Ecrire
(1985-1986)
À E. Guillevic
extrait 1
Où reprendre le poème
Le poème si longtemps arrêté ?
Les mots d’aujourd’hui
Font écho à ceux d’hier
C’est toujours
Le même visage dans la glace
Inutile de falsifier ses papiers
Au travers des années
Il s’agit toujours
De s’aider à vivre.
Les mots vont là
Comme une coupe de fruits
Posée sur une table
Mais quel mirage
Me fait croire
À toute cette liesse ?
Puise à volonté
Sers-toi à ta guise
La nappe est toujours garnie
La coupe se remplit d’elle-même.
…
Ecrire
(1985-1986)
À E. Guillevic
extrait 4
La mort est là qui abrège le dire
Poète nourris ton feu
Les mots pleuvent comme du bois sec
Derrière la fenêtre un paysage de neige
Ici ta solitude
Se consume sans brûler.
Mettre un mot sur chaque chose
Pour tout démasquer du sable.
…
Ecrire
(1985-1986)
À E. Guillevic
extrait 2
Ce sang qui coule dans les mots écrits
C’est le sang usé de tous les silences accumulés
Lorsqu’il nous a quittés
Nous reprenons vie
Jusqu’au prochain besoin d’écrire.
Voici les mots sur le papier
Autonomes définitivement étrangers à moi-même
Et du coup me restituent mieux mon image
Ce portrait que je vois n’est plus tout à fait moi
Il évolue avec la conscience que je prends de moi-même.
Les mots ne révèlent rien
Ils conduisent plus loin,
La plupart des choses enfouies
Parfois des bulles
Le trop-plein de rêves
Puis à nouveau le silence
Pour longtemps.
…
Nos greniers
Où vont tous ces mots que l’on pense
Toutes ces pensées qui en nous sagement dorment
Où vont toutes ces paroles que convaincus l’on prononce
Tous ces rêves qui en nous germent ?
N’y aurait-il pas en nous quelque part caché
Un monde de fumées bleues un grenier de poussière déposée
Où toutes ces choses viendraient s’amonceler
Et que par instant creux dans votre vie
L’on viendrait secouer au jour, sans bruit ?
1976
/ Traduit du breton par l’auteur
Ecrire
(1985-1986)
À E. Guillevic
extrait 5
C’est facile de dire « neige »
Dans le cœur de l’autre
Naissent tant de souvenirs
Mais c’est heureux
Comment alors rejoindre
Dans un lieu qui ne soit pas
Une référence commune ?
Le Temps, notre peau.
Alors se dépecer pour l’Eternité ?
Durer ? Non.
Brûler dans la splendeur du Cri.
/ Traduit du breton par l’auteur
Il y avait près d’une année déjà que tu étais morte, et c’est seulement ce jour où je me perdis en forêt que je pénétrai dans le territoire de ta mort. Ta voix me priait d’ouvrir jusqu’à elle le chemin de la perte, et je consentis à m’égarer.
Mon ami Lucien me dit que nous, acrobates, sommes des poètes car nous allégeons la vie. Il dit : chacun se figure que c'est le bonheur qui est attaché à nos voltiges. Et c'est vrai parce que je les trouve quand je te serre contre moi.
Je le dit que je suis honorée mais que non.
Il dit que notre art grandit l'homme parce qu'il lui fait lever la tête et admirer.
Je lui dis que dans l'église voisine aussi, les hommes lèvent la tête, puis la baissent, puis se signent.
XIV. Mon ami
Je pensais ne plus le voir.
Comme il travaille dans une voilerie, je l’imaginais à la barre d’un navire lancé sur l’océan.
Je l’ai vu apparaître sur la levée à l’heure où s’éteint l’œil rouge des échassiers.
Il a ouvert un flacon de vin et nous avons dîné au grand air, à la lumière d’un feu.
Les vents tournent à l’est, dit-il, c’est bon pour le sel.
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(1985-1986)
À E. Guillevic
extrait 3
Les mots qui s’inscrivent
Représentent aussi bien
L’image de notre chaos intérieur
Que le pouvoir de l’ordonner.
S’agit-il des mêmes ?
Quand j’aurai bien fixé sur la page
Ce cœur mystérieux
J’essaierai de le comprendre
Lui qui n’a besoin
Que de paroles pour s’épanouir.
Contemplatif
Je me suis tu si longtemps
Que le silence a formé en moi
Des concrétions.
Dans le souci de clarté
Qui m’habite aujourd’hui
Règne le dégel de l’Oubli.
…
" Les pensées que j'ai d' Arthénice, je les laisse me brûler avec plaisir. Quelles me laissent sans vie, sans mot pour dire ce que dit ma sœur éparpillée dans l'abïme."