J`aime beaucoup les perturbations sensorielles. J`avais déjà exploré l`hyperacousie dans L`effet Larsen (hypersensibilité au bruit) et, dans une moindre mesure, l`achromatopsie (daltonisme extrême) dans Twist. Si l`hyperacousie est une affection réelle et terrible, je l`avais traitée dans le roman de manière symbolique : quand le sens de la vie est atteint, le sens physique est touché. J`ai poussé cette idée plus loin, avec une maladie qui n`existe pas – en tout cas, pas à un tel degré. Pour l`héroïne des Corps inutiles, cette affection est psychosomatique et, d`un point de vue romanesque, métaphorique. Je suis partie du fait que les victimes de violences, en particulier sexuelles, évoquent souvent l`impression d`un corps anesthésié.
Au contraire, j`ai voulu parler d`un fait banal - parfois banalisé, minimisé. L`agression dans le livre est grave, mais… Toute l`histoire repose sur ce “mais”. Ce qui arrive à Clémence est d`une façon ou d`une autre arrivé à la plupart des femmes : harcèlement de rue, mains baladeuses dans les transports en commun… J`ai en effet créé ce physique atypique pour des raisons symboliques et psychologiques. Comme si ses bizarreries, ainsi que Clémence les appelle, la prédestinaient à se sentir “monstre” quand elle n`était encore qu`une fillette comme les autres. Et beaucoup plus simplement, la rousse incendiaire a pour moi un profil d`héroïne.
Si j`ai évidemment choisi - en oxymore puis en écho - le prénom Clémence pour raconter l`histoire d`une vengeance avortée, je n`avais pas pensé à la rime avec “démence” ! Pour Arthur, je n`avais pas non plus pensé au Chevalier : ce sont les lecteurs qui me l`ont fait remarquer. Je trouve toujours assez vertigineux de constater à quel point l`inconscient travaille en fond de court. En réalité (et je ne suis pas la seule à le dire), c`est très émouvant de voir qu`on comprend beaucoup de choses de son propre texte grâce aux lecteurs…
On me le dit souvent, pour tous mes livres ou presque : “Chez vous, les mecs ramassent !” Pourtant, comme Clémence d`ailleurs, j`aime beaucoup les hommes… C`est difficile de répondre à cette question, il me faudrait un divan ! Mais il y a toujours quelque personnage masculin pour réhabiliter le sexe – ici, Damien-le-flic, plus que tous les autres, Arthur et en effet Christophe. Mais Christophe, c`est vrai, n`est pas un homme : c`est un enfant. Avec toute cette capacité de spontanéité, de vérité et d`innocence qu`ont les enfants, et qui me touche beaucoup dans la réalité.
Sans doute qu`un roman aussi est écrit pour avoir du sens – en cela, je comprends votre question. Mais je crois que j`ai surtout cherché à créer une trajectoire. Avec cette idée que, dans la vie, on réalise souvent des années plus tard que telle ou telle épreuve - sur le moment terrifiante, pathétique, honteuse, traumatisante - aura finalement eu quelque effet positif. C`est ma façon d`être (en partie…) d`accord avec cette phrase de Nietzsche dont Clémence se moque : “Ce qui ne vous tue pas vous rend plus fort”. Et puis son histoire fait sens parce que Clémence lui en donne un : pour survivre et avancer, c`est ce nous faisons tous.
Je n`avais pas la structure exacte en tête, non, mais une idée précise de ce que je voulais faire ressentir. Ma technique d`écriture a toujours été l`incarnation - vraiment, au point de parfois me perdre moi-même. Je suis le personnage – autant du verbe “être” que du verbe “suivre”. Cette deuxième partie, c`est le moment où Clémence se réunifie, où elle redevient une personne à part entière. En arrivant à ce moment-clé du récit, les deux énonciations se sont naturellement télescopées. La troisième partie revenait donc de droit au Je unique de Clémence adulte.
J`écoute rarement de la musique quand j`écris ; j`ai plutôt besoin de silence. En revanche, j`en écoute beaucoup quand je réfléchis, quand je relis, quand je retravaille le texte... Peut-être est-ce mon amour du cinéma qui me donne envie de mettre “l`image en musique”, à la manière d`une bande originale – les musiques de films sont d`ailleurs géniales pour écrire. Pour cette playlist, j`ai un peu hésité mais j`ai trouvé l`idée ludique. Tous ne sont pas forcément mes morceaux favoris, mais ils tressent un univers qui vient s`ajouter au récit et nourrir l`imaginaire du lecteur.
Honnêtement, tout m`a donné envie d`écrire. Tout ce que j`ai lu depuis que j`ai commencé à lire. Les Fantômette, sans doute. J`adorais Fantômette ! Un peu plus tard, E = MC2, mon amour, de Patrick Cauvin.
Aucun ne m`a donné envie d`arrêter d`écrire, sinon je ne serais pas là. Tous m`ont au contraire donné le courage de travailler, encore et encore, sans bien sûr espérer une seconde les égaler. Les livres qui donnent d`incommensurables complexes sont légions, mais l`admiration est aussi un moteur. En ce qui me concerne, parmi les contemporains, pas mal de Joyce Carol Oates, certains Philip Roth, Haruki Murakami… Mais si je dois ne citer qu`un texte, je dirais Le Démon d`Hubert Shelby Jr. Une incroyable claque.
American Psycho, de Bret Easton Ellis, que j`ai lu vers vingt ans. Avec ce roman, j`ai compris (pour la première fois concrètement) le concept de « fond » et de « forme » en littérature. La manière dont cette forme - volontairement bouffie, bavarde, redondante comme une boucle cauchemardesque - venait imprimer le fond : illustrer le cercle infernal du cerveau malade du héros, le psychopathe Patrick Bateman, étayer le portrait obsessionnel et implacable de cette société-là, aussi, de cette époque-là, magique et indécente - les années 80, le culte du fric, du pouvoir, de l`apparence… du « too much », en somme. J`ai également compris qu`un lecteur pouvait se passionner pour un parfait salaud – c`est un euphémisme – si le texte en valait la peine. Qu`en littérature, on est libre, puisque le lecteur est libre, lui aussi, de continuer le livre ou pas.
Je relis rarement les bouquins que j`ai aimé. Je le regrette parfois, d`autant que j`ai une mémoire de poisson rouge ; mais je préfère toujours découvrir de nouveaux textes. le roman que j`ai le plus lu reste sans doute American Psycho, car j`en avais fait mon sujet de maîtrise à la fac. Et je parcours souvent, juste pour le plaisir, Les fleurs du mal de Baudelaire.
Ulysse de James Joyce. J`ai essayé à plusieurs reprises, je n`ai jamais réussi à dépasser la centième page. Mais je n`ai pas dit mon dernier mot !
Le son de ma voix, de l`Ecossais Ron Butlin (en poche chez Quidam). Un récit sur l`alcoolisme, entièrement à la deuxième personne et d`une incroyable puissance.
Non. Il y a beaucoup trop de phrases magnifiques pour être capable d`en choisir une seule…
Comme beaucoup de monde, Vernon Subutex 1, de Virginie Despentes.
Où déménage Malo ?