Ferdinando Camon : Conversations avec
Primo LeviDepuis les rues de Rome,
Olivier BARROT présente le livre de
Ferdinando CAMON "Conversations avec
Primo Levi" et en lit un passage.Propos illustrés par une
photoNoir et blanc de
Primo LEVI.
Il y a un chemin dans la folie qui doit être parcouru jusqu'au bout,parce que s'arrêter est plus dangereux que continuer.
J'exposais mon rêve. Puis nous nous taisions ( un long silence faisait toujours suite à l'exposé d'un rêve; parfois j'achevais mon récit en cinq minutes, après quoi nous n'ouvrions plus la bouche jusqu'à la fin de la séance, mais à la faveur de ce silence, le rêve se clarifiait dans mon esprit comme dans le sien. Le silence est à la communication ce que la chambre noire est à la photographie : le lieu où l'on développe la photo ).
La rencontre se termine par l'affirmation de Lévi:"Il y a Auschwitz,il ne peut donc pas y avoir de Dieu".Avec ces mots,c'est mon opinion,Lévi a voulu introduire une preuve philosophique de la non-existence de Dieu,une preuve à opposer à celles, par exemple, de Saint Anselme:s'il y avait un Dieu,Auschwitz ne devait pas exister,mais puisqu'il y a Auschwitz,il est impossible que Dieu existe.
En un sens, je découvris qu'on ne parle qu'en analyse : la situation analytique est la situation où l'homme parle. Dans le monde, l'homme parle pour se confirmer : il n'y a que lui. En analyse, l'homme parle pour se démentir : il y a autrui. Les mots que l'on prononce en analyse ne peuvent être prononcés en autre lieu.
« Vous jouez du piano ? demanda Robert Mitchum, vous avez de si beaux doigts. » Elle les fait bouger avec agilité et précision. Tu peux les regarder, c'est l'occasion de la vie. Nous n'avons jamais eu une jeune fille si belle et si proche. C'est une main faible, elle n'a jamais travaillé, ni soulevé des poids, ni souffert du soleil, de la neige, du vent. Il y a des mois de janvier où nos femmes travaillent en plein air, elles écorcent les branches avec une serpe et la neige leur écorche les mains, le sang sort des petites crevasses et dès qu'il est sorti sur les bords de la blessure, il gèle. Mais cette main est une main protégée, gardée en sécurité. Toute rose, de petite fille. On ne peut pas savoir si elle est chaude ou froide ; il est défendu de la toucher.
C'est une conception "héroïque" de l'Histoire:l'Histoire est faite par quelques-uns,les dominateurs,les héros,dont la volonté secoue le monde comme un coup de vent,et le peuple ne peut que se recroqueviller dans son coin.
(Ferdinando Camon)
Elle ne pouvait pas croire qu'un homme aille à la guerre simplement parce qu'on l'y contraignait.Cette scène me frappa comme une révélation:le plus fort dans la famille ce n'était pas le père,c'était la mère.J'avais vu le père,tout comme Ursus,immobiliser un veau par les cornes.Qu'aurait fait notre mère?
L'essentiel,c'est que partout où la loi vient à manquer,la loi de la jungle s'instaure-la loi darwinienne selon laquelle le mieux adapté,qui est souvent le plus méchant,domine et survit en mangeant la chair vive de l'autre.Au Lager ce phénomène était manifeste.
(Primo Lévi)
Lorsqu'il se mettait en colère, le major se retirait un quart d'heure dans sa chambre à coucher, prenait le couvercle d'une boîte de cirage à chaussures et le plaçait sur la flamme d'une bougie, lorsque le fer-blanc était devenu rouge le major se raclait la tête avec les ongles pour ratisser les poux, puis les y laissait tomber un à un : le pou explosait comme une goutte d'essence. Après quinze ou vingt explosions l'officier supérieur revenait dans la pièce du quartier général : il avait perdu plusieurs compagnies, mais il s'était libéré d'autant de poux.
Vous avez donc fait une année de Lager. Le Lager,la métaphore par excellence de l'homme qui fait du mal à l'homme,une des plus grandes fautes de l'Histoire.
(Ferdinando Camon)