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Critiques de Éric Vuillard (1116)
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L'ordre du jour

« Messieurs, vous venez d'entendre le chancelier Hitler, nous voulons une victoire aux élections du 5 mars pour stabiliser l'économie de l‘Allemagne, éradiquer les communistes et les opposants et supprimer les syndicats pour rétablir le pouvoir du chef d'entreprise. Je vous prie donc de cracher au bassinet ». C'est à peu près en ces termes que le président du parlement Goering s'adresse aux 24 industriels et banquiers convoqués le 20 février 1933. Les millions de Deutsche Marks de la compromission du grand capital au régime nazi assurèrent la fortune de ces familles qui règnent encore aujourd'hui et qui s'appellent Krupp, Siemens, Opel IG Farben, Telefunken, Bayer, BASF… Fortune construite sur le dos des prisonniers des camps de concentration notamment.



Ce petit chef d'oeuvre historique d'Eric Vuillard rempli d'ironie grinçante, relate une suite de rencontres déterminantes entre 1933 et 1938. le rêve d'Hitler est d'unifier les pays de langue allemande en une Grande Allemagne dont il serait le maître absolu. En 1936, il signe l'Accord germano-autrichien qui reconnaît l'intégrité de l'Autriche et la non-ingérence de l'Allemagne. En 1938, soutenu par les nazis autrichiens, civils et membres du gouvernement, il arrache un nouvel accord au chancelier Schuschnigg, remplacé illico par le sinistre Arthur Seyss-Inquart.



La rencontre entre Schuschnigg, qui invoque des règles de droit, et Hitler, qui fulmine devant tant d'audace, vaut son pesant de cacahuètes. « Hitler est hors de lui… A bout de nerfs, à vingt heures quarante-cinq exactement, il donne l'ordre d'envahir l'Autriche… le fait accompli n'est-il pas le plus solide des droits ? On va envahir l'Autriche sans l'autorisation de personne, et on va le faire par amour » (pp. 82-83).



Le 12 mars 1938, alors que les troupes allemandes et les blindés quelque peu récalcitrants de Guderian entrent dans une Autriche accueillante, un dîner mémorable se déroule au 10 Downing Street au cours duquel von Ribbentrop, ambassadeur d'Allemagne en Angleterre, abuse sans vergogne Chamberlain, premier ministre, Churchill et Cadogan, des Affaires étrangères, en racontant ses exploits tennistiques.



A se demander comment ces hommes à hautes responsabilités, Anglais autant que Français, ont fait pour se laisser impressionner et intimider par la stratégie de manipulation du démiurge, Hitler, qui observe les deux grandes puissances s'empêtrer dans leurs problèmes intérieurs. Il prévoit déjà de les faire plier à sa volonté, ce qui conduira aux Accords de Münich de septembre 1938 qui scellent l'annexion des Sudètes à l'Allemagne et le début de la Deuxième Guerre mondiale.



Ce qui fait la richesse passionnante de ce livre est le questionnement constant de l'auteur sur l'attitude de ces hommes politiques : ignorance ou légèreté, aveuglement ou crédulité, expectative ou manque d'anticipation, laxisme ou manque de courage ?



Deux autres moments intéressants : celui de la propagande nazie et les lectures au procès de Nuremberg. Eric Vuillard est également cinéaste et il ne lui a pas échappé que tous les documents liés aux discours d'Hitler et à l'hystérie collective qu'il suscitait, sont des films de matraquage orchestrés par Josef Goebbels. On sait qu'il recrutait à tour de bras des militants nazis dans tout le pays. On sait qu'Hitler répétait sans relâche ses gestes théâtraux devant le miroir. On sait combien il trouvait juste et bon d'être acclamé partout où il passait. Mais on sait aussi qu'une partie des Allemands, après avoir cru à l'espoir de rendre au peuple sa fierté, a vécu la terreur exercée par ce régime salvateur. Alors, les images : mises en scène, montage ou réalité ? Nous ne le saurons jamais.



Lors du procès de Nuremberg, quel ne fut pas l'étonnement de certains inculpés d'entendre des communications téléphoniques de 1938 ou des extraits de leurs écrits sensés passer leurs consciencieux états de service à la postérité. Les juges ont appliqué les mêmes techniques d'information à outrance de Goebbels aux accusés, sans emphase ni applaudissements.



Ce récit est une remarquable approche des éléments fondateurs de la Deuxième Guerre mondiale, certainement basé sur une documentation colossale et pourtant ramassé sur 150 pages. Un exploit de clarté et d'intelligence.



Mon ordre du jour : continuer à lire Eric Vuillard.

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L'ordre du jour

"L'Ordre du Jour ", c'est « Écoutez nos capitulations »,- l'anti « Écoutez nos défaites » de Laurent Gaudé, avec son lyrisme assez pompeux, voire pompant.



Un Goncourt mille fois mérité !



Un OVNI aussi : ni récit, ni témoignage, ni roman, encore moins roman historique, même si c'est cette histoire-là qui me passionne et m'intéresse. Un pamphlet, peut-être, vu la vivifiante ironie qui y règne, un essai, sans doute un peu, tant la personnalité de l'auteur imprègne le récit des faits, façonne la trame et vitriole le ton !



On l'a beaucoup dit : Eric Vuillard revisite le mythe de l'Anschluss, de cette invasion « fulgurante » par Hitler de son Autriche natale –et consentante- …avec des blindés caduques et inopérants, qui sont tombés en panne en cours de route !



Mais ce n'est pas avec cette opération militaire qu'il inaugure son livre –opération d'ailleurs revue et corrigée ensuite par les films de propagande de Goebbels- avec acclamations post- enregistrées, comme dans les plus minables sit-com américaines- et qui ont tellement bien réussi leur coup de pute- pardon, de pub- que ce sera cette image nazie trafiquée qui restera seule dans nos petites mémoires occidentales influençables.



Écoutez nos capitulations….



Le récit commence par la séance du 20 février 1933 dans le Reichstag, pas encore incendié, avec les patrons de tout ce que l'Allemagne compte d'industries florissantes - Krupp, Siemens, Bayer, Opel, etc…- face à un Goering, tout nouveau président du Reichstag, à peine poli.



Vingt-quatre chevaliers d'industrie dociles, le petit doigt sur la couture du pantalon, sont invités à collaborer étroitement avec le nouveau chancelier, Adolf himself, qui les gratifie d'une courte visite, avant que Goering ne revienne à la charge, les invitant à cracher au bassinet. Ce qu'ils font, sans ciller.



Mais Eric Vuillard aussitôt actualise le propos : « Ils sont là, parmi nous, entre nous. Ils sont nos voitures, nos machines à laver, nos produits d'entretien, nos radios-réveil, l'assurance de notre maison, la pile de notre montre. Ils sont là partout, sous forme de choses. Notre quotidien est le leur »



Écoutez nos capitulations…



Le ton est donné : que ce soit la rencontre d' Hitler avec l'ambassadeur d'Angleterre, lord Halifax (si plein de morgue aristocratique qu'il prend d'abord le Führer pour un laquais !), que ce soit l'entrevue au Berghof du pauvre Schuschnigg, le nouveau chancelier- dictateur pusillanime d'Autriche, venu en tenue de ski, face à un Hitler éructant et vociférant, quelques jours avant la fameuse opération d'annexion de l'Autriche , que ce soit la soirée mondaine et hautement tennistique, au 10, Downing Street, avec les Ribbentrop en guest stars, sur fond d'annonce de l'Anschluss, que ce soient les accords de Munich, enfin, tout n'est qu'une honteuse revue de capitulations en série…



Mus par la morgue, la fatuité, les conventions, les apparences, la courtoisie old fashion , et surtout, surtout, par leur incommensurable lâcheté, les élites, les hommes de pouvoir, les gens de biens (au pluriel), capitulent tous devant la menace, la grossièreté, les rodomontades d'un « ramassis de bandits et de criminels ».



Le bluff et le kitsch triomphent. La violence gagne. Haut la main. C'est un hold up généralisé.



Au point que la vague impressionnante des suicides, au moment de l'Anschluss, fait office d'acte de résistance. Celle des humbles, des sans-grade, celle des Alma Biro, des Karl Schlesinger, des Helene Kuhner, des Leopold Bien. La grande histoire les a tous oubliés, et leur a préféré le parapluie de Chamberlain, le bonnet de ski de Schuschnigg.



C'est un vrai honneur que rend, dans son petit livre incisif et vibrant, le talentueux Eric Vuillard à Alma, à Helene, à Karl, à Leopold…



Il y a une façon de tomber qui honore ceux qui tombent : quand ils décident de le faire pour ne pas voir la chute ignoble et grotesque de ceux qui croient rester debout parce qu'ils restent vivants, alors qu'ils tombent, qu'ils tombent honteusement, ridiculement, interminablement.







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La guerre des pauvres

La guerre des pauvres d'Éric Vuillard ou la révolution des consciences



Au XVIe siècle l'invention de l'imprimerie va permettre la diffusion des livres, à commencer par le premier d'entre eux, la Bible, autorisant ainsi sa relecture mais aussi des réinterprétations possibles lourdes de conséquences : « Ainsi, en trois ans, on en fit cent quatre-vingts, pendant qu'un seul moine, lui, n'en aurait copié qu'une. Et les livres s'étaient multipliés comme les vers dans le corps. » L'invention de Gutenberg va révolutionner les âmes et le monde.

La « grande querelle » peut commencer.



Il s'appelle Thomas Müntzer, il prêche la Parole divine en Saxe d'où il est chassé avant de s'installer en Bohème. Nous sommes aux alentours de 1520. Cet homme d'Église croit en une chrétienté authentique et pure et que tout est dans les Évangiles. Il pense qu'il existe « une relation directe entre les hommes et Dieu ».

Dans ce cas, pourquoi autant de prélats, et surtout pourquoi autant d'apparat. Pourquoi l'Église s'essouffle-t'elle à exhorter les pauvres à accepter leur sort, sans faire voeu elle-même de pauvreté. Dieu serait-il du côté des riches ?

Ses pensées dérangent, mais ses idées se diffusent à mesure de ses sermons, alors que non contente d'être diffusée, la Bible sera traduite, démultipliant ainsi sa relecture, à condition de savoir lire bien sûr... Les soutiens affluent, aussi vite que les détracteurs s'organisent.

Le conflit est inévitable.



« Si Dieu avait condamné certains hommes à vivre dans la servitude et d'autres à vivre libres, il les aurait sans doute désignés » : ces paroles sont de John Ball, vers 1370. Terreau pour l'idée d'une certaine « égalité des âmes ». « Contre l'argent, la force et le pouvoir » : ces pensées révolutionnaires déchaînent la foule des injustices.

Mais les puissants sont armés, la fougue du coeur sera-t'elle plus solide que leurs armures ?

Éric Vuillard introduit ainsi dans ce texte très court l'idée de la Réforme et l'histoire de la chrétienté, mais aussi la diffusion d'idées révolutionnaires contre l'ordre établi.

Des idées étonnamment contemporaines : « Il parlait d'un monde sans privilèges, sans propriété, sans État », et qui résonnent avec notre actualité : « le fond devint social, enragé ».

L'auteur de L'Ordre du jour, prix Goncourt 2017, revient ici avec un roman historique au style épique et idéaliste, chantant une poésie teintée de réalisme concret. Un roman dans lequel il continue d'explorer l'idée de révolution qu'il avait entamée dans 14 juillet. À lire d'une traite !



Lu en janvier 2019.

Retrouvez ma chronique sur mon blog le conseil des libraires Fnac :




Lien : https://www.fnac.com/La-Guer..
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L'ordre du jour

En Allemagne, en ce mois de février 1933, « il faut en finir avec un régime faible, éloigner la menace communiste, supprimer les syndicats et permettre à chaque patron d'être un führer dans son entreprise ». Celui qui est capable de ça aux yeux des grands patrons allemands, c'est le chancelier Hitler. Ils vont donc financer les élections. « Ils » ce sont BASF, BAYER, Afga, Opel, IG Farben, Siemens, Allianz, Telfunken.



Hitler au pouvoir, les Français et les Anglais pratiquent « la politique d'apaisement » qui consiste à minimiser le nationalisme et l'antisémitisme des nazis, et leurs prétentions sur l'Autriche et une partie de la Tchécoslovaquie, il s’agit de maintenir la paix à tout prix. En réalité Hitler a déjà décidé d'occuper une partie de l'Europe. Ce qui se passe ensuite Vuillard le compare à la peinture de Louis Soutter reclus dans l'asile de Ballaigues : « un long ruisseau de corps noirs, tordus, souffrants, gesticulants ... Une grande danse macabre. » Et elle commence par l'Autriche, la première à mourir et à tomber sous la tutelle allemande, le début des grandes catastrophes.



Tour à tour, drôle, grinçant, ironique, Eric Vuillard pointe la lâcheté, la légèreté, l'aveuglement des hommes politiques français, anglais, autrichiens face à Hitler. En quelques pages il retrace la période cruciale de l'Anschluss - où Hitler n'a personne pour lui barrer la route et où le monde cède au bluff - qui porte déjà en elle les prémisses de tous les drames à venir de la Seconde Guerre mondiale.

Voilà un roman original et pertinent d’un auteur qui mérite bien, une fois n'est pas coutume, le prix Goncourt qui lui a été décerné.

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L'ordre du jour

Focus sur l'Anschluss.

Dans ce court récit historique, Eric Vuillard nous fait pénétrer dans les coulisses de l'annexion autrichienne. De la réunion des industriels allemands complices financeurs d'Hitler à la marche pour le moins chaotique des blindés, on se prend pour une petite souris, témoin apeurée par cette horde de Sapiens tyranniques, bluffeurs et cyniques. La disproportion entre les ressorts et les conséquences historiques fait frémir.

Les scènes se succèdent comme autant de chapitres :

- Duel de dictateurs entre Hitler et Schuschnigg, et c'est celui qui en impose le plus qui écrase l'autre. Le chancelier autrichien obtempère.

- Grain de sable dans la mécanique des panzer qui ridiculise l'invasion du voisin autrichien.

- Lâcheté des politiques européens, manipulés et aveugles, ....

Toutes plus édifiantes les unes que les autres, elles sont enrobées dans une narration qui prend une distance désabusée, teintée d'ironie, justifiée par une documentation riche.

Et puis l'écrit historique ne manque pas de faire son job de résonance, il dessine en filigrane les silhouettes des brutes qui animent encore notre vie politique.



Sans être un spécialiste d'histoire, loin de là, j'ai beaucoup apprécié ce récit.

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Une sortie honorable

Après « L’ordre du jour », époustouflant récit sur les coulisses de l'Anschluss, Éric Vuillard revient avec un autre récit tout aussi détonnant et qui nous fait pénétrer dans les mensonges et les petits arrangements qui ont eu pour conséquence la sortie de la France de cette lointaine colonie : l’Indochine.

Avec une précision, une efficacité un rien brutales, l’auteur met en pleine lumière ces mécanismes de l’ombre, ces tractations dans des salons feutrés tandis que des hommes triment et sont maltraités dans les plantations d’hévéas de l’empire Michelin et que des soldats originaires des colonies françaises, meurent pour permettre à d’autre de s’enrichir.

La guerre d’Indochine, qui aura duré de 1946 à 1954 pour les français, on ne l’étudie pas vraiment dans ses détails et l’on comprend pourquoi lorsqu’on se penche sur les tribulations des hommes politiques de cette IVe République pas très reluisante. Très vite, face à une défaite inéluctable, Edouard Herriot président de l’Assemblée nationale et les députés, tous de mèche avec les grands industriels et les banquiers qui ont fait leur beurre de cette Indochine exploitée chercheront cette « sortie honorable ». Côté militaire, ce n’est pas mieux.

Éric Vuillard déroule son récit par le biais de portraits sans concession de ces hommes qui ont joué un rôle pas toujours reluisant dans cette guerre. Ainsi la piteuse intervention du général de Lattre de Tassigny à la télévision américaine. J’ai trouvé incroyable le portrait de Christian Marie Ferdinand de La Croix de Castries, vieille aristocratie française, dont la photo orne la couverture du livre, et que l’on suit jusqu’à la chute de Diên Biên Phu.

Et lorsque l’auteur nous ouvre les portes du conseil d’administration de la Banque de l’Indochine, on est sidérés par tant de cynisme car la banque a gagné énormément d’argent tandis que tombaient les soldats dans cette guerre inutile.

Les américains succédant aux français, le conflit s’étendra sur trente ans. Les chiffres des morts font froid dans le dos : quatre cent mille pour français et américains confondus alors qu’il y en aura trois millions six cent mille côté vietnamien. Une vérité d’autant plus effroyable et impitoyable que cette guerre aura servi les intérêts des puissants.

Bien documenté, écrit d’une plume incisive, ce récit lève sans pudeur un pan sombre de l’histoire et ces 200 pages m’ont passionnée.





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Une sortie honorable

1950 : la France refuse d’admettre qu’elle vient de perdre la guerre d’Indochine avec la défaite de Cao Bang. Elle décide de maintenir l’offensive, ne serait-ce que pour s’offrir une sortie honorable, et tuer ainsi dans l’oeuf toute velléité de contagion au sein de ses autres colonies. Le conflit va s’éterniser encore quatre ans, avec l’appui des Américains qui continueront ensuite seuls la guerre du Viêt-Nam. Quatre ans d’entêtement, pour un bilan humain catastrophique et une issue finalement très piteuse pour les Français. Quoique… pas pour tout le monde : la Banque privée française d’Indochine aura eu tout le temps de rapatrier ses avoirs, tout en s’enrichissant de l’effort de guerre.





Avec l’intelligence et l’élégance subtilement ironiques qu’il emploie pour croquer l’Histoire en quelques traits choisis, d’une sobre et féroce précision, c’est un bien consternant tableau que nous peint Eric Vuillard : d’un côté, la population indochinoise, éreintée dans les mines et les plantations d’hévéas qui servent de poules aux œufs d’or aux Français ; de l’autre, une coterie politique prête à tout pour la stabilité de son pouvoir et de ses intérêts économiques, et qui, pour ne pas perdre la face devant ses colonies, n’hésite pas à « relancer la guerre pour en finir et reconquérir l’Indochine avant de la quitter » ; au milieu, des troupes largement composées de tirailleurs africains et vietnamiens, envoyées à la boucherie avec une inconséquence qui fleure l’incompétence, à en croire ce qui apparaît en ces pages comme l’aberration militaire de Diên Biên Phu.





Fort de son évidente imprégnation du sujet, Eric Vuillard présente de la guerre d’Indochine une vision éminemment dérangeante, débarrassée de l’apprêt des souvenirs historiques officiels. En quelques coups de pinceaux d’une impressionnante efficacité, pointant le regard sur un ensemble de faits dont la parfaite exactitude vient pilonner jusqu’à l’ébranler la conscience du lecteur, l’écrivain met le talent manifeste de sa plume au service d’une lucidité teintée d’ironie douce-amère qui laisse longtemps songeur. Car, au-delà du contexte colonial et de ses guerres, c’est le système général que nous avons choisi à travers la planète, dont nous profitons tous plus ou moins, qui engendre régulièrement de tristes aberrations humanitaires, la vie pesant parfois moins lourd que les rapports de pouvoir, et surtout les prépondérants intérêts économiques. Et l’on frémit du plus pur effroi rétrospectif en découvrant la proposition américaine faite à la France, d’utiliser l’arme nucléaire pour se sortir de Diên Biên Phu…





Un ouvrage remarquable pour l’intelligence, comme pour la sobriété et l’élégance littéraires, avec lesquelles il mène son propos. Nul n’envisagera plus la guerre d’Indochine du même oeil, après cette troublante lecture !


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La guerre des pauvres

La guerre des pauvres est un opuscule de soixante-huit pages seulement mais c’est un récit fort et intéressant sur ces oubliés qui constituent les masses laborieuses, paysans, ouvriers et manants : les pauvres.

En 1524, ceux-ci vont se soulever dans le sud de l’Allemagne contre les puissants et les nantis. Le jeune théologien Thomas Müntzer est à leurs côtés. La diffusion de la Bible puis sa traduction ont permis sa lecture et des interprétations.

Ainsi, Thomas Müntzer pense qu’il existe « une relation directe entre les hommes et Dieu. » Aussi, pourquoi tant de prélats et tant d’apparat dans l’Église qui, elle, exhorte les pauvres à accepter leur sort ?

Ses idées se diffusent et la révolte prend de l’ampleur mais les détracteurs s’organisent et le conflit est inévitable.

Dans La guerre des pauvres, Éric Vuillard relate les luttes sociales du Moyen Âge mais comment ne pas voir en écho nos propres luttes actuelles, dans un monde contemporain où plus de 80 % des richesses sont concentrées entre les mains de 1 % des plus fortunés. Il relate une lutte d’abord d’origine religieuse puis économique et politique.

Nous sentons, sous sa plume, comme dans ses précédents ouvrages, que ce soit 14 Juillet ou L’ordre du jour, un sentiment de colère, d’indignation contre l’injustice, le cynisme et l’égoïsme des puissants. Un sentiment que je partage entièrement.

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Une sortie honorable

Pas de vacances dans les colonies.

Comme à son habitude et avec sa vision très partisane, Eric Vuillard décrit de façon concise et impitoyable l’acharnement de la France en Indochine malgré l’inéluctabilité de la défaite. Les dessous de la 4ème république sont souillés et les années d’entêtement après le chaos de Kao Bang vont aboutir au sacrifice de milliers de vies pour servir les intérêts politiques et économiques de quelques-uns.

Chaque roman de cet auteur est un hommage aux révoltés anonymes contre des dirigeants politiques et des industriels corrompus. Panorama sur la médiocrité morale des classes supérieures et des grands méchants capitalistes. On peut reprocher à Eric Vuillard son manichéisme mais pas le sérieux de la reconstitution et l’art de déterrer les cadavres des tiroirs de l’histoire.

Eric Vuillard nous offre la chronique d’un désastre annoncé à travers le déni stupéfiant de certains, des stratégies militaires aventureuses pour ne pas dire suicidaires, quelques portraits acides de figures historiques peu inspirées, l’avidité des profiteurs de l’ombre.

L’auteur parvient une nouvelle fois en peu de pages à décrire tous les moyens déployés par les puissants de l’époque pour retarder l’échéance et trouver « une sortie honorable », titre d’une glaçante ironie quand on connait le bilan de cette guerre dans les deux camps. Les américains prendront la suite…

Lecture passionnante, condensé de scandales, le récit est peut-être un peu trop chirurgical et pas assez romanesque à mon goût mais je dois avouer avoir été une nouvelle fois bluffé par la capacité de synthèse d’Eric Vuillard à autopsier l’histoire et en exhumer les turpitudes en si peu de pages. Un condensé de Genevoix.

Je termine par une réserve de taille liée au parti pris du procureur, pardon… de l’auteur. Dans une approche moins partiale, j’aurai aimé aussi suivre en parallèle et avec la même acuité le parcours d’Hô Chi Minh ou de Giap durant cette période ou celui d’autres figures Viêt-Minh, dont l’évocation relève ici du mythe.

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La guerre des pauvres

Comment écrire un livre très actuel en parlant de faits datant de plusieurs siècles ?



Éric Vuillard le fait et le réussit bien dans ce court récit, La guerre des pauvres. Auteur découvert avec 14 juillet puis son fameux Prix Goncourt, L'ordre du jour, il excelle dans la concision et sa lecture est toujours très instructive.

En quelques pages, il nous raconte l'histoire de Thomas Müntzer dont le père fut exécuté en 1500. La vie de cet homme aurait sûrement été tout autre si, cinquante ans plus tôt, l'invention de l'imprimerie n'avait permis à de plus en plus de monde de lire enfin la Bible dans le texte plutôt que de se contenter de ce latin incompréhensibles et des commentaires orientés des gens dit d'Église.

Éric Vuillard rappelle fort à propos que, deux siècles plus tôt, de l'autre côté de la Manche, Johan Wyclif avait traduit cette même Bible en anglais, préconisant une relation directe à Dieu, se passant donc de prélats. Ensuite, John Ball a mené la révolte contre une nouvelle taxe : « Les paysans marchent en ordre et ils sont nombreux, plus de cent mille, on vient de partout, des foules misérables se rassemblent. » Hélas, ces révoltes se terminent dans le sang et par l'écrasement des plus faibles.

Retour en Bohême avec Jan Hus qui se bat contre l'argent et le pouvoir des princes : jugé, brûlé ! Enfin, on retrouve Thomas Müntzer en 1522. Il dit la messe en allemand, parle de « pauvres laïcs et paysans » mais ne voit que la violence pour changer, violence qui se retourne contre les hordes de misérables.

Dans ce livre étonnant, Dieu est mis à toutes les sauces, permettant de justifier tout et son contraire. Cette invention humaine offre toutes les perspectives puisqu'on lui fait dire ce que l'on veut, s'appuyant sur des textes écrits puis réécrits par des humains.

Éric Vuillard rappelle donc et démontre que seule la violence arrive à faire reculer les puissants qui ne cessent de tout faire pour s'enrichir toujours plus. Hélas, ceux-ci possèdent la force et les armes. Combien de révoltes suscitées par la misère se sont terminées dans le sang ? de plus, il est certain que quantité de conquêtes sociales sont sans cesse remises en cause, comme l'époque actuelle nous le confirme.



Heureusement, Éric Vuillard promet une suite à cet essai, suite peut-être plus optimiste…
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L'ordre du jour

Le 20 février 1933 vingt-quatre grands patrons sont conviés au palais du président de l’assemblée, le parti nazi a besoin d’argent pour sa campagne et leur demande de mettre la main à la poche, ce qu’ils vont faire : Opel, Krupp, Siemens etc…



Quelques années plus tard, bien installé au pouvoir, Hitler après avoir mis son pays au pas, veut étendre son emprise sur l’Europe, variant les stratégies, les visites de courtoisie ( avec Halifax) alternant avec les manœuvres d’intimidations, tendu vers un objectif : augmenter l’espace vital en annexant l’Autriche et la Tchécoslovaquie.



L’entrevue du Berghof entre le chancelier autrichien Schuschnigg, lui-même dictateur patenté, est une véritable scène d’anthologie : ce dernier arrive en tenue de skieur pour passer inaperçu et se rend compte trop tard, qu’il est tombé dans un piège.



« Ainsi, pendant que l’Autriche agonise, son chancelier, déguisé en skieur, s’éclipse de nuit pour un improbable voyage, et les Autrichiens font la fête. » P 35



Durant, l’entrevue, Hitler insulte l’Autriche, vocifère, humilie le chancelier autrichien qui reste médusé et ne tente même pas de discuter ou de justifier quoi que ce soit. Le führer veut lui extorquer un traité pour justifier l’annexion, et il assure vouloir négocier tout en affirmant qu’il ne changera pas le moindre détail du texte déjà écrit !



Tous les postes-clés du gouvernement autrichien seront aux mains de nazis patentés, notamment Seys-Inquart en tant que ministre de l’intérieur qui occupera les postes les plus prestigieux et qu’on retrouvera au procès de Nuremberg, où il affirmera n’avoir rien fait !



L’armée allemande va donc foncer vers l’Autriche, telle un rouleau compresseur, accueillie par la foule en liesse (on a pris bien soin d’éliminer tout opposant) mais, la machine bien huilée soudain se met à tousser : une panne générale paralyse toute la progression !



Eric Vuillard décrit avec talent, la machine de propagande mise en place par Goebbels, le comportement vulgaire de von Ribbentrop lors d’un dîner chez Chamberlain, où il va monopoliser la parole, alors que la courtoisie de ses hôtes les empêche de le mettre à la porte. De retour dans sa voiture, il éclate de rire, la manœuvre a réussi : au même moment l’Autriche est envahie.



Ce livre relate le déroulement de l’Anschluss dans les détails, explorant le comportement de Goering, les écoutes trafiquées, toute la désinformation et la manipulation de la foule qui a accueilli « ses libérateurs » et en même temps rend hommage à ceux qui ont compris ce qui se passait : « il y eut plus de mille sept cents suicides en une seule semaine. Bientôt, annoncer un suicide dans la presse deviendra un acte de résistance. » P 135



Eric Vuillard alterne le récit chronologique et ce qu’il adviendra plus tard des protagonistes : le procès de Nuremberg, le devenir de Schuschnigg, celui des patrons qui sont allés puiser de la main d’œuvre dans les camps de concentration, pour faire tourner leurs usines, mais qui tombent des nues, ils ne savaient rien ! ces mêmes patrons qui ont financé les nazis, vont rechigner sans vergogne lorsqu’il s’agira d’indemniser les survivants…



Je retiens aussi cette anecdote assez savoureuse : en arrivant à Berschtesgaden, Lord Halifax en descendant de sa voiture, ôte son manteau et le remet à celui qu’il croit être un valet et n’est autre que Hitler himself !



Enfin, Eric Vuillard fait une allusion emplie de symbole à Louis Soutter dans son asile de Ballaigues « en train de dessiner avec les doigts sur une nappe en papier un de ses danses obscures. Des pantins hideux et terribles s’agitent à l’horizon du monde où roule un soleil noir. Ils courent et fuient en tous sens, surgissant de la brume, squelettes, fantômes. » P 49



Vous l’aurez compris, j’ai beaucoup aimé ce récit historique traitant d’une période de l’Histoire qui m’intéresse ; il est venu combler quelques-unes de mes lacunes dans le déroulé de l’Anschluss. Le style de l’auteur me plaît, ainsi que sa manière de raconter, ses phrases qui percutent et retransmettent bien le langage incisif, brutal du Troisième Reich.



Je comprends que les avis puissent diverger car il s’adresse davantage aux amoureux de l’Histoire…
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Une sortie honorable

Éric Vuillard analyse avec précision remarquable, dans un texte superbe d'intensité et un style époustouflant, les derniers soubresauts de la présence française en Indochine. ● L'intrication des intérêts économiques et des enjeux militaires est décortiquée avec un incroyable souci d'exactitude sans que pour autant le récit se perde dans des détails superflus. ● Tout est dit avec une économie de moyens ahurissant. L'auteur renouvelle le tour de force de L'Ordre du jour. Beaucoup de formules font mouche. Par exemple : « C'est si difficile de décrire un visage, mélange de chair et de pensée. » Ou encore, celle-ci, qui est si vraie : « un bel héritage est pris pour un destin ». Une autre me laisse songeur dans ses implications : « Chaque jour, nous lisons une page du livre de notre vie, mais ce n'est pas la bonne. » ● le portrait des dignitaires de la IVe République est sublime. ● C'est faire à l'auteur un faux procès que de dire qu'il n'ajoute rien à ce qu'on connaît déjà de la guerre d'Indochine, car c'est faire fi de la beauté du texte ; il ne fait pas ici oeuvre d'historien. Mais je dois dire que moi qui ne connaissais pas grand-chose à cette période de l'Histoire, j'ai beaucoup appris. ● On peut aussi critiquer sa perspective marxisante mais on doit porter à son crédit la cohérence de l'analyse et la force de l'argumentation. ● Une oeuvre à la fois brillante et captivante.
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L'ordre du jour

Une plume d'une élégance et d'une verve éblouissantes … pour les vingt-cinq premières pages. Juste pour les vingt-cinq premières pages ! Empreints d'une ironie jubilatoire, deux chapitres sont consacrés à la réception, le 20 février 1933, des principaux patrons allemands par Goering et Hitler, Chancelier du Reich depuis à peine trois semaines.



Eric Vuillard saute ensuite à 1937 et à tout autre chose : l'Anschluss, l'annexion de l'Autriche par l'Allemagne. Une opération menée par l'armée nazie sans tirer un coup de feu et réussie malgré un gros cafouillage logistique, dont l'auteur fait ses choux gras. Il raconte l'Anschluss sous l'angle d'anecdotes qu'il semble trouver insolites et amusantes. Elles ne m'ont pas séduit, ces petites histoires, relatées de manière bavarde et pesante, bien éloignée du style enlevé du début du livre.



Episode clé de la montée en puissance de l'Allemagne nazie et de sa préparation à la guerre, l'Anschluss est révélateur des méthodes d'Hitler, fondées sur le bluff, la menace et le trucage. Il montre que ses passages en force réussissent du fait de la veulerie ou de la compromission du plus grand nombre, et grâce à l'appui de quelques sympathisants infiltrés.



Tout cela, on le sait. Alors quel est le sens de ce livre si bizarrement (dé)structuré et comptant à peine cent soixante pages ? La presse se pâme en vagues dithyrambes : « Un texte de longue portée en dépit de sa brièveté ! ». Interviewé, Éric Vuillard déclare, sans être autrement explicite : « L'histoire est une autre manière de regarder le présent » et « Dans une période trouble, la littérature permet d'y voir plus clair… ». Nous voilà bien avancés !



Au lecteur donc de chercher la clarté. Chacun la sienne. La mienne ne sera peut-être pas la vôtre.



Depuis La Fontaine, on sait que « la raison du plus fort est toujours la meilleure ». Gangsters et dictateurs se griment en loups féroces pour imposer leur loi – « sans autre forme de procès » ou par des simulacres de procès – aux agneaux que nous sommes, nous braves gens démocrates. Face à leurs intimidations, nous croyons qu'il suffit d'être tolérant pour que tout s'arrange. Nous avons oublié que dans La Fontaine, l'agneau est dévoré sur le champ.



Quel est le seuil à partir duquel, si l'on ne réagit pas, la tolérance devient compromission ? A partir de quand, faut-il changer de registre, ne plus céder aux provocations et aux agressions ? Et, question non moins importante, jusqu'à quand est-ce encore possible ?



A partir de quand et jusqu'à quand ! Tout au long des années trente, les industriels allemands auraient dû se poser la question. Honte à eux d'être restés soumis jusqu'à la fin de la guerre, et d'en être arrivés à piocher des déportés dans les camps de concentration, pour en faire des esclaves dans leurs usines. Sans oublier ceux qui, comme IG Farben, ont été des complices actifs des crimes contre l'humanité.



En revanche, est-il logique de nous fonder sur ce que nous savons aujourd'hui – les monstruosités des nazis pendant la guerre – pour juger l'événement du 20 février 1933 ? Ne faut-il pas le replacer dans le contexte alors calamiteux de l'Allemagne, après le krach de 1929 : sept millions de chômeurs, hyper-inflation paupérisant la classe moyenne, persistance du traumatisme de la défaite de 1918. Une démocratie à peine instituée, déjà affaiblie, prise en étau entre l'extrême-droite et l'extrême-gauche.



L'extrême-gauche, c'était le communisme. La révolution bolchévique de 1917 en Russie avait frappé les esprits. L'extrême-droite, c'était le national-socialisme. L'incendie du Reichstag, coup d'envoi du lancement à grande échelle des exactions nazies, n'aura lieu que huit jours plus tard. On connaissait les intentions anti-juives d'Hitler, qui avait publié Mein Kampf, mais qui aurait pu imaginer ce qu'on appela plus tard la Shoah ? Qui aurait prévu que treize ans plus tard, six millions de Juifs auront péri dans les conditions que l'on sait ?



Comme l'observe Eric Vuillard, les grands patrons allemands se sont juste adaptés au contexte qui s'imposait à eux, comme le font généralement les chefs d'entreprises. En tant qu'hommes, ils ont juste plié devant une pression forte, comme la plupart de leurs congénères.



Comment aurions-nous réagi à leur place ?... Soyons conscients qu'il y a quelques mois, nous avons, nous aussi, été à deux doigts de devoir choisir entre l'extrême-gauche et l'extrême-droite.



Aujourd'hui, l'histoire nous est connue. Vigilance !


Lien : http://cavamieuxenlecrivant...
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Conquistadors

Les conquêtes espagnoles, c'est la faute à Christophe Colomb. Il a fait des émules.



Francisco Pizarro, fils naturel de Gonzalo Pizarro Rodriguez de Aguilar, navigateur averti, ne supporte plus sa condition inférieure et décide de tenter sa chance en Amérique du Sud où il a tôt fait de montrer ses capacités de commandement. Une rigueur extrême et un mépris profond pour les hommes le conduisent à vouloir autre chose que le courage ou l'audace. Analphabète à la tête d'une troupe de rustres, il s'esquinte à découvrir les terres inconnues.



A cheval pour les chefs, à pied pour l'armée, tout ce monde marche, marche, marche dans les forêts denses et humides, dans les montagnes de la cordillère, sous la pluie incessante ou le soleil implacable. Pizarro fait ami-ami avec les autochtones qui très vite, après avoir été pillés et souvent assassinés, servent d'esclaves et de porteurs.



Après deux expéditions au Panama et sur les contreforts andins, accompagné de Diego de Almagro, son fournisseur d'hommes, de provisions et de bateaux, Francisco Pizarro, retourne en Espagne plaider sa cause auprès de Charles-Quint afin qu'il lui confie une nouvelle mission dans l'empire inca. L'or, beaucoup d'or, étant un argument de poids, Pizarro, couvert de privilèges, surtout pour lui et peu pour Almagro, repart pour le Pérou avec armes et bagages, dont ses trois frères.



Huayna Capac, l'Inca, se meurt de la variole apportée par les étrangers. Pas facile de régler pacifiquement la succession quand on a 400 enfants ! Huascar et Atahualpa se partagent cet immense empire. La terreur règne. C'est à ce moment qu'arrivent Francisco Pizarro et Diego de Almagro. « L'empire semblait composé de mille peuples hétérogènes, ne parlant pas les mêmes langues et n'ayant pas les mêmes coutumes. Cela fut un avantage que les conquistadors comprirent aussitôt. Ils pouvaient éveiller les vieilles rancoeurs, rouvrir les anciennes plaies. Selon ce principe, dont les applications sont aussi nombreuses que les noeuds à la barbe des conquistadors, Pizarre ménagea les Huancas, les Soras, les Ancaraes, les Pocras, les Chancas, et bien d'autres. L'empire tombait en miettes, Pizarre souffla dessus ».



Il fut reçu en hôte apprécié par Atahualpa qui lui fit découvrir la civilisation raffinée des Incas et les richesses accumulées au cours de siècles de conquêtes. La fièvre de l'or s'empara des Espagnols. Ils arrachèrent l'or des façades, volèrent les bijoux et les statues, pillèrent les sépultures, amassant des monceaux de métal jaune en piétinant sans cesse dans le sang des Indiens. de coups de force en trahisons, Atahualpa fut fait prisonnier contre rançon : sa vie contre la pièce où il était enfermé remplie d'or. Ce qui fut fait et Pizarro le fait exécuter.



Il construit une ville – la Ciudad de los Reyes – qui reprend son nom quechua quelques années plus tard, Lima. Il en devient gouverneur et Almagro se contente de Cuzco. Le combat des chefs se solda par le départ d'Almagro qui veut découvrir le Chili. L'aventure échoue et les voilà revenus à leur inimitié frénétique. le fils d'Almagro complote contre Pizarro et ses frères. Le tyran prend un coup d'épée dans le ventre. « le sang flotta autour de lui comme un papillon. Il y eut un silence. le dernier serviteur était mort. La pelote des Parques roula sous un meuble. Les conjurés s'écartèrent. Sur le sol, le gouverneur se tordait lentement, les yeux ouverts ».



Je suis sortie de ce livre épuisée. Par les marches incessantes, par la folie hallucinatoire, par les pillages, les massacres. Par l'odeur écoeurante du sang et de la cupidité. Epuisée par ces conquérants avachis, dépenaillés, obsédés, violents, lamentables. Epuisée parce que ces exactions étaient faites au nom de Dieu et pour l'amour de la lointaine Espagne.



Eric Vuillard a écrit ce livre en 2009. Déjà, il possédait l'art de la formule, la précision du trait, la rapidité de l'expression et l'esprit de synthèse pour ces conquêtes espagnoles qui n'étaient pas encore à leur apogée. Et pourtant, c'est long à lire, presqu'aussi long que ces marches forcées, que ces fourberies, que ces tueries continuelles. le style est fougueux, le rythme approprié à chaque circonstance, la langue parfaite.



Mais pourquoi Pizarro l'analphabète, chevauchant sans cesse, a-t-il autant d'états d'âme, autant de retours sur son enfance bâtarde ? Cela ne cadre pas vraiment avec le personnage. Sans doute réunit-il toutes les questions qu'il est bon de se poser sur la colonisation, sur les défaites et les victoires, sur le droit de déposséder les uns pour assouvir le pouvoir des autres. Lecture très instructive pour ceux qui aiment les pages sanglantes de la grande Histoire et celle moins connue de cette partie du monde.

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14 Juillet

Lire un récit sur la prise de la Bastille un 14 juillet tisse des liens particuliers, inattendus et forts. Elle est tellement plus proche qu'on ne pourrait l'imaginer cette date emblématique du 14 juillet 1789… Entre cette journée et le mouvement des gilets jaunes, il n'y a qu'un pas, un minuscule petit pas à franchir, qui j'espère trouvera un autre chemin, une autre écoute, bref une autre conclusion, ou ouverture… J'espère.



« entre les mâchoires du temps, on croit parfois entendre des voix »



Eric Vuillard donne la parole à des voix oubliées, des noms exhumés des archives, des anonymes, affublés parfois d'un métier, d'une région, « le bottin de la bastille », et qui ont autant leur place dans l'Histoire que d'autres noms célèbres. Alors, il conte, raconte et décompte ceux qui ont été au cœur des événements, ce 14 juillet 1789… le peuple !



« Il faut écrire ce qu'on ignore. Au fond, le 14 juillet, on ignore ce qui se produisit. Les récits que nous en avons sont empesés ou lacunaires. C'est depuis la foule sans nom qu'il faut envisager les choses. »



Et la foule, c'est justement LE personnage central de ce livre. Difficile de s'identifier à un personnage plutôt qu'à un autre. Ils sont à peine esquissés et s'inscrivent dans un mouvement, un tout. Le héros, est indéniablement cette masse, ce peuple affamé qui en crève et finit par s'insurger, sans trop savoir ou cela va le mener, étonné d’être ensemble ; une somme d'individualités, quelques moments de bravoure, de grâce, de crainte, de colère, d’espoir et l’exaltation du nombre qui enfonce les portes.



Même si j'ai été dérangée par l'omniprésence de l'auteur et des énumérations qui ont parfois plus tendance à étouffer qu'à libérer l'imagination, j'ai aimé voir sortir de l'ombre ces inconnus qui ont joué un si grand rôle sans le savoir, avec leurs « petites » initiatives qui se fondent dans la masse, Il y a un souffle épique qui nous emporte malgré nous.

Certains passages sur la description de la ville «qui grandit à vue d'œil comme une enfant sur les photographies, comme si l'on feuilletait un furieux folioscope. » sont passionnants. D'autres sont carrément surréalistes, comme le billet tendu par un des gardes de la Bastille à travers une meurtrière, ou encore l'épisode de la porte, ultime bastion entre les assiégés et les assiégeants. Ah ! Je ne résiste pas à mettre un autre extrait : « La Bastille était devenue une simple maison à la porte de laquelle le monde frappait. Alors, scène irréelle, comme le portier de nuit qu'on réveille dans un hôtel et qui bâille, un invalide, ignorant tout de la rhétorique des grandes occasions, entrouvrit et demanda poliment ce qu'on voulait. »



Bref, comme le chantait Edith Piaf, dans un contexte il est vrai quelque peu différent, j'ai été emportée par la foule , qui nous traîne, nous entraîne …



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L'ordre du jour

Le Goncourt était-il mérité pour L'ordre du jour? Va savoir...

Pour moi, qui ai acquis ce mince volume dans une brocante, ce morceau d'histoire vaut largement ses cinq étoiles. L'ordre du jour m'a passionné, captivé et relancé ma réflexion sur cet entre-deux guerres de tous les dangers.

Éric Vuillard, d'une plume soigneusement trempée, nous fait renifler la pestilence nazie et la veulerie de ministres et plénipotentiaires au mieux aveugles.... Chamberlain, Dalladier, Lebrun et consorts ne sortent pas grandis de cette période de honte et de renoncements.

Pire: La complicité de ces grands de l'industrie allemande et leur allégeance au führer allume le chaudron d'une infamie sans nom.

Et cette carnavalesque invasion de l' Autriche, alors? Avec un terrain soigneusement préparé par un gouvernement dictatorial qui avait pris bien soin d'éliminer son opposition. vision dantesque et ricanante d'une communion aux aboiements nazis.

En lisant L'ordre du jour, j'avais dans le rétroviseur (si je puis dire), cette guerre de 14-18 si meurtrière et ce désir de "paix à tout prix" que pouvait nourrir les dirigeants des nations européennes. Je me souvenais aussi, à chaque instant, que mon père me répétait qu'il n'aurait jamais fallu accepter le réarmement de la Rhénanie et signer ces accords de Munich.

Bon, on ne va pas refaire le match, mais les coups de bluff de Hitler et sa bande ont réussis et coûté un prix exorbitant en vies et en destructions massives.

C'est comme dans une usine: si le composant défectueux n'est pas décelé en début de chaîne, la panne coûtera beaucoup plus cher à l'entreprise une fois l'appareil chez le client!

Peu de choses et à moindre coût eussent suffi à enrayer la bombe à retardement.

Alors, merci pour cette piqûre de rappel, nécessaire et bienvenue.. même si certains (dont je ne saurai être) estiment "que l'on sait déjà tout ça" et que "l'on était pas à la place de ces dirigeants européens". Ben non, j'y étais pas!
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Une sortie honorable

Fin des années 80, dans ma prépa d’un grand lycée parisien. Je me bats avec Mishima, Balzac et Saint-John Perse. Jeune cornichon idéaliste, je rêve de carrière. Alors en parallèle, je lis Larteguy, Sergent, Bergot, Saint-Marc, et même Salan. Les récits d’Indochine sont ma passion. Il paraît qu’il faut que jeunesse se passe…



Alors forcément, sitôt ouvert Une sortie honorable de Éric Vuillard, les souvenirs de ces lectures remontent. Différents. Bien différents. Le Haut Tonkin, la gifle de Cao Bang, la valse des commandements, les crédits qui s’épuisent… En 1950 en Indochine, les forces doutent. À Paris, le pouvoir hésite.



De 50 à 53, de Cao Bang à Diên Biên Phu, Vuillard revient sur ces trois années décisives qui mirent fin à la colonisation de l’Indochine, illustrant magistralement l’incroyable décalage entre l’impasse du théâtre des opérations et "l’indécision" indolente et bourgeoise des "décideurs" à Paris.



Dans ce livre court, la plume sert des phrases intelligentes et élégantes, qui retombent généralement avec une pointe de sarcasme ou d’ironie qui touche juste à chaque fois. Les portraits des politiques (Herriot en tête) sont sans concession ; ceux des députés truculents ; ceux des militaires souvent cruels, notamment pour De Lattre lorsqu’il s’égare chez les Américains ; seul Mendès France s’en sort.



Mais là où Vuillard est à son meilleur, c’est dans sa démonstration de l’opportunisme de guerre des affairistes parisiens. Autrefois sponsors des exploitations esclavagistes des expatriés locaux venus chercher latex et autres matières premières, ils ont su retirer leurs billes aux premiers coups de fusils et les placer dans des contrées plus tranquilles.



Et dans la foulée, se précipiter pour financer l’effort de guerre. Et gagner ainsi des deux côtés. Au lendemain de la chute de la cuvette de Diên Biên Phu et de ses postes avancés, mamelons rocheux aux prénoms féminins, le conseil d’administration de la Banque d’Indochine, boulevard Haussmann, se gargarise du triplement des bénéfices distribués. Ou comment perdre en gagnant beaucoup.



Vuillard brosse avec une certaine férocité cette bourgeoisie française de la IVe république qui dirige la France depuis le 8e arrondissement, confortée par l’ancienneté et la renommée de ses assises provinciales patiemment construites depuis la révolution. Et rappelle sans le dire que certaines choses ont peu changé. Ou à peine…



Ainsi, il fallait au pays « une sortie honorable » à ce conflit. Certains l’eurent. Pas le pays ni ses combattants, dans ce conflit qui ne se termina réellement qu’un jour de 75, avec cet hélicoptère surchargé s’envolant dans la panique au-dessus de l’ambassade US de Saïgon. Et un bilan de près de 4 millions de morts. Pas tout à fait le même récit que mes lectures de jeunesse…
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L'ordre du jour

Attention chastes oreilles et citoyens pétris de politiquement correct, ce qui suit n'est pas forcément pour vous.



J'aime pas trop lire les bouquins qui ont reçu des prix, qui plus outre si c'est le Renaucourt ou le Gondot, un truc dans le genre. Tous ces gros blaireaux qui viennent vomir leur complaisance, emplis de leur suffisance et qui s'auto congratulent, gorgés de champagne et de homard jusqu'aux oreilles, ça m'irrite le pistil. Des mecs défoncés au Moët et Chandon, les narines blanches de poudres qui les maintiennent dans leur certitude de juges suprêmes de la littérature française. Beurrrrk. Je les ai revus lors d'un best off de fin d'année, tenant à peine sur leurs jambes, haranguant la foule du haut de leurs convictions, les journalistes se jetant comme des morts de faim en quête du scoop ultime. J'ai l'impression d'assister au spectacle de Guignol ... ça me donne envie de gerber.

Alors ma couille pourquoi tu nous écris un manifeste si t'as lu le Con court ?

Parce que je ne peux pas résister aux charmes et aux sourire d'une femme. Alors que je demandais conseil à la bibliothécaire de permanence, elle m'a collé celui-là dans les mains, je lui ai alors exposé mes réticences mais ses arguments étaient plus que suffisants ;-).

Désolé pour l'auteur il n'y est pour rien. Son livre est un bon bouquin puisqu'il nous narre une période trouble d'avant-guerre que je ne connaissais pas : à savoir comment Hitler à réussit à prendre le pouvoir malgré ses idées à deux balles. Je sais je suis nul en analyses, si vous en voulez des vraies, je ne peux que vous conseiller les magnifiques critiques de ClaireG, Palamede ou Merik … Il y en a d’autres, peux pas tout citer.

De là à décerner à l’auteur le prix ultime y a comme même un pas de géant ou une histoire de sept lieues.

En tous cas il y a deux ou trois auteurs ou journalistes que je ne lirais plus.

Désolé pour vous amis et membres de Babelio et pour vous l'auteur il fallait que ça sorte.

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La guerre des pauvres

La guerre des pauvres de l'auteur Éric Vuillard est un bref récit relatant l'histoire de Thomas Müntzer, un prédicateur du 16e siècle qui mena la révolte des pauvres et des déshérités contre les princes et les nantis, contre les abus de l’Église et des puissants. Un gilet jaune avant l'heure qui à partir de sa lecture des Évangiles rassembla une armée hétéroclite et embrasa les territoires sur lesquels sa troupe en guenilles passait. Cette violence auréolée de quelques succès ne résistera aux représailles des troupes princières et la révolte fût matée dans le sang et les cris. Lui finira la tête tranchée...
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Tristesse de la terre

Figure mythique de la conquête de l’Ouest, Buffalo Bill a entretenu sa propre légende par le biais de représentations dans lesquelles il se mettait en scène avec de vrais indiens et rejouait les scènes de batailles qui avaient fait sa renommée. Son spectacle, le Wild West Show, créé en 1882, dix ans avant l’exposition universelle de Chicago, fait le tour des Etats-Unis et de l’Europe, mêlant la réalité au mythe et provoquant un véritable engouement chez les spectateurs. Buffalo Bill est à l’origine du concept de show-business, pionnier de ce qui deviendra une marque de fabrique américaine.





Mais derrière ce décor en carton-pâte se cache une réalité beaucoup moins attirante, celle d’un peuple martyrisé, avili, humilié, condamné à rejouer sa propre destruction par ceux-là même qui en sont à l’origine. Un peuple exploité, exhibé comme un trophée et qui, plutôt que de susciter la compassion, alimente la peur et la haine.





Dans « Tristesse de la terre », Eric Vuillard dresse le portrait d’un homme dépossédé de lui-même, réduit à jouer toute sa vie son propre rôle, mais il dépeint également l’image d’une nation qui s’est construite dans le sang, sans se soucier de la dignité humaine. Sans être moralisateur, l’auteur nous place face à la réalité des évènements, il nous invite à réfléchir au sens de nos actes ainsi qu’à leurs conséquences. L’écriture est d’autant plus forte qu’elle est belle, éloquente. Les mots, leur sonorité, nous frappent et nous heurtent profondément, jusqu’à nous bouleverser… « Tristesse de la terre » est un texte percutant, riche en émotions et qui donne à réfléchir.
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