A l'occasion des Imaginales 2022, nous avons pu discuter avec Ellen Kushner au sujet du Privilège de l'épée, qui vient de paraître aux éditions Actusf.
« Mon nom est Thomas. On m'appelle le Joueur de Harpe, et parfois aussi le Rimeur, quand je me mêle de faire quelque chose de nouveau, au lieu de voler leurs chansons aux morts.
– Cette manie d'avoir toujours du nouveau, a lancé Meg avec un reniflement de mépris. Y a pas de déshonneur à s'en tenir à ce qui est ancien et éprouvé. »
Je gisais épuisé, pressé contre le sol, baigné de sueur. La Reine des Elfes, vêtue de pied en cap, se dressait au-dessus de moi. Elle fit courir un doigt frais le long de mon épaule et suça ma sueur d'une langue délicate. « Que tu chantes bien, dit-elle. Maintenant, lève-toi, Thomas, et habille-toi, car nous avons un long voyage devant nous.
– Quoi ? » marmonnai-je. L'odeur de la terre automnale était poignante contre mes narines, si douce que j'avais envie de pleurer.
« Il faut venir avec moi. Ton corps m'appartient, comme je te l'ai annoncé. Tu seras à moi pour sept ans ; et pendant tout ce temps, tu me serviras de la façon qui me plaira le mieux. Viens, Thomas, lève-toi. »
Thomas le Sincère se reposait sur un talus
Quand le pays des fées lui apparut
Et il y vit une brillante personne
Arriver à cheval près de l'Arbre d'Eildon.
De soie verte était sa jupe éclatante,
De fin velours était sa grande mante,
Et chacun des crins de son cheval blanc
Portait cinquante et neuf clochettes d'argent.
(Chansons traditionnelles)
— On ne se bat à mort que pour l'une ou l'autre de deux raisons : le pouvoir ou l'argent.
— Et l'honneur ?
— Que croyez-vous que l'honneur achète ?
[...] dans le cœur d'un amoureux un passé et un futur qui ont jamais existé sont quelquefois plus clairs que le présent qui existe.
Depuis les hauteurs célestes, les actions arbitraires de la vie semblent arrangées comme un paysage de conte de fées, peuplé de figures excentriques et charmantes. Les scintillants observateurs réclament des doses vitales de joie et de douleur, des revers de fortune soudains, de sinistres présages et des trépas inattendus. La vie elle-même se déroule selon ses modalités imprévisibles et infinies – tellement différentes de la danse mesurée des étoiles – jusqu'à ce que, pour satisfaire leur amusement, les guetteurs choisissent un point où s'arrêter.
A l’intérieur, je découvris une scène nocturne : une immense salle remplie d'Elfes en train de festoyer, au son de musiques variées, avec au centre des acrobates en pleine activité - une scène comme j'en avais vu d'innombrables sur Terre, à cette différence près qu'ici certains courtisans avaient des ailes ou des cornes, certains acrobates des pieds de chèvre ; et que tout était brillamment illuminé par la froide lumière bleue des flambeaux, ce qui donnait à l'ensemble une apparence marine, comme si le banquet se déroulait au fond de l'océan.
J'eus le dos parcouru de frissons. Ce n'était pas une voix humaine, mais ce n'était pas non plus la voix d'un oiseau. On aurait dit qu'une flûte avait soudain pris vie et acquis la parole en plus de la musique.
(P217)
Pour la première fois depuis que j'étais monté sur le cheval magique, je songeai à Elspeth. Il me sembla la voir telle que je l'avais vue lors de notre première rencontre ; comme ceux d'un homme qui se noie, mes souvenirs des instants que nous avions partagés défilaient dans mon esprit, criants de vie, clarifiés par la distance des belles légendes, des chansons. Il était étrange que son image fût si vivante dans mon esprit, tranchant sur les lumières irréelles du Pays des Elfes. Comme elle aurait aimé être avec moi en ce moment ! Elle qui avait tant envie de lointains voyages et de spectacles extraordinaires, elle qui mettait du lait devant la porte pour le Petit Peuple...
Les Elfes sont de piètres menteurs ; ce ne sont même pas de très bons conteurs, en tout cas selon nos critères : la plupart de leurs contes manquent d'imagination, car, ayant à leur disposition le riche matériau du Pays des Elfes, ils n'en ont guère besoin.