Qu'il est dur, l'isolement du lundi, qu'il est amer, le froid du mardi... l'attente du mercredi, le pressentiment du jeudi, la certitude du vendredi. Puis le suspense du samedi, le long silence du dimanche...
L'avocat a ironisé dans sa plaidoirie : «Monsieur le Président, veuillez considérer ce bras frêle, peut-on le redouter ? peut-il faire tomber un régime ? Il est bien petit, et l'accusation est bien grosse. Il n'y a rien en sa possession, je veux dire dans ce qui lui a été confisqué, tous les indices contre elle sont des livres en vente libre, des idées, des rêves.»
Cinq ans : un pan de vie, bu par des murs puants, crasseux, pourris, branlants, qui sucent une jeunesse, fleur arrachée en bouton. Cinq ans, pour le crime d'avoir pensé à un lendemain meilleur, à un monde où on respecterait les droits de l'homme, un monde qui ne ferait plus de la femme un être inférieur.
C'est une autre blessure de la mémoire marocaine : celle de la prison du « e » muet féminin. Beaucoup d'oreilles souhaitent peut-être entendre la voix de cette souffrance : la capacité des femmes à faire face est immense et démesurée comme la mer.
On me donne un numéro et un nom : « Maintenant tu t'appelleras Rachid... Ne bouge pas, ne parle pas, sauf si tu entends ton nom. Rachid. » C'est le début de la dépersonnalisation : enlèvement, séquestration arbitraire, et maintenant la négation de ma féminité.
Le temps ? Quel temps ! La nuit est indissociable du jour. Tout est pareil, même pour la torture il n'y a pas de temps, ici elle fonctionne à toute heure, sous toutes les formes. (...) Tous nous "voyageons en avion", et sommes suspendus dans l'espace de la mort.
4. « […] la gardienne fait lever tout le monde avec le commandement habituel : "Respect !" ; les détenues ensommeillées s'alignent, tête basse ; elles ont pris l'habitude de sauter du lit à cet appel, toujours cette soumission qui leur colle à la peau. Devant elles se tient une femme, jeune mariée emprisonnée pour inconduite. Son histoire relève de la vie quotidienne des femmes. Elle a porté plainte auprès du procureur du roi pour agression sexuelle, alors qu'elle était encore célibataire. Le temps passe, la plainte traînant sur une étagère, jusqu'au jour où elle a été appelé et jugée, bien longtemps après l'affaire ; le tribunal l'a inculpée : motif : débauche, condamnation à un mois, or elle est au 9e mois de grossesse, et souffre d'un handicap du bas du corps qui l'oblige à marcher ployée la main sur le genou. La voilà à terme, c'est son premier accouchement. » (pp. 91-92)
1. « On me donne un numéro et un nom : "Maintenant tu t'appelleras Rachid... Ne bouge pas, ne parle pas, sauf si tu entends ton nom. Rachid numéro 45". À Derb Moulay Cherif tout le monde avait un pseudonyme suivi d'un numéro. La police de sécurité s'arrange pour que personne ne sache qui est qui. […] Pour moi, c'est le début de la dépersonnalisation : enlèvement, séquestration arbitraire, et maintenant la négation de ma féminité. Pour eux, je ne suis plus qu'un homme surnommé Rachid. Pourquoi ? Une femme doit-elle être absolument exclue du champ social, de la lutte politique ? Doit-elle suivre la voie tracée par le système traditionnel, subir les préjugés et les croyances séculaires qui l'empêchent d'avoir accès à la parole publique ? Je m'assieds sur un lit de camp, dépouillée de tout ce que j'avais. » (p. 16)
3. « Cinq ans : un pan de vie, bu par des murs puants, crasseux, pourris, branlants, qui sucent une jeunesse, fleur arrachée en bouton. Cinq ans pour le crime d'avoir pensé à un lendemain meilleur, à un monde où on respecterait les droits de l'homme, un monde qui ne ferait plus de la femme un être inférieur.
Vous voulez changer le monde, dépouiller la femme de sa peau naturelle, effacer les discriminations. Un de ces hommes lui a tenu ce discours : "La femme, au harem et pas ailleurs. La femme à la maison, pour faire les gosses. Tout le reste, c'est des sottises contre nature." » (p. 55)
2. « Même si j'ai l'estime des gardiennes, je n'échapperai pas à cette humiliation. Inévitables, l'abdication de la dignité, le déshabillage et la blessure, il faut que la gardienne inspecte tous les replis. Gare à celle qui en a ! Elle subira les doigts glacés et la langue fourchue de la gardienne. Combien de doigts de femmes ont tripoté mes cheveux et palpé mon corps. Dureté de cet instant où tu as l'impression qu'on t'arrache à ton corps, il devient propriété de l'autre qui le manipule puis, tu n'as plus qu'à en ramasser les morceaux épars. » (p. 51)