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5/5 (sur 2 notes)

Nationalité : France
Né(e) à : Izieux , 1880
Mort(e) : 1914
Biographie :

Emile Nolly (Pseudonyme de Emile-Joseph Détanger)
Il entre à l'Ecole de Saint-Cyr le 31 novembre 1899. A sa sortie, il est nommé Sous-lieutenant d'infanterie le 1er octobre 1901 et affecté dans l'armée coloniale au sein de laquelle il atteint le grade de Lieutenant le 1er octobre 1903. Tour à tour, il est impliqué dans les conflits de Cochinchine, du Cambodge, du Tonkin, puis du Maroc en 1913; conflits dont il tire la matière d’écrits que publient la Revue de Paris, le Matin, Le Journal du dimanche et le Figaro. Attaché au cabinet du ministre des colonies, il est engagé dans la Première Guerre mondiale et sollicite aussitôt un commandement. Il est versé au 43e régiment d’infanterie coloniale et part sur le front de Lorraine. Le 10 août 1914, il reçoit une première blessure; puis une seconde, mortelle, le 31 août qui lui vaut de se voir décerner une citation à l’ordre de l’armée. Il est enterré dans le petit cimetière de Blainville-sur-l'Eau, près de Lunéville, le 5 septembre 1914. Il obtient en 1915 à titre posthume le Grand Prix de Littérature de l'Académie française créé en 1912 et destiné à couronner l'ensemble d'une œuvre littéraire.

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Source : http://www.lettresdumekong.fr
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Citations et extraits (7) Ajouter une citation
Entre les coques blanches et effilées des baIeinières, le petit canot vert pomme s'insinua. Hiên ramait et l'Aïeul tenait la barre. Ils contournèrent l'appontement, évitèrent un lourd ponton ancré dans le sable et gagnèrent le large. Ils longèrent les jonques assemblées au milieu de la baie; les pêcheurs assis en rond sur les roufs couleur de rouille leur souhaitèrent en riant une heureuse traversée; ils passèrent... La houle les prit et les balança sans violence.
L'Aïeul demanda subitement :
- Aimes-tu toujours Maÿ, petit frère ?
Hiên faillit, ainsi interpellé, lâcher ses rames pour assurer son turban et bredouilla confusément :
- Si j'aime Maÿ ?... Si j'aime Maÿ ?...
- Ne te trouble pas, je ne me moque pas. Réponds à ma question : aimes-tu toujours Maÿ ?
- Je l'aime toujours.
- Autant qu'au premier jour ?
- Davantage, Aïeul à deux galons !
- Sens-tu qu'il te serait impossible de renoncer à elle ?
- Comment pourrais-je l'oublier ? Je ne puis passer un seul jour sans l'avoir vue; il faut que je la voie, que je l'entende parler. Elle est dans mes yeux, dans mes oreilles, dans mon cœur, dans toute ma chair. Comment pourrais-je l'arracher de moi ?
- Tu l'aimes à ce point ?
- Au point que tout ce qui me vient d'elle me semble doux, que, faute d'obtenir son sourire, je mendie ses rebuffades. Je suis comme le chien qui sait qu'il va recevoir un coup de trique, mais qui rampe tout de même vers son maître pour lui lécher les mains.
- Je connais ton mal; j'en ai souffert autrefois. J'ai guéri. Tu peux guérir encore.
- Quel est le remède, Aïeul ?
- Renonce à Maÿ. Elle n'est pas faite pour toi. Tu es simple, elle est compliquée; tu es franc et honnête, elle est perverse et fausse. Tu es pauvre : elle raffole des bijoux, des belles tuniques, des piastres neuves, toutes choses que tu ne pourras lui donner... Il te restait une chance de bonheur : elle admirait ta force. Elle a perdu la tête, un instant, en ton honneur: tu as été assez niais pour te dérober... Elle ne te pardonnera pas de l'avoir respectée; tu as perdu à ses yeux ton prestige de solide gaillard pour n'être plus définitivement qu'un nigaud maladroit. Tu as passé à côté du bonheur,
ne t'acharne pas à courir après. Il y a d'autres filles que Maÿ.
- Aïeul ! Aïeul ! Quelle fille est pareille à Maÿ ?
- Je connais cette antienne, je l'ai chantée. Et je ne la chante plus. Tu sauras que les femmes sont toutes pareilles les unes aux autres; elles se valent toutes. Celles qui paraissent meilleures, il ne leur a manqué, à celles-là, que l'occasion de faillir... Du moins, si tu dois te marier, faut-il t'arranger pour mettre le plus possible d'atouts dans ton jeu : choisis une bonne grosse fille qui ne soit pas détraquée ni vicieuse.
- Je ne pourrai pas, je ne pourrai pas oublier Maÿ, gémit lamentablement le pauvre Maboul.
- Tu l'oublieras, petit frère... Tu souffriras, parbleu ! Tu passeras des nuits blanches; il t'arrivera d'errer anxieusement autour de la case de la bien-aimée; tu n'auras plus de cœur à rien. Puis, un beau matin, tu laisseras pour toujours sur ton lit de camp ton cauchemar mauvais; tu jugeras que ton idole est une ridicule pimbêche ; tu brûleras gaiement ce que tu avais adoré. Tu seras grand, fort et joyeux, parce que connaissant les femmes et les méprisant. Tu seras heureux !
- Maÿ seule pourrait me donner le bonheur !
- Il ne peut venir des femmes que deuil et malheur. Oublie Маӱ.
- Je ne peux pas, je ne peux pas l'oublier !
- Alors oublie tout ce que je t'ai dit. Du moment que tu tiens absolument à épouser cette petite fille et que tous mes arguments ne peuvent prévaloir contre ton amour, épouse-la. Je peux me tromper, du reste, et je le voudrais. Je ne demande pas mieux que de te voir marié, père de nombreux enfants, choyé par ta compagne, heureux enfin. Je ne veux qu'une chose : ton bon- heur; et puisque, d'après toi, il réside uniquement dans ton mariage avec Maÿ, je ferai venir, ce soir, le sergent Cang et je renouvellerai ma démarche...
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Bèp-Thoï coiffa la lampe trapue de son abat-jour de papier où quelque amateur avait figuré à l'encre de Chine une charge de cavaliers tartares. L'Aïeul bourra sa pipe, l'alluma et, renversé sur son fauteuil, envoya vers le plafond des cercles de fumée blanchâtre.
Devant lui, sur le bureau de bois brun, un singe japonais taillé dans l'ivoire grimaçait abominablement, campé sur une pile de vieux journaux; un coupe-papier d'argent où s'étalaient les quatre feuilles de trèfle symboliques, souvenir glissé sur le quai de la gare dans la poche du neveu partant, fraternisait, dans une coupe de métal embouti et doré, suprême épave d'un lointain cotillon, avec une lame rouillée qu'un chef moï avait échangée contre une pipe de bruyère en signe de fraternité; une armée de crayons, de bâtons de cire, de canifs, submergeait le fond d'un plateau en bois de teck, masquant un surprenant paysage de nacre où des cerfs monstrueux fuyaient entre des arbres rabougris.
Sur les étagères, des romans et des revues s'entassaient en piles fraternelles, Anatole France coudoyant Loti, Pierre Veber donnant la main à Myriam Harry.
Sur des écrans de plumes de marabout, des photographies parlaient des colonies jadis visitées et des camarades morts : celui-ci, ami d'enfance, foudroyé par le tétanos; celui-là, traîtreusement assassiné par des pagayeurs sur le Niger; un autre, voisin d'étude à Saint-Cyr, fauché par le choléra; tous des jeunes gens, presque des adolescents, souriants dans leurs dolmans pâles... Et l'Aïeul songea qu'à travers les siècles un peu de l'âme aventureuse des croisés était passé dans l'âme des « coloniaux ». Pourquoi étaient-ils partis, ceux-là, sachant bien que la mort les guettait, glorieuse parfois, mais plus souvent hideuse et lamentable, la mort tapie dans l'eau infecte des mares, dans l'humus des forêts, dans la boue des rizières, la mort sous la moustiquaire d'un lit d'hôpital ? Ne furent-ils pas victimes d'un mirage merveilleux, suscité par des lectures d'autrefois, mirage de Pavillons-Noirs ou de marchands d'esclaves à occire, mirage de missionnaires martyrisés à venger, mirage de pays enchanteurs où, sous le soleil perpétuel et éblouissant, s'épanouit une végétation exubérante, mirage d'amours exotiques ? Ou plutôt ne furent-ils pas chassés de la mère-patrie par l'invincible écœurement de la vie moderne, plate et sans saveur, et que déshonorent la lâcheté pratique des bourgeois et l'incurable brutalité de la foule ?... Ils sont morts, mais furent heureux, puisqu'ils vécurent leur rêve.
Au-dessus du bureau, trois masques de samouraï ricanaient douloureusement, des moustaches de crin plantées dans leurs lèvres de plâtre verni. Un faisceau de sagaies moï luisait dans la pénombre, rayonnant autour d'un petit bouclier de bois de fer fretté de cuivre rouge.
Deux fusils à pierre allongeaient leurs canons de fer et leurs crosses, incrustées d'ornements de tôle découpée, sur chaque flanc d'un panneau de soie où des artistes khmers avaient peint minutieusement une scène de chasse copiée dans la pagode royale de Phnom Penh. Une tenture à demi, relevée laissait entrevoir dans une autre chambre obscure le lit autour duquel s'agitait l'ombre falote de Bèp-Thoi : un brodeur de Bắc Ninh avait tracé sur le satin pourpre une touffe de bambous trempant leurs racines jaunes dans l'eau d'un marais que traversaient d'un vol foudroyant deux martins-pêcheurs.
À chaque angle de la pièce, des bouddhas de bois laqué dormaient sur leurs stèles noires; des cycas déployaient à leurs pieds des gerbes de lances vertes et luisantes; au-dessus de ces faces ironiques et sournoises flottaient les plis de soie d'étendards chinois à hampe de bambou. Contre les murs, des génies brodés sur la soie jaune enlaçaient leurs pattes de chimères et leurs corps de serpents, dardaient d'horribles yeux blancs et crachaient du feu par les naseaux. Surplombant les portes, des lanternes de papier huilé et couleur d'or balançaient leurs ventres badigeonnés de caractères vermillon.
Par-delà les vérandas, la brousse sombre ondulait jusqu'à la route; un chien aboyait derrière quelque case indigène noyée sous les bananiers. Dans le ciel noir, où grouillait le troupeau des étoiles, la montagne du Phare profilait sa masse grise où s'allumait et s'éteignait une étoile énorme et rouge.
L'Aïeul s'accouda sur la balustrade de pierre et se réjouit silencieusement de la nuit profonde et parfumée.
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- Guéris-moi, vieille mère ! gémit Hiên le Maboul.
- Guéris-le, répéta l'Aïeul. Il t'a dit son mal : son âme et son corps souffrent.
Thi-Teu souffla sur la mèche du quinquet : la flamme dansa; les dorures des bouddhas enfumés s'avivèrent; dans le visage osseux et desséché de la vieille femme, les yeux s'illuminèrent entre les paupières plissées. Les mains déformées se joignirent sur la poitrine drapée d'étoffe blanche, les lèvres incolores murmurèrent des invocations incompréhensibles. Au dehors, la nuit se peuplait de lucioles errantes qui chatoyaient entre les fûts vagues des cocotiers.
La guérisseuse parla :
- Aïeul à deux galons, je ne puis oublier que tu as fait rebâtir ma case détruite par l'incendie, que tu m'as protégée contre les bandits qui m'accusaient de sorcellerie et voulaient me bannir du village. Je ne puis oublier que je t'ai veillé aux heures de fièvre et que tu m'as permis de t'aimer comme un fils. Je soignerai ton serviteur comme je t'ai soigné. Les mauvais esprits sont en lui : je vais essayer de les chasser.
Devant la table haute et étroite où se dressaient, parmi les chandeliers de bois et les fleurs de lotus, le panneau sacré de teck incrusté, Hiên le Maboul s'agenouilla et se prosterna, les coudes et le front contre terre, les mains réunies en coupe sur la nuque; trois fois il se prosterna, puis s'immobilisa dans la poussière. Les baguettes d'encens fumaient, le bronze tintait sous les coups répétés du marteau de bois, les lèvres pâles de Thi-Teu prononçaient avec volubilité des formules d'incantation. L'Aïeul pensif s'éloignait entre les cocotiers. Les baguettes d'encens s'éteignirent, la mélopée s'acheva. Hiên soupira, se leva :
- Tes prières sont inutiles, vieille mère, le mal ne m'a point quitté.
- Je ne puis rien faire de plus; ma science est impuissante. Je puis chasser la fièvre du front ardent, rendre la souplesse aux membres engourdis par les rhumatismes, je connais les herbes qui cicatrisent les plaies, je connais les paroles qui rendent le calme aux ensorcelés; mais comment pourrais-je donner le bonheur aux affligés ? Est-il en mon pouvoir de rendre sa richesse à l'homme ruiné ? À l'amoureux le cœur que la femme lui a volé ? Sache que la douleur est inévitable et universelle. Tu as vécu, sans doute, dans l'ignorance de la vie, sans entendre le cri de l'humanité misérable. Tu n'es pas heureux, dis-tu ? Va-t'en et dénombre sur ton chemin les cœurs satisfaits et tranquilles, les gens heureux !... Ton maître n'est pas heureux : l'idée de la vieillesse qui vient à lui lentement trouble sa contemplation silencieuse des hommes et des choses. Suis-je heureuse, moi qui végète, seule et pauvre, dans cette cabane, moi qui ai soulagé tant d'infortunes et qui suis impuissante à me guérir moi-même de l'épouvante de la mort proche ?... Les bêtes ignorantes ont le bonheur; tu étais pareil à elles; tu as voulu vivre comme les autres hommes : vis donc comme eux et ne t'étonne pas de souffrir comme eux. Je ne puis rien pour toi.
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Lorsque Hiên le Maboul, attrapant par le fond de sa culotte ce mauvais plaisant de Phuc, l'envoya rouler par-dessus la levée de pierres sèches, il était loin de se douter que son haut fait lui vaudrait le bonheur. Il en est ainsi pourtant: les railleurs sont fixés désormais sur la ligne de conduite à suivre, et si quelqu'un songeait encore à décocher quelque quolibet à l'ancien souffre-douleur, la vue des grosses mains dures et poilues et le souvenir du traitement qu'elles infligèrent au loustic imprudent suffiraient à le détourner de son projet. Les bourreaux de Hiên ont tous désarmé: Pietro, par crainte de l'Aïeul, et les autres, par crainte des poings rocailleux.
Maÿ s'est humanisée. Non que son dédain pour l'amoureux tremblant se soit atténué; mais elle éprouve à son endroit cette curiosité malsaine et irrésistible qui pousse beaucoup de femmes vers la force brutale. Il n'est plus pour elle le timide Hiên, le gauche et ridicule esclave qui balbutie des mots incohérents, le balourd aux mains frissonnantes : elle ne voit plus en lui que le lutteur qui précipita dans le sable de la plage le misérable Phuc, le glorieux lutteur dont les muscles se gonflaient, dont le visage s'était transfiguré dans l'ardeur du combat. Sa chair, qui a frémi pendant que les deux hommes étaient aux prises, s'émeut encore à l'image de la bataille et du vainqueur.
De cette émotion, Hiên le Maboul n'a rien deviné; il sait seulement que les regards de son idole ont parfois pour lui des douceurs inespérées; il sait que Maÿ s'efforce de le moins rudoyer, et il se figure, incurable nigaud, qu'il a désarmé son hostilité à force de soumission aveugle et d'humble dévouement.
L'Aïeul a bientôt surpris la flamme allumée dans les yeux de la fillette; il est fixé sur la nature toute matérielle du feu interne d'où cette flamme a jailli et dès maintenant se croit assuré de la marche future des événements. Quelque jour, un fossé prêtera son talus complaisant à l'amoureux transi et à la poupée incandescente... Hiên le Maboul confiera son secret à l'Aïeul, l'Aïeul narrera la chose au vieux Cang et l'on mariera sans tarder les deux coupables... N'est-ce point là ce que rêve Hiên, après tout ?... Et ils auront beaucoup d'enfants et ils seront très heureux : conclusion toute naturelle et morale d'un acte naturel et nullement immoral, dans ce pays où fleurit le mariage libre, où la virginité ne constitue point pour les jeunes filles une dot indispensable...
En attendant d'échanger avec Maÿ le bétel et la noix d'arec, Hiên nage dans la béatitude : l'amour est entré dans sa vie et il découvre que la vie est un paradis terrestre. Cependant il continue de s'instruire, et, n'étant plus troublé par les brimades et les rebuffades, il fait des progrès foudroyants.
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