Chronique sur l'art du conte, animée en alternance par les conteurs Fabien Delorme et Manuella Yapas.
Pour ce numéro, Fabien présente le Kalevala, l'épopée nationale finlandaise, et il termine par une histoire.
- "Le Kalevala", par Elias Lönnrot, trad. par Gabriel Rebourcet : http://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Quarto/Le-Kalevala
- le site de Fabien Delorme : http://www.fabiendelorme.fr/
- le site de Manuella Yapas : http://www.manuellayapas.fr/
page 102 - "Et le forgeron entra ainsi dans sa maison avec son épouse et ses invités.
Jamais tant de bonnes gens ne s'étaient réunies sous ce toit. Les invités, vêtus de blanc, prennent place et l'on dirait que la forêt couverte de givre est entrée dans la maison. Les parures d'argent luisent comme l'aurore, les bijoux d'or scintillent comme des étoiles.
Jamais sous ce toit, il n'y eut si riche festin.
Avec ses dix doigts légers, la bonne hôtesse, Lokka, a cuit le pain et les pâtés, a brassé la bière, a rôti le porc, a préparé le poisson. Les couteaux tranchants se sont émoussés d'avoir dépecé tant de saumons. Les lames d'acier se sont tordues d'avoir nettoyé tant de lavarets.
Déjà la bière et l'hydromel coulent à flots pour égayer les hôtes. Qui va chanter le premier en l'honneur de ce jour ?
Le coucou seul sait lancer son appel, le barde seul sait lancer son chant. Qui commencerait à chanter sinon le vieux et sage Vainamoïnen ?
Il loue la jeune épouse, et la mère âgée, il loue chacun des hôtes, il loue les beaux-parents. Mais avant tout, il loue le maître de maison, le forgeron éternel, Ilmarinen. Il chante les louanges de celui qui a construit sa demeure dans les marécages, qui a apporté les branches de sapin, les troncs des pins, qui a tiré la tourbe des marais et dépouillé de leur écorce les bouleaux pour bâtir ici une vaste et magnifique demeure."
Voici maintenant que je pars
Avec un autre compagnon
Au sein de la nuit automnale,
Sur le sol glissant du printemps,
Sans laisser trace sur la glace,
Ni marque de pas sur le sol,
Ni traînée de pans sur la neige,
Ni rayure sur le verglas.
Quand je reviendrai dans ces lieux,
Que je reverrai mon logis,
Qui sait si mère m'entendra,
Si père percevra mes pleurs,
Lors même que je gémirais
Sous leurs yeux, tout près de leur tête ?
Un jeune gazon croit déjà,
Un genévrier a poussé
Sur la face de ma nourrice,
Sur les pommettes de ma mère.
(...)
Adieu maintenant, chère chambre,
Avec ton plafond de sapin!
Il sera doux de te revoir,
Beau de te visiter un jour.
Adieu maintenant, vestibule,
Avec ton plancher de sapin !
Il sera doux de te revoir,
Beau de te visiter un jour.
Adieu maintenant, large cour,
Avec tes superbes sorbiers!
Il sera doux de te revoir,
Beau de te visiter un jour.
A vous tous je fais mes adieux,
Terres, forêts riches en baies,
Chemins bordés de mille fleurs,
Landes couvertes de bruyère,
Lacs semés d'îles par centaines,
Profonds golfes à lavarets,
Monts couronnés de grands sapins,
Vallons cachés sous les bouleaux!
Le froid m'a fredonné des chants,
La pluie a murmuré des mots,
Le vent m'en ont chanté maint autre,
Maints autres, les flots de la mer,
Les oiseaux ont fourni des sons,
Les cimes des arbres, des vers.
Le désir têtu me démange
l'envie me trotte la cervelle
d'aller entonner la chanson,
bouche parée pour le chant mage
égrenant le dit de ma gent,
la rune enchantée de ma race.
[...]
Ce sont les mots de l'héritage,
runes tournées au baudrier
du vieux Väinämöinen,
sous la forge d'Ilmarinen,
l'épée de Lemminkäinen,
l'arc de Joukahainen
au fin fond des champs de Pohja,
les landes du Kalevala.
Le vieux Väinämöinen parla,
Et les mots qu'il dit les voici :
"A qui rapporterait mes larmes,
Recueillerait les gouttes d'eau
Au fond des ondes transparentes,
J'offrirais un manteau de plumes."