Le lac
Dans la maison flottante (seuls les lustres tremblent),
l'odeur du cèdre abattu, sculpté de frises,
couvrait toute odeur.
Un coucou rythmait le silence,
de loin en loin,
s'arrêtant de chanter par à-coups,
comme pour laisser
aux éclats de voix humaines
le soin d'exister.
Un demi-cercle de montagnes
coiffées de nuages joufflus,
magnifiat le lac
qui nous enlaçait.
Allongés dans une sikhara blanche, palanquin flottant,
nous allions chercher de la gelée royale
et des stigmates de safran
dans des bazars poussiéreux.
Royina porte un diamant sur l'aile du nez
et ses bracelets de cheville
font de la musique sur le plancher.
"Michel, could I have a quick beer?"
Nagin Lake, Cachemire, juin 1984
Prison végétale
Sur une carte, les eaux apparaissent
comme les nervures d'un kaléidoscope.
Singes hurleurs, comme des trains,
rugissements de fauves,
dans le silence bousculé, piétiné de la nuit.
Et tout à coup, les oiseaux se taisent.
La pluie, encore lointaine, fait un vacarme sourd.
Le fleuve devient plus noir encore
et la forêt si verte prend le marron du ciel.
Le vent se met de la partie.
Et le bruit, toujours le bruit, se rapproche.
La pluie alors devient assourdissante,
comme s'il pleuvait des cascades sur la cilme des arbres.
Après l'averse,
Je prends le premier bateau,
tam-tam saccadé du moteur,
macaques joueurs, perroquets siffleurs,
vers un hypothétique bar flottant.
Une télévision en noir et blanc, à batteries,
donne une image floue.
Une grosse fille de jais et sa petite sœur
servent le cachaça tiède
à des tueurs de caïmans.
Amazonie (Brésil), avril 1997.
extrait : Lété sans fin