- Ne rigole pas, Maurice. Cela aurait pu arriver si nous nous étions endormis face aux Indiens. L'Amérique devait devenir notre pays ou rester le leur. Elle ne pouvait pas appartenir aux deux. Si nous leur avions construit des maternités, des hôpitaux et des écoles, ils se seraient multipliés et ils nous auraient chassés. Voilà ce qui vous attend. Nous, nous les avons parqués dans des réserves où nous leur avons fourni de l'alcool et des maladies. On raconte même que nous infestions de variole les vieilles couvertures que nous leur offrions. Résultat, nous sommes devenus majoritaires. Vous êtes combien d'Européens par rapport aux Arabes ?
- Environ 1 pour 6.
- Eh bien dans dix ans ce sera du 1 pour 10, et ainsi de suite. C'est mathématique. Le temps joue pour eux. Même s'ils ne bougent pas le petit doigt, ils vous écraseront sous leur nombre. Toute la question est de savoir combien de temps vous allez pouvoir tenir.
« Le vice-consul, finalement un peu moins stupide que je ne l’avais cru au premier abord, m’a expliqué que cette sordide campagne de presse ne me visait pas directement. Elle représentait en réalité une manoeuvre de leur gouvernement, soucieux de faire oublier sa corruption et son incompétence. Pour faire avaler à son peuple l’amnistie accordée aux égorgeurs intégristes, il avait décidé de me transformer en figure symbolique du mal.
Le préfet français Mauric Fabre métamorphosé en Satan, Chitân ! Après avoir saboté et pillé ce pays, ses dirigeants espèrent maintenant me faire incarner le colonialisme responsable de tous ses maux !
Eh bien, je n’ai pas l’intention d’accepter l’honneur de leur servir de bouc émissaire. Ils m’ont enlevé alors que je ne leur demandais rien et que, pour moi, la page algérienne était définitivement tournée. Tant pis pour eux ! »
Montpellier , le 16 septembre 1996
Le directeur régional des renseignements généraux
à
Monsieur le préfet de région de Montpellier .
Monsieur le préfet ,
Suite à vos instructions téléphoniques de ce jour , j'ai l'honneur de vous transmettre ci-joint la note rédigée par le service départemental des RG du Gard à l'occasion des obsèques du colonel Raoul Duplan .
Son meurtre a provoqué une forte émotion dans la communauté des rapatriés d'Algérie et une importante agitation médiatique . Nous avons aussi noté l'arrivée d'envoyés spéciaux de la presse écrite et audiovisuelle .
Nous établirons , en collaboration avec la section centrale des RG , une note sur ces journalistes .
J'ai en tout état de cause , demandé à mon service de suivre avec une attention toute particulière l'évolution de la situation .
Veuillez agréer , Monsieur le préfet , l'expression de ma considération distinguée .
LE DIRECTEUR RÉGIONAL
Maman est entourée de femmes en pleurs. Marion me tient par la main. Nous avons mis nos habits du dimanche. Notre père est allongé sur le lit. Les yeux clos. Une toute petite cicatrice à la base du nez. Mon oncle André nous fait doucement sortir de la chambre et nous attendons dans le couloir. Sans rien nous dire. Ensuite, il y a la marche derrière le cercueil. Le cimetière. Le discours du maire. Et puis, le retour à la maison. Le silence. Les voix feutrées de mon oncle et de ma tante qui nous font manger. Maman est enfermée avec Djamila, sa soeur. Quand nous somes couchés, elle vient nous embrasser. Dans la nuit, je me réveille et je vais dans le bureau de mon père. Là où il range ses négatifs et sa comptabilité. J'ai envie de crier. De mettre le feu à la maison. Je prends son pistolet dans le tiroir. Je le charge comme il m'a appris à la faire et je le pose sur la table. Je jure de venger mon père.
Le lendemain, j'emporte le pistolet au lycée. Tout le monde est gentil avec moi. Je parle avec mon copain André. Il est d'accord avec moi. Après les cours, je sors avec lui. Il fait presque nuit. En passant devant un café maure, je vide le chargeur sur la porte. Au hasard. Nous nous enfuyons. Je ne sais pas si j'ai touché quelqu'un. Mais ça ne fait rien. J'ai peut-être été fou. Mais je me sens soulagé. Ma colère a disparu. Il ne me reste que la haine.
Si nous perdons cette guerre, nous aurons eu tort. Et ce sont les fellaghas qui auront eu raison.
C'est simple, non ?
" Donnez-moi, mon Dieu, ce qui vous reste.
Donnez-moi ce qu'on ne vous demande jamais...
Je veux l'insécurité et l'inquiétude.
Je veux la tourmente et la bagarre,
Et que vous me les donniez, mon Dieu, définitivement."
Mao Tse-Toung a dit que la guérilla ne peut exister ou se développer si elle se sépare du peuple, et ne bénéficie pas de sa sympathie ou de son assistance. Notre premier objectif est donc de séparer la guérilla du peuple. P30
Figurez vous que je suis entré dans la gendarmerie en 43, pour échapper au travail obligatoire en Allemagne. J'ai été affecté au camp de Drancy pour surveiller les Juifs. Vous parlez d'un boulot. Deux ans plus tard, c'étaient les collabos qui les remplaçaient. En 54, les méchants étaient les Arabes du FLN, en 61, les gars de l'OAS et, en mai, les étudiants qu'on avait le droit de cogner mais sans leur faire de mal.
Nous sommes en octobre 1968. Les Français ont traversé l'occupation, la guerre d'Indochine et le guère d'Algérie avant de vivre la grève générale de mai 1968. La France n'a pas basculé dans la révolution et n'a pas encore vraiment changé. C'est une France qui vous semblera vieillotte, une France en noir et blanc que vous allez découvrir à travers mon cahier numéro 1.
Maintenant, j'ai compris. La seule question importante était celle de mon origine. C'était la première et seule fois où mon nom, Nourredine Mabrouki, m'a été utile. Je suis un Arabe et le ministre avait dit qu'il fallait en recruter beaucoup. C'est surtout pour cette raison que j'ai été sélectionné.