la prison, c'est ce qui nous entoure. Nous sommes tous prisonniers des circonstances, des habitudes, de nos faiblesses, de notre généalogie et pour finir, de notre corps qui nous dicte comment vivre. Quant au petit appartement où on passe sa vie, ses verrous sont plus solides et ses murs plus épais que ceux de cette cellule.
Cette ville n'est-elle pas un cachot ? Vous y vivez comme derrière des barbelés et le reste du pays vous est inaccessible, exactement comme la liberté pour des prisonniers : on dirait que vous êtes tous condamnés...
Notre vie abrite des milliers d'émotions et de sentiments, mais il y en a toujours un qui prend le dessus et devient le leitmotiv de notre destin. Certains choisissent de souffrir, d'autres d'être amoureux, les troisièmes d'être passionnés, si bien que pour eux la vie tout entière est une aventure trépidante. D'autres mettent au cœur la soumission et vivent comme des souris grises ; ceux-là aiment, travaillent ou tuent docilement. Et puis il y a ceux qui rêvent leur vie et la vivent comme endormis et qui, lorsqu'ils meurent, ne sont même pas conscients d'avoir vécu. C'est vous qui choisissez ce que vous voulez faire de votre vie. Ne vaut-il pas mieux la fonder sur la base de la réussite ?
L'individu est enfermé dans sa destinée comme dans une cellule d'isolement, et sa condamnation est sans appel. Nous sommes les otages de notre sexe, de notre âge, de notre ville et de notre pays, de notre famille, de notre travail; même notre nom pend à notre cou comme au cou d'un noyé. Mais au fond de nos yeux, il y a nos rêves, nos habitudes, nos craintes, les échecs que l'on essuie et qui transpirent dans chacun de nos actes, nous transformant en otage de notre propre biographie.
Il y a peu de gens qui restent vivants jusqu'à leur mort, petite ; le plus souvent, ils sont déjà morts de leur vivant.
Il arrive qu'on ouvre un macchabée et que dedans tout a été bouffé de son vivant. Et qu'est ce qui l'a bouffé, tu crois ? C'est la solitude, petite, elle nous bouffe tous ... Parce que ce n'est pas la vodka qui nous tue, ni l'infarctus, ni le cancer, non, c'est la solitude.
Tout est illusoire. Iva riait. Les sentiments, les souhaits, les pensées, les mots, les rêves, les promesses, tout est trompeur, tout est mensonger. Les gens se prosternent devant des dieux imaginaires, ils apprennent une histoire inventée, ils lisent et relisent l'histoire montée de toutes pièces de la vie de héros qui n'ont jamais existé; et, avec le temps, les personnages littéraires ont plus de réalité que des gens qui ont vécu à une époque donnée. Ils croient aux rumeurs et aux prédictions, se laissent abuser par les superstitions, se mentent les uns aux autres comme à eux mêmes, et ne voient pas le monde tel qu'il est mais comme ils aimeraient qu'il soit.
On voyait tant de choses chaque jour au poste de police qu'on pouvait en perdre la vue mais seuls les murs avaient des oreilles ; les conversations sur la pègre se tenaient dans des bureaux sales et enfumés et le soir, quand le poste se vidait, la vieille femme de ménage les balayait avec la poussière si bien qu'elle savait tout ce qui se tramait dans la ville. Quant aux policiers, ils oubliaient ce qu'ils entendaient en moins de temps qu'il ne leur fallait pour remplir les procès-verbaux. (p.108)
Est-ce que les loups détestent les lapins quand ils sont sur leur trace, ou lorsqu'ils les mettent en lambeaux pour les apporter à leurs louveteaux ? Et les grenouilles, est ce qu'elles détestent les mouches qu'elles bouffent ? Et les moustiques, ils nous détestent quand ils boivent notre sang ?
Mais les animaux, c'est pas pareil.
C'est exactement comme pour nous. Simplement, il y a des gens qui naissent lapins, et d'autres, loups. Les uns sont des prédateurs, et les autres, des proies.
« Il n’y a que dans les séries policières que le bien triomphe du mal » lui disait le vieux juge d’instruction en rigolant et en lui donnant une petite tape sur la tempe. Lui avait gravi deux par deux les échelons de sa carrière.
« Et dans la vie ? C’est le mal qui triomphe du bien ? » Pitchouguine le défit du regard.
« Dans la vie, ils sont de mèche ! » L’autre lui riait au nez.
On te dit qu'il faut vivre pour les enfants : c'est des balivernes ! Tes enfants à toi, pourquoi ils vivront ? Pour leurs propres enfants ? Et ces enfants, pour qui ils auront vécu ? Ils vivront pour leurs enfants à eux et ainsi de suite, jusqu'à la saint-Glinglin. Mais alors, qui vivra pour toi ?