La mort brutale de Gordon Edgley fut un choc pour tout le monde, surtout pour lui.
- Ca veut dire que vous êtes bien réel ? Vous existez pour de bon ?
- Vraisemblablement.
- Vous n'êtes pas sûr d'exister ?
- Si, j'en suis quasiment certain. Mais je pourrais me tromper. Peut-être suis-je une abominable hallucination, le fruit de mon imagination.
- Vous pourriez être le fruit de votre imagination ?
- On a déjà vu des choses plus étranges. Il s'en produit régulièrement, c'est d'ailleurs inquiétant.
- Etait-ce un test? Vous êtes resté en retrait pour me tester, pour voir si j'étais capable de me débrouiller seule?
- Plus ou moins... En fait, non. Absolument pas. Il se trouve que mon lacet était défait. Voilà pourquoi j'ai tardé à intervenir. Et pourquoi tu t'es retrouvée seule.
- J'ai failli me faire tuer parce que vous refaisiez votre lacet?
- Un lacet défait, ça peut être dangereux. J'aurais pu trébucher... Je plaisante.
- Vraiment?
- Bien sûr. Jamais je n'aurais trébuché. Je suis bien trop agile.
- Il va gagner, tu comprends? Serpine va gagner cette guerre!
- Ca n'existe pas.
- Quoi?
- "Il va gagner" ou "il va perdre", ça n'existe pas. On gagne ou on perd, il y a la victoire ou la défaite. Ce sont des vérités absolues. Entre les deux, tout demeure incertain. Serpine n'aura gagné que lorsqu'il n'y aura plus personne pour se dresser face à lui. D'ici là, il faut continuer à se battre car un combat, c'est comme la marée: ça s'inverse.
- Tu ferais mieux de rentrer, dit Skully. Et verrouille ta porte.
- Fais-moi confiance, mon pote. Je garderai mon crucifix à portée de main.
- Les vampires n'ont pas peur des crucifix, Finbar.
- J'ai pas l'intention de lui agiter devant le nez, c'est pour l'assommer. Il est super lourd. Je parie que je peux lui défoncer le crâne avec ce truc.
_ Elle te permet de rester en vie. Après tout, le courage n'est pas l'absence de peur. Le courage, c'est savoir reconnaître la peur et la dominer.
Elle sourit.
_ Je crois avoir lu ça au dos d'un paquet de corn-flakes.
L'Écho hocha la tête.
_ Normal. C'est de là que je tire toute ma sagesse.
_ Des braqueurs de banque.
_ Des braqueurs de banque, répéta le vieil homme en hochant la tête. Je vois. Oui, c'est logique. Je comprends qu'ils aient choisi ma propriété. La banque la plus proche étant à plus d'une demi-heure en voiture, ces criminels, après avoir accompli leur audacieux larcin, vont devoir parcourir cinquante kilomètres de routes étroites, en s'arrêtant pour laisser passer un tracteur ou divers véhicules agricoles, avant de traverser ni vu ni connu un village où les gens n'ont d'autre distraction que de regarder passer les gens, pour ensuite...
_ D'accord, dit Skully. Votre propriété ne va pas recevoir la visite d'un gang de braqueurs de banque.
- Fletcher. T'ai-je remercié pour avoir ouvert le portail et m'avoir ramené ?
- Non, mais ne vous en privez pas.
- Tu aurais pu provoquer l'extinction de la race humaine, ajouta le squelette d'un ton joyeux, mais ce n'est pas moi qui vais t'en tenir rigueur.
_ À votre avis, qui habite ici ?
_ Un fermier, je dirais.
_ Vous êtes formidable.
_ Un fermier célibataire, précisa le squelette, qui vit seul. Jamais marié, visiblement. Sans enfant. Il doit avoir dans les soixante-dix ans, d'après les vêtements qui séchaient sur la corde à linge devant laquelle on est passé.
_ On est passé devant une corde à linge ?
_ Ne t'ai-je pas dit d'être attentive aux détails ?
_ Vous avez dit que je n'avais pas besoin de m'en soucier car vous étiez là pour le faire à ma place.
_ Je suis certain d'avoir dit exactement le contraire.
_ Détective ! Avez-vous pensé que la violence était l'arme des barbares ?
Skully se retourna.
_ Je suis un être sophistiqué, charmant, suave et débonnaire, professeur. Mais je n'ai jamais prétendu être civilisé.