance.
Deuxième cercle : « Le divertissement est un besoin vital ».
— Qu’est-ce qu’un millier d’économistes du FMI gisant au fond de la mer ?
— Un bon début.
[...] il n’y a pas de « question de l’immigration ». Qui grandit encore là où il est né ? Qui habite là où il a grandi? Qui travaille là où il habite? Qui vit là où vivaient ses ancêtres ? Et de qui sont-ils, les enfants de cette époque, de la télé ou de leurs parents ? La vérité, c’est que nous avons été arrachés en masse à toute appartenance, que nous ne sommes plus de nulle part, et qu’il résulte de cela, en même temps qu’une inédite disposition au tourisme, une indéniable souffrance. Notre histoire est celle des colonisations, des migrations, des guerres, des exils, de la destruction de tous les enracinements. C’est l’histoire de tout ce qui a fait de nous des étrangers dans ce monde, des invités dans notre propre famille. Nous avons été expropriés de notre langue par l’enseignement, de nos chansons par la variété, de nos chairs par la pornographie de masse, de notre ville par la police, de nos amis par le salariat. p.19-20
Là où la seule expérience commune est la séparation, on n'entendra que le langage informe de la vie séparée.
La confusion des sentiments qui entoure la question du travail peut s'expliquer ainsi : la notion de travail a toujours recouvert deux dimensions contradictoires : une dimension d'exploitation et une dimension de participation. Exploitation de la force de travail individuelle et collective par l'appropriation privée ou sociale de la plus-value; participation à une œuvre commune par les liens qui se tissent entre ceux qui coopèrent au sein de l'univers de la production. Ces deux dimensions sont vicieusement confondues dans la notion de travail, ce qui explique l'indifférence des travailleurs, en fin de compte, à la rhétorique marxiste, qui dénie la dimension de participation, comme à rhétorique managériale, qui dénie la dimension d'exploitation.
On ne pourrait, sans l'écologie, justifier l'existence, dès aujourd'hui de deux filières d'alimentation, l'une "saine et biologique" pour les riches et leurs petits, l'autre, notoirement toxique pour la plèbe et ses rejetons promis à l'obésité. L'hyper-bourgeoisie planétaire ne saurait faire passer pour respectable son train de vie si ses derniers caprices n'étaient pas scrupuleusement "respectueux de l'environnement". Sans l'écologie, rien n'aurait encore assez d'autorité pour faire taire toute objection aux progrès exorbitants du contrôle.
l'injonction, partout, à « être quelqu'un » entretient l'état pathologique qui rend cette société nécessaire. L'injonction à être fort produit la faiblesse par quoi elle se maintient, à tel point que tout semble prendre un aspect thérapeutique, même travailler, même aimer.
Tous les « Ça va ? » qui s'échangent en une journée font songer à autant de prise de température que s'administrent les uns aux autres une société de patients. La sociabilité est maintenant faite de 1000 petites niches, de 1000 petits refuges où on se tient chaud. Ou c'est toujours mieux que le grand froid dehors.
Où tout est faux car tout n'est que prétexte à se réchauffer.
Où rien ne peut advenir parce que l'on y est sourdement occupé à grelotter ensemble. Cette société ne tiendra bientôt plus que par la tension de tous les atomes sociaux vers une illusoire guérison. C'est une centrale qui tire son turbinage d'une gigantesque retenue de larmes toujours au bord de se déverser.
La liberté n’est pas le geste de se défaire de nos attachements, mais la capacité pratique à opérer sur eux, à s’y mouvoir, à les établir ou à les trancher. p.16
Le territoire actuel est le produit de plusieurs siècles d’opérations de police. On a refoulé le peuple hors de ses campagnes, puis hors de ses rues, puis hors de ses quartiers et finalement hors de ses halls d’immeuble, dans l’espoir dément de contenir toute vie entre les murs suintants du privé. La question du territoire ne se pose pas pour nous comme pour l’Etat. Il ne s’agit pas de le tenir. Ce dont il s’agit, c’est de densifier localement les communes, les circulations et les solidarités à tel point que le territoire devienne illisible, opaque à toute autorité. Il n’est pas question d’occuper, mais d’être le territoire.
Chaque pratique fait exister un territoire – territoire du deal ou de la chasse, territoire des jeux d’enfants, des amoureux ou de l’émeute, territoire du paysan, de l’ornithologue ou du flâneur. La règle est simple : plus il y a de territoires qui se superposent sur une zone donnée, plus il y a de circulation entre eux, et moins le pouvoir trouve de prise. Bistrots, imprimeries, salles de sport, terrains vagues, échoppes de bouquinistes, toits d’immeubles, marchés improvisés, kebabs, garages, peuvent aisément échapper à leur vocation officielle pour peu qu’il s’y trouve sufisamment de complicités. L’auto-organisation locale, en surimposant sa propre géographie à la cartographie étatique, la brouille, l’annule ; elle produit sa propre sécession.
Les milieux militants étendent leur maillage diffus sur la totalité du territoire français, se trouvent sur le chemin de tout devenir révolutionnaire. Ils ne sont porteurs que du nombre de leurs échecs, et de l'amertume qu'ils en conçoivent. Leur usure, comme l'excès de leur impuissance, les ont rendus inaptes à saisir les possibilités du présent. On y parle bien trop, au reste, afin de meubler une passivité malheureuse; et cela les rend peu sûr policièrement. Comme il est vain d'espérer d'eux quelque chose, il est stupide d'être déçu de leur sclérose.
Ce monde n’irait pas si vite s’il n’était pas constamment poursuivi par la proximité de son effondrement. p.46
Ce ne sont pas les raisons qui font les révolutions, ce sont les corps. Et les corps sont devant des écrans.
" La nouveauté, c’est que nous vivons une époque où l’apocalyptique a été intégralement absorbée par le capital, et mise à son service. L’horizon de la catastrophe est ce à partir de quoi nous sommes présentement gouvernés. Or s’il y a bien une chose vouée à rester inaccomplie, c’est la prophétie apocalyptique, qu’elle soit économique, climatique, terroriste ou nucléaire. Elle n’est énoncée que pour appeler les moyens de la conjurer, c’est-à-dire, le plus souvent, la nécessité du gouvernement. Aucune organisation, ni politique ni religieuse, ne s’est jamais avouée vaincue parce que les faits démentaient ses prophéties. Car le but de la prophétie n’est jamais d’avoir raison sur le futur, mais d’opérer sur le présent : imposer ici et maintenant l’attente, la passivité, la soumission."
L'intelligence stratégique vient du cœur et non du cerveau, et le tort de l'idéologie est précisément de faire écran entre la pensée et le cœur.
Nous ne sommes pas contemporains de révoltes éparses, mais d'une unique vague mondiale de soulèvements qui communiquent entre eux imperceptiblement. D'une universelle soif de se retrouver que seule explique l'universelle séparation.
Àforce, on a compris ceci : ce n’est pas l’économie qui est en crise, c’est l’économie qui est la crise ; ce n’est pas le travail qui manque, c’est le travail qui est en trop.
'' Ce qui nous manque, c'est une perception partagée de la situation."
Le territoire actuel est le produit de plusieurs siècles d'opérations de police. On a refoulé le peuple hors de ses campagnes, puis hors de ses rues, puis hors de ses quartiers et finalement hors de ses halls d'immeuble, dans l'espoir dément de contenir toute vie entre les quatre murs suintants du privé.
Une vérité n’est pas quelque chose que l’on détient mais quelque chose qui nous porte. p.85
Nous proposons une autre perception des choses, une autre façon de les prendre. Ceux qui font les lois ne les respectent à l'évidence pas. Ceux qui entendent nous inculquer la « morale du travail » font des emplois fictifs. Les Stups – c'est désormais de notoriété publique – sont le plus gros dealer de shit de France. Et dès que, par extraordinaire, un magistrat est mis sur écoute, on ne tarde pas à découvrir quelles inqualifiables tractations se cachent derrière l'auguste prononcé d'un jugement, d'un appel ou d'un non-lieu. En appeler à la Justice face à ce monde, c'est demander à un ogre de garder vos enfants. Quiconque connait l'envers du pouvoir cesse immédiatement de le respecter. Les maitres ont toujours été, au fond d'eux, des anarchistes. Il leur déplait seulement que les autres le soient. Et les patrons ont toujours eu un coeur de bandit. C'est cette honorable façon de voir les choses qui a de tout temps inspiré aux ouvriers lucides la pratique du coulage, voire celle du sabotage. Il faut vraiment s'appeler Michéa pour croire que le prolétariat ait jamais été sincèrement moraliste et légaliste. Le prolétaire, c'est dans la vie, parmi les siens, qu'il manifeste son éthique, pas dans le rapport à la « société ». Face à la « société » et sa tartufferie, il ne peut y avoir d'autre rapport que de guerre plus ou moins ouverte.