Eléonore Létourneau

Quand je souris tout craque et je crains de fondre en larmes. Donc, je ne souris pas.

La société du spectacle n’existait plus. Il l’enseignait à son tour comme on lui avait enseigné le cinéma de propagande nazie: pour prévenir la répétition des choses du passé, tout en sachant que ce qui guettait le monde moderne ne pouvait qu’être pire. Louis n’avait pas de réponse aux problèmes actuels. Les nouveaux médias, ses étudiants les connaissaient mieux que lui. Ils avaient grandi avec eux et accueillaient d’ailleurs cette dénomination datée avec l’air narquois qu’il réservait jadis lui-même aux générations antérieures, lorsqu’elles évoquaient le boulevard Dorchester ou la station Berri-De Montigny. Emmurés derrière leurs écrans d’ordinateur, les disciples sceptiques tapaient néanmoins furieusement sur leurs claviers, des notes à n’en plus finir dont Louis n’osait imaginer la teneur. Ils posèrent quelques questions, surtout sur la quantité de lectures à faire et les méthodes d’évaluation, car c’était ce qui les préoccupait par-dessus tout: le travail et les résultats.

je n'arriverai à être moi qu'en me retrouvant ailleurs, mais ailleurs, quand on y reste, devient bien vite ici.

Les plus jeunes, en revanche, ceux de sa génération et de la suivante, se moquaient affectueusement de ce qu’ils appelaient sa «nostalgie révolutionnaire». À leurs yeux, l’idée même de révolution était dépassée, la société contemporaine devait s’ajuster au marché, aux flux économiques et culturels mondiaux; Louis avait toujours détesté le mot flux, qui dressait du monde une cartographie rébarbative. Dans ce département calqué sur le modèle d’une société à laquelle il regrettait parfois d’appartenir, la seule chose qu’il savait encore faire, c’était communiquer cette mémoire de ce que le monde avait été avant le cynisme et l’austérité, à une époque où on espérait encore un avenir meilleur.