Daniel de Bruycker : Silex la tombe du chasseur
D'un chantier de fouilles archéologiques à Anvers,
Olivier BARROT présente le
roman "Silex, la tombe du chasseur" de
Daniel DE BRUYCKER et en lit un extrait.
Projetée sur un pan de mur d'un blanc de brume, au fond de ce qui a pu être la cour intérieure d'un temple, l'ombre portée d'un vieux pin dont même la souche a disparu, consumée au ras des dalles décolorées. Un long moment passe avant que m'apparaisse l'étrangeté de cette ombre en l'absence de tout soleil ; plus curieusement, l'absence de l'arbre, elle, ne me frappe pas du tout.
Chaque chose que je vois en rappelle une autre, manquante, et me serre le cœur. Un toit de tôle déchiquétée balance dans le vide à l'angle d'une ruine, et l'on se souvient des feuillages. Un panache de poussière blanche s'élève, on songe aux papillons. Une fumerolle flotte au vent, et c'est un vol d'oiseaux.
Le regard innombrable du feu
fixant le fauve au fond de nos yeux.
Tel un feu qui prend d'un coup, c'est l'orée, où les ramures s'écartent, découvrant à ses yeux les longues flammèches dorées qui zèbrent le gris de fumée du ciel, encadrant le soleil posé sur l'horizon comme une fleur d'or qui peu à peu se referme pour conserver jusqu'au prochain matin la douce chaleur du jour qui s'achève. (p.290)
Nous témoignerons donc:
quelqu'un était là-bas.
Le croisant en chemin
nous avons cru le reconnaître,
nous lui avons fait signe,
il ne nous a pas vus
-ou n'a pas reconnu
nos gestes pour des signes
Nous avons appelé,
il n'a pas répondu
-ou,entendant son pas,
n'avons-nous su reconnaître une voix?
Je ne fus pas long à m’apercevoir de l’ambiguïté de ce métier. La nuit, je rêvais d’architectures à la syntaxe lâche et fragmentaire du rêve – comme un théâtre d’écrans flottants et de pinceaux de lumière en mouvement, projetant çà et là, au hasard, des lambeaux d’images vaguement familières.
Puis je m’éveillais et me souvenais que, le jour, je calculai des cages.
J’envie leur sort aux hommes qui vivent sous la tente : non de pouvoir déplacer leur maison à leur guise (car en ce sens ce n’est qu’à peine une maison), mais de pouvoir la remonter autrement chaque fois, selon la forme du lieu, l’aspect du ciel, le besoin qu’ils en ont, leur fantaisie… - et en ce sens, leur tente est toutes leurs maisons.
Le mieux serait, sitôt une maison terminée, de partir sans plus me retourner; non par crainte de m’y attacher outre mesure ou, à l’inverse, de voir en face ses menues imperfections, mais ne souhaitant prendre le risque ni de faire la suivante trop pareille, ni de vouloir la faire trop différente.
Au lever, dans l'air glacé du matin, le site me frappe soudain par son aspect odieux : hier encore pareil à un coussin de mariée, le tertre aujourd'hui éventré, balafré d'une étroite tranchée noirâtre, évoque distinctement un viol.
Plutôt que d'y retourner tout de suite, je me porte volontaire pour aller ramasser du bois mort sous les pins du versant nord de la vallée puis cuisiner notre frichti, laissant se dissiper la funeste impression. Lorsque je reviens sur le chantier après-midi, la trouée ouverte par nos bêches a pris la forme moins brutalement suggestive d'un cratère, apaisant un peu mon malaise. Cet épisode ne m'en a pas moins ôté toute envie d'écrire un poème ce soir !
Longtemps j’ai cru que, pour réussir à faire une demeure, il me fallait pouvoir m’imaginer y habitant. De succès vague en vague échec, j’ai compris désormais que la chose importe peu en somme, pourvu que la demeure consente à m’habiter.