Military advisor to Movies "Dale Dye" interview about "Platoon" 1986
Elias comprenait que, d'une façon ou d'une autre, ses hommes iraient en embuscade ce soir. Il se leva pour partir, mais pas avant d'avoir bien fait sentir à O'Neill ce qu'il pensait d'un type qui se tirait de son tour dans la jungle.
-Tu devrais te reposer un peu, O'Neill. Y a rien dans le manuel qui dit que t'es forcé d'être une ordure tous les jours de ta putain de vie.
p.155-6.
Rhah bondit de nouveau sur sa chaire de sacs de sable.
- Baaaaa ! Merde ! Ils nous ont vendus ! Et alors ? Qu'est-ce que tu crois ? La vie civile, c'est bidon, connerie et compagnie. C'est tous des robots, mec. Ils regardent leur foutue télévision et ils conduisent leurs putains de bagnoles... et quand ils déconnent, personne ne meurt. Ça ne veut rien dire. Les civils continuent de déconner et les politiciens de mentir. Rien de tout ça n'a d'importance. T'auras pas droit à un beau défilé, mon vieux. Pas un soldat dans aucune guerre à aucune époque à jamais eu droit au respect... avant qu'il soit crevé ! Et alors on n'en a rien à branler ! Tu te bats pour toi tout seul, mec. Tu te bats pour ton âme et c'est marre. Rappelle-toi ça ! Nous luttons tous avec cet ange, pépère. L'Amour et la Haine... c'est tout le bordel. C'est la vraie guerre ! C'était l'histoire dans le temps et c'est toujours la même histoire aujourd'hui. Et ça ne risque pas de changer !
Rhah alluma sa pipe et la fuma un moment en silence.
-Taylor, je me souviens quand t'es venu ici la première fois, quand tu nous disais que tu admirais ce salaud. Tu disais que c'était un sacré soldat!
-Et alors? Je me trompais, quoi!
-Tu te trompais? Mon vieux, t'as jamais eu raison de ta vie...sur rien! Maintenant écoutez un peu, bande d'enfoirés. Barnes a été blessé sept fois, pas? Et il n'est pas mort. Ça ne vous dit rien, ça? La seule chose qui peut tuer Barnes... c'est Barnes!
-Dites voir, sergent Elias, j'ai pas bien compris ce truc que vous avez dit tout à l'heure. Qu'est-ce que c'est, un SCAR?
Elias secoua la tête et ses yeux fulgurèrent sous son chapeau de brousse.
-C'est pas SCAR, Gardner. C'est F,C,AR, ça se prononce FCAR et ça veut dire Foutus Cons de l'Arrière...Quelque chose que vous n'êtes plus à partir de désormais.
Peu après le départ du lieutenant, O'Neill rafla le pot grâce à un full aux as. De son autre main, il actionna son Zippo sous la cigarette de Barnes.
-Un sinistre con, pas vrai, Bob? Tu crois qu'il tiendra le coup?
Barnes avala la fumée, rota et dressa l'oreille à la musique country tonitruant d'une radio branchée sur l'American Forces Vietnam Network à Saigon. Avec un grognement, il répondit d'un mouvement de tête presque imperceptible et ramassa ses cartes. Le regard d'O'Neill fit le tour de la table.
-Voyez? C'est ça que je veux dire. Certains types, on les regarde en face et on sait. On sait qu'ils s'en tireront pas.
Barnes misa deux dollars et regarda O'Neill bien en face.
O'Neill hurla dans le bruit des moteurs:
-J'ai un sale pressentiment pour ce coup, Bob! Je te jure, j'ai un sale pressentiment. J'ai l'impression que je ne me tirerai pas d'ici. Tu sais ce que je veux dire, Bob?
Barnes tourna légèrement la tête et regarda O'Neil de travers.
-Tout le monde doit mourir un jour, Red. Retourne à ton trou.
Maintenant qu'il s'était familiarisé avec les deux côtés de la nature humaine, il supposait qu'il passerait le restant de ses jours à se demander s'il devait faire appel à Elias ou à Barnes pour trouver une solution appropriée. Il était un orphelin de guerre, un enfant né de deux pères qui l'abandonnaient maintenant à son sort.
Un jour, Chris Taylor aurait des enfants à lui ou l'obligation d'instruire les enfants des autres. Que leur dirait-il lorsqu'ils lui poseraient les questions qu'il se posait il y avait encore peu de temps ? Il contempla la jungle défilant sous l'appareil comme un fleuve vert et pensa aux démons qui attendaient là pour harceler et terrifier d'autres hommes. A la fin, se dit-il, nous n'avons pas combattu l'ennemi. L'homme se bat contre l'homme depuis le commencement des temps... Mais le seul ennemi est en l'homme lui-même.
Une étoile filante brilla et tomba dans la nuit. Chris la suivit des yeux tout en s'interrogeant sur Elias.
-Il paraît que lorsqu'on voit ça, ça veut dire que quelqu'un vient de mourir, quelque part.
-Va dormir, Taylor. Si c'était vrai, il n'y aurait plus d'étoiles au-dessus du Vietnam.
A la fin, tout se résumait à un truc comme ça ; une nuit où les deux camps mettraient tout ce qu'ils avaient en jeu en sachant qu'un seul survivrait. C'était peut-être la seule vraie question qu'on devait se poser sur la guerre. L'unique solution était peut-être de ne pas poser de question... simplement de bien se battre et de survivre.
p.144.
Taylor examina l'expression vaguement surprise et amusé des soldats. Ils avaient l'air de chiens qui se demandent pourquoi le maître est fâché. Ils me prennent pour un dingue ! pensa-t-il. Ils ne comprennent pas que c'est eux qui se conduisent comme des fous. Nous ne pouvons quand même pas entrer dans ce village et tuer des gens et violer des petites filles. Aucune guerre... rien ne justifie ça. Ils ne comprennent donc pas ?
Chris s'éloigna en reculant des soldats ricanant, les menaçant toujours de son fusil et couvrant de son corps la petite Vietnamienne. Non, jugea-t-il, alors que Bunny, Hoyt et Junior commençaient à mettre Morehouse en boîte pour son coup loupé, non, ils ne comprenaient pas. Et ils s'en foutaient.