Organisée par la Médiathèque le Point d'Interrogation du Bourget, cette rencontre s'est tenue en ligne dans le cadre du festival Hors limites 2021.
En 1985, alors qu'il va sur ses 30 ans, Eddy L. Harris qui n'en est pas à sa première aventure à travers le monde se lance à lui-même un défi aussi grandiose que déraisonnable : descendre en canoë les 4000 kilomètres du fleuve Mississippi près duquel il a grandi. Seul.
Pour cet auteur « noir américain », comme il aime se définir, ce voyage initiatique revenait à sonder le coeur des États-Unis en passant par l'aorte : du Nord au Sud, depuis le Minnesota jusqu'au golfe du Mexique.
Frontière naturelle de nombreux états et marquant la séparation entre l'Est et l'Ouest, élément fondamental de la culture nord-américaine et de son histoire, intimement lié au roman d'aventures (on pense bien sûr à l'oeuvre de Mark Twain) et lié aux légendes amérindiennes et à l'esclavagisme, emprunter le fleuve mythique revenait, pour le jeune homme qu'il était, à éprouver « la confiance qu'il a en lui-même et celle qu'il a dans son pays ».
Par chance, cette route maritime des plus périlleuses déboucha sur un chef-d'oeuvre de la creative non-fiction enfin traduit en français grâce aux éditions Liana Lévi mais surtout, confirma Eddy L. Harris dans sa vocation d'écrivain et irrigua toute son oeuvre au point qu'il retentât l'expérience, pour un film documentaire cette fois, en 2014 !
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Mais l’aventure ne s’achève pas au prétexte que nous parvenons à un point d’arrivée. Que nous restions tranquilles, que nous parcourions mille kilomètres, un million ou une dizaine seulement, le voyage ne se termine jamais : immanquablement il nous ramène à nous-même.
"Ce trottoir est réservé aux blancs, mon garçon", dirent 'ils, laissant entendre qu'il en était de même pour les WC publics, pour les fontaines et les salles d'attente des gares routières...
Mais mon père discerna la menace sous leurs sourires. Il la sentait à leurs regards sournois, et à la façon dont ils lui parlèrent juste après.
"Les négros sont censés marcher dans les caniveaux, lui dit l'un d'eux.Tu le sais, non ?"
Ici, le lac est une toile bleue immobile.
Aussi bleue que le ciel. (Minisota : mot de la langue amérindienne dakota signifiant "eau peinte de la couleur du ciel".)
De grands arbres le bordent et le protègent du vent. Ils montent très haut, mais ils gisent aussi à l'envers dans l'eau. Le lac est un miroir. Je vois tout en double.
Un nuage de huards rase la surface puis s'élève haut dans le ciel, décrit une courbe et disparaît. Leur cri est bruyant et sauvage.
Le soleil descend, les ombres s'allongent, tout s'enveloppe de nuance de jaune et d'or.
Un renard roux se faufile jusqu’au bord de l’eau et court le long de la rive. Il se met à mon allure et semble me regarder, en restant à ma hauteur. Je n’ai encore jamais vu de renard à l’état sauvage. Je ne veux pas qu’il s’en aille. Je ne veux pas que cette journée s’achève. Cette sensation. Rien que quelques années encore. Rien que quelques heures de plus, quelques minutes, quelques instants. J’espère qu’à l’heure de ma mort, j’aurais ces mots sur les lèvres : rien qu’une minute encore. Non par peur de la mort pou par désir de vivre indéfiniment, mais parce que cette vie m’aura tant émerveillé, sans que sa laideur et ses peines aient assombri en riant la chaleur, l’éclat de la paix et la joie comme cette matinée sur le fleuve, et j’en demanderai seulement quelques minutes de plus.
En s’occupant ou en se distrayant suffisamment, on ne se risque jamais sur ce dangereux territoire de l’ennui, du déplaisir et de la peur. Trop de diversions empêchent parfois de mesurer à quel point on est heureux ou malheureux, drôle ou barbant, ce qu’on désire vraiment, ce qu’il nous faut ou ce dont on manque.
Nous autres les Noirs nous avons un nouvel ennemi. Nous-mêmes. Nous sommes les premiers à nous plaindre du manque d’opportunités, et puis quand l’un d’entre nous réussit, les autres Noirs lui en veulent.
Prendre des risques. N’est-ce pas le sel de la vie ? Parfois on gagne, parfois on perd. Sans le risque de la défaite, où est le triomphe ? Sans la mort qui rôde, que vaut la vie ?
"Les fleuves, c'est comme la vie. Ils passent devant vous, en silence la plupart du temps, sans se faire remarquer, peut-être qu'ils vont quelque part où on voudrait aller. La plupart du temps, on reste assis là, sur la berge, et c'est comme si on voyait passer sa vie. On peut pas toujours attendre, en spectateur. On doit trouver ce qu'on est censé faire et le faire. On appelle ça la destinée. Tout le monde en a une. Enfin c'est ce qu'on dit."
La vie d’un père et celle d’un fils se mêlent comme les branches de deux arbres côte à côte dans la forêt.
"Parfois on doit faire des trucs comme ça. Tordre un peu les règles pour arriver à ses fins. Tu peux appeler ça douce rébellion, si tu veux. Mais ça peut-être sacrément utile- surtout si les règles sont pourries dès le départ".