Dimitry Laboury, L'Egypte pharaonique, coll. Idées Reçues
Le nouveau dieu de la royauté et de l'empire, à l'origine de toute forme de vie, présente une similitude frappante avec la divinité qui, depuis plus d'un demi-millénaire, assumait déjà cette fonction et qu'il cherche visiblement à supplanter (dès la première année du règne) : Amon-Rê, "le roi des dieux". Mais à la différence de ce dernier, Aton n'a aucune interaction ou relation avec les autres divinités et, surtout, il est un dieu complétement muselé, avec lequel seul le monarque peut réellement communiquer. Par l'effet de miroir qui, dans la pensée égyptienne, unit toujours le roi à son géniteur divin, Amenhotep IV, "le bel enfant d(el')Aton", son "fils unique", devient l'"image efficace" du dieu sur terre, le démiurge en personne, pourvoyeur de toute vie et de tout bienfait ici-bas ; et la vie qu'il mène avec sa parèdre, Néfertiti, incarnation de la traditionnelle déesse céleste, compagne du créateur solaire, est conçue et présentée comme une liturgie à valeur cosmique, le rituel de cour devenant un culte divin et une religion à part entière.
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L'Afro-centrisme se donne donc pour objectif de "restaurer la conscience historique" de l'Afrique noire, en établissant, notamment, une relation de filiation entre l'Egypte pharaonique et les sociétés africaines traditionnelles, et, inversement, en reconstituant "les origines nègres de la civilisation égyptienne." Cette démarche, au même titre que celle qu'elle prétend contrer, s'intègre dans un projet idéologique à implications politiques, qui requiert donc la plus grande prudence en matière de critique historique.
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A l'exception des pharaons de la XXV° dynastie, d'origine nubienne, les anciens Egyptiens n'étaient donc pas des Noirs ; néanmoins, la civilisation pharaonique et l'Egypte ont toujours fait partie, au moins partiellement, de l'univers africain, en tant que carrefour entre l'Afrique, l'Orient et la Méditerranée.
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... Comme le soulignent Eliane Amado Levy-Valensi et Benjamin Gross, l'Egypte antique a joué dans ce processus {le rôle d'] "une fonction matricielle. De nos jours où le concept est à la mode, on pourrait parler de mère porteuse. Certes, elle n'a pas engendré Israël mais la sortie nécessaire d'Israël de ses entrailles n'en constitue pas moins un acte irréversible comme une nouvelle naissance." Ainsi s'explique l'attitude ambivalente de l'idéologie hébraïque face à l'Egypte, où se mêlent admiration et rejet, revendication et abomination.
Il faut enfin signaler que la civilisation pharaonique développa en retour, et surtout suite au traumatisme occasionné par l'épisode monothéiste du règne d'Akhenaton, sa propre vision de l'Exode - largement répandue dans l'Antiquité car évoquée par des auteurs célèbres comme Manéthon, Hécatée d'Abdère, Strabon ou Tacite - dans laquelle une animosité certaine vis-à-vis des monothéismes apparaît, posant les premiers jalons de l'anti-judaïsme et de l'antisémitisme. Beaucoup plus tard, les anticléricaux du XIX°s en vinrent à inverser le processus mis en oeuvre dans la rédaction de la Bible : comme Israël avait voulu, dans son acte fondateur, démontrer sa supériorité par rapport à la grande culture de son temps, les bourgeois de l'époque contemporaine, et en particulier les Francs-Maçons, dans leur opposition à la noblesse catholique, stimulèrent un regain d'égyptomanie en se revendiquant très explicitement de la civilisation pharaonique, qui constituait un prestigieux modèle alternatif et surtout antérieur à celui des chrétiens.
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Toute l'histoire du court règne de Toutankhamon est ensuite conditionnée par sa politique de renouement avec le passé antérieur à la période atoniste, ce qui impose au jeune roi de renier ses propres parents et leur oeuvre, pour se rattacher à son grand-père, Amenhotep III, qu'il n'a jamais connu.
Il importe de comprendre que les anciens Egyptiens ont rejeté la perspective non par ignorance ou incompétence, mais par choix délibéré... La civilisation égyptienne avait développé une véritable théorie de l'image, définissant son statut et sa fonction... L'image est une incarnation de son modèle, magiquement efficace et vivante ; elle représente, au sens fort du terme, les êtres de l'Au-Delà, qui "descendent en elle", et, comme les hiéroglyphes ... elle a pour vocation de figurer l'essence des choses qui composent le Monde et non leurs changeantes apparences... L'image égyptienne a pour fonction d'établir un point de contact entre les deux parties constitutives du Cosmos, celle des réalités essentielles et celle des fugaces apparences au milieu desquelles nous vivons. Pour ce faire, elle vise à représenter ici-bas l'essence des choses et des êtres. Sur un plan formel, elle se refuse donc assez logiquement à être illusionniste, car une telle dépendance vis-à-vis des apparences de notre bas monde anéantirait son efficacité ...
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C'est un fait avéré : les Romains adoraient les jeux du cirque. Ils les firent connaître dans toutes les contrées qu'ils dominaient et répandirent cette passion. Elle est aujourd'hui visible partout, de l'Espagne à la Syrie, en passant par l'Afrique, dans les vestiges monumentaux des amphithéâtres.
Le mythe des terreurs de l'an Mil ne correspond donc à aucune réalité établie ; il a été forgé au début du XIXe siècle par le mouvement littéraire romantique qui voulait voir dans le christianisme médiéval un temps de ferveur religieuse et de passion.