Eva Almassy - L?accomplissement de l?amour .
Eva Almassy vous présente son ouvrage "L?accomplissement de l?amour". Parution le 22 août 2013 aux éditions de l'Olivier. Rentrée littéraire 2013. Notes de Musique : "Amour" by Avec Noir (http://sirhcswerdna.wix.com/chris-andrews#!sans-blanc/c22te)
Chez elle, quand Béatrice prend ces bains du soir ou de la nuit, que ce soit à minuit, à une heure ou à trois heure du matin, Angel chaque fois, et ça n'a donc rien de physiologique ni rien avoir avec le hasard, viendra demander à la porte de la salle de bains, "est-ce que je peux faire pipi", comme pour la marquer, l'incluant dans son territoire domestique. Barbe bleue à l'envers, il ouvre la porte de chacune de ses heures, c'est elle son château. Il est le maître du temps. "De quelles servitudes dois-je me libérer, de toute cette brutalité, ce viol commis chaque nuit sans qu'il le fasse même exprès, ma nudité dans l'eau qu'il contrepisse, cet homme si délicat autrefois dans la cuvette presque contiguë, et la chasse qu'il tire et par où s'en va la journée comme un déchet, quelle vie de chien que la mienne, je ne peux même pas prendre un bain jusqu'au bout de mes pensées."
Que sait-il d’elle, cet inconnu ? Mais rien. Et elle, de lui ? Même moins. Qui es-tu toi pour me rendre malade de désir ? De quel droit ? Ils avaient à peu de chose près le même âge, un homme, une femme, ce grand jeu vieux jeu. Deux sexes égalent du sexe. La nue tension minimum. Il est à bord du TGV, ce soir, dès cet après-midi, dès tout de suite, il faudra se jeter l’un sur l’autre, lui jeter à la figure son amour, l’en gifler, lui frapper la poitrine, mon poing est le contrepoids de ton cœur pourri, tu aurais dû te choisir une femme plus jeune, plus belle que moi, plus rieuse.
... l'inconnu la prend dans ses bras, elle l'embrasse au hasard, en vrac, joues, menton, lobe d'oreille, paupière, à l'aveuglette, la peau, où est la bouche ? Dans la confuse immédiateté de tout cela, un long passé avide de ce moment absorbe entièrement le baiser. Comme un buvard, un kleenex, le baiser s'inscrit à l'envers sur des années de manque - il faudrait un miroir pour le lire, le croire.
L'inconnu est le quatrième amour de sa vie, inconnu, inattendu, inespéré, défini ainsi en négatif par tout ce qu'il n'est pas, par une sorte de déception à l'envers, un abandon des attentes et des espoirs, et un type d'incrédulité qui est un état érotique en soi, un doute qui donne le vertige, un vide vers lequel se précipiter, la falaise, parce que l'issue se trouve là, dans cette appartenance aveugle.
Mais c'est invraisemblable.
... le premier mail est parti un 26 octobre.
Le ciel de votre automne.
Ils se donnaient le mot et depuis peu ce mot était "amour", c'est l'homme qui avait jeté le premier ce mot provoquant sur l'écran, qui disait l'aimer, tandis qu'elle ouvrait de grands yeux.
Pour elle,le mot "amour" n'avait pas de sens en tant que nom commun, ça devait être un nom propre, le nom toujours de quelqu'un. Et plus encore "amour" était un verbe qui se conjuguait en actes. De nouveau, Béa était promise à la totalité du temps : le passé, le présent et l'espoir. Dans la sincérité brutale d'une nouvelle relation, on se voile moins la face, attentif jusqu'à l'obsession à ce qui se passe en soi, on se fait de petits reportages à flux tendu sur des événements intérieurs que l'autre à suscités et dont il est le destinataire ultime. Leur messagerie ressemblait à un nouveau-né qui avait toujours faim. Ils se relevaient la nuit pour la nourrir de mots et d'images.
Si peu dormi la nuit dernière, la dernière nuit d’avant la nuit. Comme un animal sauvage, un fauve qui va vers le point d’eau, elle s’est levée cinq, six, sept fois, a regardé s’il y avait oui ou non une élettre dans sa boîte. Souvent l’inconnu ne dormait pas lui non plus, insomnies synchrones, regards blancs de leurs écrans et petits mots de part et d’autre, des une ligne, trois lignes vite expédiées, des sincères et réciproques « bonne nuit », souhaités à l’envi et démentis, charriés par les petites heures qui confluent à l’aurore. On a rien à se dire et on se le dit quand même, et vous, et vous, et toi, « mon aimée », à demain, oui, à demain, sauf cette dernière nuit. Une lionne famélique tournait en rond sous la lune, au sommeil chaloupé, sans la moindre goutte de mot pour désaltérer sa profonde gorge de fauve.
Il pleuvait lorsqu’ils arrivèrent devant l’hôtel. Elle serrait le parapluie à deux mains, il écarta le manche de devant son visage, sa bouche, il l’embrassa, ta langue est ronde et la mienne pointue, songea Béatrice, docile et désirante maintenant. Ou ce fut peut-être sa salive qui « songea », et les minuscules muscles horripilateurs de la peau qui font dresser les poils sur le corps dans les grosses frayeurs. Est-ce qu’on fuit l’ours parce qu’on a peur, ou bien a-t-on peur de l’ours parce qu’on le fuit ?
Mon amour je t'ai connu
Quand je perdais mon visage
La face
Pas de honte
C'est juste le temps
Mais comment n'en avoir pas honte
Mon amour je t'ai connu
Quand je perdais toute confiance
La foi
Pas de peur
C'est juste le temps
Mais comment n'en avoir pas peur.
Heureux les paranoïaques qui s'imaginent qu'on les observe.
page 17.
Il y a vingt ans, complètement éblouie par Angel, elle voulait capter dans ses doigts le rayon solaire de son urine, sentir comme c'est chaud, avant ou après l'amour, horloge d'eau, émission de fièvre (mais déjà il repoussait sa main). Béatrice, il n'y a plus qu'à l’hôpital qu'on touche à son corps, son vagin, ses seins..