Elias Khoury, l'auteur de **
La Porte du soleil**, nous offre avec cette nouvelle épopée palestinienne un brillant roman labyrinthique, tout en poésie, qui vient brouiller nos codes, nos attentes, nos lectures, pour nous ramener au sens de la beauté, de l'existence, de l'humanité.
En librairie le 4 octobre 2023.
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L'Étoile de la mer** d'
Elias Khoury : https://www.actes-sud.fr/catalogue/litterature-etrangere/letoile-de-la-mer
La pitié est le sentiment le plus détestable qui soit, disais-tu. Il ne faut pas avoir pitié de soi, car, lorsqu'un être humain s'apitoie sur lui-même, c'est la fin.
Karim avait tourné le dos à Beyrouth en quittant cette jeune fille qui l'avait longtemps habité. Il n'avait pas menti à Dany en disant qu'il ne l'avait jamais trompée, et ce n'était pas par pudeur ou par fidélité, mais parce qu'il en était incapable. Sa saveur, qui ressemblait à celle des fruits de mer, restait accrochée à ses sens.
Je hais cette phallocratie idiote, je pense qu'elle cache une véritable impuissance chez un grand nombre d'homme.
Samih parlait sans arrêt de son rêve d'écrire un livre qui n'aurait ni début ni fin. Une épopée, disait-il. L'épopée du peuple palestinien. Il commencerait par raconter les détails de la grande expulsion de 1948. Il disait toujours que nous ne connaissions pas notre histoire, qu'il fallait réunir les histoires de chaque village afin que chaque village demeure vivant dans notre mémoire.
...je compose ma vie en l'assemblant, en dénouant ses fils enchevêtrés, en la tissant de nouveau pour confectionner un vêtement unique qui serait aussi mon linceul. C'est cela l'écriture. Ne croyez jamais les écrivains et les artistes: l'art ne triomphe pas de la mort comme l'a écrit Mahmoud Darwich. l'art tisse pour nous un linceul fait de mots et de couleurs, nous nous y enveloppons et nous fermons les yeux sur un espoir désespéré.
Nous avons besoin de nous retrouver dans une autre culture pour découvrir qu'une bonne moitié de nos évidences ne sont en fait que des bêtises.
Je ne leur ai pas parlé des mouches : je n'ai pas pu, je n'ai rien dit, pourtant j'étais décidé à leur en parler. En prenant ma douche, je m'étais dit que l'histoire des mouches allait constituer le clou de la visite. J'allais leur raconter comment j'étais sorti de l'hôpital, comment les fusées éclairantes lancées par l'armée israélienne illuminaient la nuit du camp, comment la nuit s'était transformée en journée de sang et de frayeur.
Samih parlait sans arrêt de son rêve d'écrire un livre qui n'aurait ni début ni fin. Une épopée, disait-il. L'épopée du peuple palestinien. Il commencerait par raconter les détails de la grande expulsion de 1948. Il disait que nous ne connaissions pas notre histoire, qu'il fallait réunir les histoires de chaque village afin que chaque village demeure vivant dans notre mémoire.
Et voici Beyrouth. Un amoncellement de pierres ; des immeubles de béton où le soleil étincelle. La mer est bleue. Elle va se couvrir de marins partis à la recherche d’horizons lointains (…)
Voici Beyrouth ; comme accrochée à la hanche du monde… Mes lunettes noires enlevées, j’ai vu la ville dans sa blancheur. J’étais arrivé. Je descendis la passerelle ; dans l’aéroport, tout le monde courait et se bousculait ; on entendait des bruits d’obus ; quelqu’un près de moi, qui attendait des voyageurs, se plaignit de ce qu’on allait sans doute fermer l’aéroport.
Je descendis la passerelle, mais personne n’était là à m’attendre
Il ne s'agit pas seulement du crime de l'expulsion des Palestiniens hors de leur terre, parce qu'un plus grand crime a été commis après : celui d'imposer le silence au peuple entier. Je ne parle pas du silence post-traumatique selon le jargon des psychanalystes, mais du silence imposé au vaincu par le vainqueur avec la puissance de la langue de la victime juive qui a régné dans le monde,, c'est-à-dire en Occident, après les crimes de la Seconde Guerre mondiale et la barbarie des fours crématoires nazis. Personne n'a entendu les gémissements des Palestiniens qui mouraient en silence et qui étaient expulsés en silence.