Ensuite, je l'entends. Penché sur moi, la voix lointaine, il s'excuse. Encore et encore. C'est tout. J'essaie de lui dire que ce n'est pas sa faute, mais les mots bloquent, comme si j'avais la bouche pleine de cailloux. Alors, il disparaît, et je ne perçois plus qu'une espèce de vent dans le noir, un peu comme des battements d'ailes, des centaines, des milliers d'ailes, peut-être. Puis, plus rien.
- Jonas m'a rendu visite.
Là encore, je n'ai pas relevé.
- En rêve. Non... c'était plus que ça. C'était une vision. Jonas, exactement comme autrefois.
Je l'ai contemplée avec anxiété tout en lui caressant le bras.
- Nous étions si heureux. Formidablement heureux. Puis nous nous sommes dit adieu. Maintenant, je me sens changée. Je ne suis plus aussi lourde. C'est difficile à décrire.
- Inutile, ai-je murmuré.
- Je n'ai plus peur, a-t-elle enchaîné. Je sais que Jonas est parti et qu'il ne reviendra pas. J'ai mal, mais je n'ai plus un tel sentiment de solitude.
Son visage se colorait de nouveau, sa respiration était régulière. Moi, je pleura des larmes de joie.
Lentement, elle a soulevé ses longs cheveux qu'elle a noués en écheveau de soie noire, puis elle s'est tournée afin d'exposer sa nuque. La peau en était laiteuse, la moindre vertèbre saillait, vulnérable.
– Tu la vois ? A-t-elle chuchoté.
Les ailes d'ange étaient situées au milieu de son cou, sombres sur fond blanc, délicates, parfaitement dessinées.
- Oui, ai-je répondu. Tu ne t'es pas noyée. Tu t'es brisé la nuque. C'est ça qui t'a tuée.
Je sanglotais pour de bon, à présent. «Ce n'est pas aussi simple, aurais-je voulu lui avouer. Il faut que tu saches que Phoenix est revenu d'entre les morts. Il se trouve à Foxton, en compagnie de Summer. En ce moment même. On les appelle les Beautiful Dead. » Mais Hunter a envoyé ses troupes tempétueuses. La porte de la cuisine s'est brusquement ouverte et a claqué contre le mur. Une armée d'ailes en furie m'a submergée, à l'insu de Logan, et une bande de têtes de mort a investi la pièce, orbites noires béantes et sourires macabres. J'ai failli manquer d'air.
Une bouffée de panique m'a submergée, au point que mes genoux ont flageolé. Mes amis les Revenants étaient piégés, et le gars que je soupçonnais d'avoir tué Arizona se tenait à moins d'un mètre de moi. Il se remettait peu à peu du choc de sa chute et cherchait une arme afin de lutter contre ses agresseurs. Il a fini par ramasser une hache à long manche qui traînait dans le coin.
Davantage sur ce qu'il dégage. Il donne l'impression d'être invincible, dix fois plus costaud que n'importe qui, cent fois plus dur, paré d’une armure que rien n'entame. Ajoutez à cela les rumeurs sur ses liens avec les trafiquants de drogue d'Ellerton, la Harley garée devant le trottoir et le blouson en cuir.
Les appareils bipaient et affichaient par intermittence leurs messages sur les écrans. Logan était d'une immobilité parfaite, son visage avait perdu toutes ses couleurs. Ses épais cheveux bruns étaient coiffés en arrière. J'ai effleuré sa joue.
- Ne nous quitte pas, Logan, ai-je chuchoté. J'ai besoin de toi, pigé ?
Sauf qu'il est mort. Mon pauvre Logan est mort dans la nuit froide et noire en voulant m'aider. Qu'il ne soit plus alors que j'étais vivante – je n'arrivais pas à l'admettre. Logan, qui aurait dû mener une vie heureuse et joyeuse. Je l'ai imaginé assis sur sa véranda, en train de me raconter une blague ou de m'interroger sur la journée que je venais de passer. Son grand sourire, ses yeux pleins de bonté et qui ne mentaient jamais – je ne les reverrai plus.
Mon Logan était mort.
Le coeur des Beautiful Dead ne battait pas non plus. Ils n'avaient pas de sang dans les veines, ils étaient froids et pâles, et voilà que j'apprenais qu'ils n'avaient pas de larmes.
Ma vie est divisée en trois parties. Avant Phoenix : une vie normale. Pendant Phoenix : un tourbillon de bonheur et d’air frais, des baisers estivaux. Depuis sa mort : un monceau de chagrin et de néant. Puis, un jour, j’ai rencontré les Beautiful Dead. Ils m’ont offert de retrouver mon amour… pour toujours.
- Il est le garçon le plus beau au monde. Il me fait rire. Il a des opinions bien à lui. Il plaisante sur ce que les autres considèrent comme sérieux, la politique, l'argent, ce genre de choses. En revanche, il est grave sur ce qui compte - ne pas mentir, être franc. J'adore ça, chez lui.