Dominique Rateau

C'est parce que la compréhension d'une lecture ne peut être immédiate. Certaines lectures doivent demeurer secrètes en nous fort longtemps, avant que l'on accepte d'en parler, d'en dire quelque chose. La lecture sera interprétation d'un récit, mais on n'en dit pas plus. On transmet une interprétation d'un récit: on ne sait ni ce que l'on transmet, ni ce qui sera reçu. N'est-ce pas cela le risque de toute rencontre ?
Nous proposons une rencontre autour d'une oeuvre d'art: il est interdit de vérifier quoi que ce soit. D'ailleurs, que pourrait-on vérifier ?

Avec les livres et les histoires lues à haute voix, on propose une rencontre avec une double temporalité : le temps pendant lequel on raconte croise le temps du récit. Je peux lire en cinq minutes une histoire de toute une vie !L'enfant accède de cette façon à une conscience du temps. La narration lui permet de l'organiser.

Les professionnels du livre classent parfois les albums par genre: les imagiers, les cartonnés, les premiers récits, les albums sans texte, ou bien encore par thème: la naissance, la guerre, la mort, le quotidien, la jalousie, la relation avec les grands-parents, etc.
C'est une façon d'organiser un classement, de proposer une bibliographie ou d'effectuer un choix parmi la production, mais ce n'est pas autre chose qu'un essai d'organisation. Cela ne peut pas être autre chose, car on ne peut réduire une œuvre d'art à un thème. Comment savoir ce qui intéresse vraiment les enfants dans un livre? Cela peut n'être parfois qu'une couleur, un rythme, un sentiment confus, une chose mystérieuse qui va provoquer son émerveillement. Et cet émerveillement reste un mystère.
(...)
Les classements sont utiles aux rangements. Ils ne disent rien de l'essence des livres.

Les livres nous offrent de nouvelles questions, de nouvelles réponses, de nouvelles visions, de nouvelles pensées. En ouvrant un livre en compagnie d'un enfant, nous acceptons, mieux, nous prenons plaisir à partager avec lui cet état de "non-savoir" par rapport aux questions fondamentales que se pose l'humanité. L'adulte n'est pas là en position d'enseigner : il accepte d'être en recherche.
Ce que nous ouvrons, c'est un champ possible de questionnements. Nous sommes alors avec l'enfant dans une autre relation au monde que celle de la nécessité de combler ses besoins vitaux.