Pentacle, sortie le 11 décembre 2010
Texte : Dario Alcide - illustrations : Julien Pillet
Cette barre de métal est entrée par la base du cou en haut à gauche et est ressortie par sa hanche du côté droit. Je ne sais pas comment aucun organe vital n'a été sévèrement touché. Et je ne sais pas comment cet homme, que tous condamnaient, a réussi à nous tenir tous éveillés avec ses blagues et ses chansons. Du haut de son brancard posé sur une table, il ne pouvait voir que le plafond ; nous l'avions sanglé pour qu'il ne risque rien. Et pendant plus de dix heures, il a fait le clown. Dix heures qui n'auraient dû être que souffrances et désespoir. Mais il en avait décidé autrement, et jusqu'à la fin, il a souri.
- Bordel, t'étais où ?
- Les fenêtres du salon ont pété.
- A cause de l'explosion ?
- Non, j'ai pété trop fort. Bien sûr à cause de l'explosion !
- Très drôle...
- Le ciel s'est illuminé pendant près d'une minute. J'ai jamais vu ça. Mes meubles ont tremblé. Pratiquement tout le monde est dehors. Allume ta télé, ils vont sûrement en parler.
- Et tu vas bosser dans combien de temps ?
- Dix minutes !
Ca fait seulement deux heures que je suis arrivé dans ce champ dévasté qu'est Bellacann. J'avais quitté la ville en octobre dernier, après les bombardements de mon quartier. Une véritable boucherie. Je ne sais pas comment j'ai pu en réchapper. C'était en pleine nuit, je m'en souviens encore dans les moindres détails.
Je venais juste de me mettre au lit lorsque j'ai entendu le bombardement si particulier des drones de combat. Les drones sont normalement silencieux grâce à leur propulsion spécifique, mais lorsqu'ils sont plusieurs centaines, ils font comme un drôle de bruit sourd très désagréable. C'était la première fois que j'entendais ce bruit et je me suis donc levée pour aller voir à la fenêtre de quoi il s'agissait. Je n'ai vu que des ombres dans le ciel et puis, après quelques secondes, j'ai vu les premières explosions. Comme des éclairs dans la nuit, des flashs blancs ou rouges selon les endroits, et le sol qui tremblait. Les bombes étaient nombreuses et très vite mes oreilles m'ont fait mal. Les flashs se rapprochaient à grande vitesse et j'ai compris que mes dernières secondes étaient arrivées.
L'année qui venait de s'écouler fut sans aucun doute possible la pire de toute l'histoire de cette petite planète. Le prince rentra au château d'ivoire car la date à laquelle Cerk devait monter sur le trône approchait. Le jour J, Cerk apparut au château et avec l'aide de son bras droit, réduisit à néant la garde royale. La légende dit qu'ensuite le prince Farence prit son épée, une tout à fait semblable à celle derrière vous. Il voulut affronter Cerk mais celui-ci avait commencé ses incantations. En quelques secondes, le prince prit feu et se consuma entièrement, ne laissant derrière lui qu'une petite boule énergétique. C'est à ce moment que Cerk tendit deux bébés que son armée avait enlevés aux alentours du village princier. La boule se divisa en deux et chacune des deux parties pénétra dans le corps des enfants, leur laissant une cicatrice dans le dos. Cerk fit alors apparaître un vortex dans lequel il jeta les deux enfants. Une seule personne assista à cette scène. Caché dans l'une des pièces secrètes du château, le sorcier du prince Quareelan raconta les événements au commandant en chef de la garde royale lorsque le reste des troupes fut de retour au palais. Cerk n'était plus là, mais prit possession du château une semaine plus tard, éliminant les quelques survivants du village princier. Le commandant Dimaq de la garde royale avait fui avec le peu d'hommes dont il disposait et le sorcier du prince. Quelques mois après venait au monde la fille unique du commandant : Syriel Dimaq.
Nolan ne répondit pas. Il avait bu les paroles de son amie et n’avait pas pu s’empêcher de faire un parallèle avec sa situation lors de son intervention pour sauver Léa. Il avait frappé le premier, mais n’avait pas profité de son avantage pour fuir. Et il avait perdu la bataille.
La jeune guerrière roula comme une poupée désarticulée à travers la vitre d'un ancien magasin.
Après tout ce temps, on pourrait croire que les maltraitances de mes "camarades" et les visions d'horreur quotidiennes m'auraient rendu plus coriace. Mais non. Je vais mourir, alors que je n'ai rien demandé, sacrifié pour un pays qui ne m'a jamais voulu de bain, dans une guerre pour un minerai dont on se passait très bien jusqu'alors. SI ça, c'est pas une mort stupide...
Caïn stoppa net et vit le fauteuil roulant faire une pirouette à toute vitesse, un mètre plus loin. Le pilote lui lâcha un petit sourire et reprit sa route, poursuivi par le garçon jaune.
— Dans le fauteuil, c’est Fabein, lança la fille à un seul bras. C’est un as du fauteuil roulant. Et le jaune derrière lui, c’est Henri-4…
Caïn tiqua lorsqu’il entendit le prénom mais ne pipa mot. Il avait trop peur de la grande pour la contredire ou lui poser la moindre question. Il nota tout de même qu’elle avait retrouvé un ton plus calme.
— Moi, c’est Paulune, ajouta-t-elle avec le sourire.
Elle présenta tout le groupe : Augustou, Unaïs, Lalune, Clémentin et enfin, Laurune, la blonde à la voix douce.
Je ne sais pas où va nous conduire cette guerre. Mais il y a de quoi avoir peur...
Un héros qui n’a pas su se sortir tout seul du bourbier dans lequel il s’était fourré, pensa Nolan. Il avait voulu jouer au héros, oui, mail il avait échoué. Avoir un comportement héroïque et être un héros pour de vrai étaient deux choses différentes.