Dumitru Tsepeneag Un Roumain à Paris - éditions P.O.L : où Dumitru Tsepeneag tente de dire de quoi et comment est composé son nouveau livre, "Un Roumain à Paris", traduit du roumain par Virgil Tanase, son journal des années 1970 à Paris, et où l'on croise notamment Roland Barthes, Eugène Ionesco, Emil Cioran, Paul Goma, Nicolae Breban, Michel Deguy, Gabriel Marcel, Leonid Dimov, Paul Otchakovsky-Laurens, Alain Robbe-Grillet, Robert Pinget, où il est aussi question de la parution de ses premiers livres dans la collection Textes chez Flammarion, de sa déchéance de nationalité roumaine, de la revue "Les Cahiers de l'est", de Chine et de Roumanie, de jeux d'échecs et de courses de chevaux, de l'onirisme et du surréalisme, à l'occasion de sa parution aux éditions P.O.L, à Paris le 4 février 2021.
Dumitru Tspeneag - Dumitru Tepeneag - Ed Pastenague "un român la Paris"
+ Lire la suite
Or le modèle de cette situation [l'onirisme] est le rêve. Jamais abstrait, toujours construit avec des bribes de réel, concret puisqu’on s’en souvient au réveil et qu’il influe sur notre état d’esprit, le rêve est le symptôme réel de quelque chose qui échappe à la raison. Telles les images surgies spontanément dans l’esprit de l’écrivain quand celui-ci ne veut pas faire œuvre d’enseignant ou de prophète et se laisse porter uniquement par son imagination, le rêve est la manifestation d’une réalité intérieure qui se signale sans nous permettre de l’expliquer. De ce fait, la littérature, et l’art en général, ne « dit » pas, elle signale à chacun ce noyau d’inconcevable qui nous met devant l’inconfort de notre condition. Il va de soi que cette façon d’envisager les choses est une contestation des fondements même de l’idéologie qui justifie le pouvoir totalitaire de ceux qui prétendent mener une politique « scientifique » – qui ne l’est pas davantage, disons-le en toutes lettres, que celle de ces technocrates qui invoquent « les lois objectives du marché » –, et qui se flattent d’édifier une société idéale, pour l’heure très hypothétique.
En ce qui me concerne, et même si je rejette par principe la littérature engagée, je n’ai pas eu un choix facile lorsque dans la discussion avec la direction de l’Union des écrivains, mes interlocuteurs m’ont fait comprendre que si la censure refuse mes livres, que les critiques littéraires m’ignorent et que j’ai à subir toutes sortes de désagréments, c’est justement parce que je me mêle de ce qui ne me regarde pas. Pour ne pas tourner autour du pot, disons franchement que j’ai accepté cet accommodement, ce modus vivendi : m’occuper de mes oignons pour donner une chance à ma littérature. J’ai donc accepté cette espèce de pacte tacite qui était, de mon point de vue, un compromis. Je ne me mêle plus de ce qui ne me concerne pas, j’écris ma littérature onirique et formaliste, d’autant plus que de toute façon mes coups de gueule, les protestations d’un écrivain comme moi, ne peuvent influencer la marche des choses. La belle jambe, mon article du New York Times. Ma littérature est autrement importante. C’était, il faut le dire, le point de vue d’un écrivain qui en avait assez, fatigué. En même temps, pour que l’homme, le citoyen si vous préférez, puisse éviter de protester, ce qui est tellement difficile quand on se trouve confronté à une bureaucratie stupide, obligé de fonctionner dans un milieu engourdi, j’ai demandé le droit de repartir à l’étranger, ce qui m’a été accordé avec une rapidité étonnante. Je suis parti… Mais il y a une seconde raison de mon silence, sans laquelle peut-être que je n’aurais jamais accepté ce compromis. Eh bien, j’ai quitté la Roumanie immensément dégoûtée, déçu par la lâcheté et le conformisme de mes confrères, de mes collègues, comment les appeler ? écrivains !
Racle donc les sourires des enfants derrière les vitres
pour regarder la mort comme un luxe des pauvres.
(p. 166, Mircea Dinescu, extrait du poème L'Apothéose des aveugles)
Peut-on accélérer un sablier en le secouant ?
Attente
L’âme vidée de miracles,
On nous a poussés dans une salle de spectacles
Pour nous distribuer, par un système de tuyaux et moteurs,
À chacun une gamelle de vapeurs.
On était jeunes, on était militaires,
On était morts à peine, dans la grande guerre
Que nous avions livrée au Détroit.
Qui ne meurt pas ? Tout le monde choit…
Mais à quoi bon philosopher ?
Il valait mieux continuer
Le service, interrompu un moment
Jusqu’à l’arrivée du nouveau régiment
Qui devait nous relayer
On ne savait pas combien elle allait encore durer,
Notre attente dans cette grande salle-là,
On savait seulement qu’il y aurait un spectacle de gala
Et avant qu’il commençât
Nous tentions de comprendre pourquoi
Si haut, sur les corniches, furent mises
Les médailles que nous gardions dans nos valises.
(p. 49, Leonid Dimov)
Au fond, qu’est-ce que la vérité en littérature ? Du point de vue philosophique, la vérité est une notion relative, subjective. Je ne parle pas d’une vérité qui vous a été présentée comme telle, de tel ou tel événement qui a eu lieu à tel ou tel moment. Ce qui compte, c’est la tension qui se manifeste dans l’effort de l’artiste d’harmoniser son être avec la société à laquelle il appartient. Il s’agit du désir d’être soi-même, entier et harmonieux, quels que soient les risques passagers et stupides encourus. Il s’agit de cette tension qui exclut la peur et les tentations matérielles. Cette fièvre… cette fièvre elle seule produit les œuvres d’art. Simple, non ?
Noces
Les cousettes élancées
Attendent nues dans leurs dentelles
Des taxis de fiancés
Sous les fenêtres parallèles
Adolescents et rieurs
Ils dressent sous le dôme en fête
D’un pas leste à l’intérieur
Des polyptyques de crevettes.
(p. 48, Leonid Dimov, traduit du roumain par Alain Paruit)
Je me dis qu’il faudrait prendre d’assaut les maisons d’édition parisiennes pour les obliger à regarder avec plus d’intérêt la littérature roumaine.
Je veux commencer par ce qu’on nomme le groupe onirique, auquel appartiennent les poètes Leonid Dimov, Virgil Mazilescu, Daniel Turcea, et les prosateurs Sorin Titel, Florin Gabrea, Virgil Tanase. Je ne doute pas qu’avec le temps, petit à petit, ce groupe traité avec une certaine légèreté en Roumanie où l’on met en doute la qualité esthétique de leurs écrits apportera la preuve, ici, en Occident, de la pertinence de leurs œuvres. Ce n’est certainement pas un hasard si parmi les écrivains roumains traduits ces dernières années en Occident, la majorité appartient à ce groupe : Sorin Titel, Leonid Dimov, Virgil Mazilescu, Daniel Turcea, Florin Gabrea, Virgil Tanase.
La littérature est un art de la successivité, l'information est distillée au lecteur graduellement, au compte-gouttes. Sans compter que peuvent survenir toutes sortes de rebondissements, de coups de théâtre qui changeront le sens de l'ensemble, ou du moins l'une de ses interprétations possibles. Quant au dénouement, ne tournons pas autour du pot : on n'a pas le choix, on est contraint de l'attendre.