- (...) si un enfant doit être séparé de sa famille, c'est que quelque chose d'important ne fonctionne pas. Quelque chose de suffisamment grave pour que l'enfant ne puisse pas rester vivre chez lui. Et pour que ces choses-là s'arrangent, il faut du temps. pour que tout le monde comprenne que des problèmes comme ça ne se règlent pas en quelques jours, sinon ce serait bien plus simple et l'enfant n'aurait pas besoin de venir ici.
Je suis resté un long moment à penser aux paroles d'Hervé. Pour la première fois, je commençais à trouver un sens à tout ça. Une logique.
Comme la veille au soir, nous nous asseyons sur le sol et laissons le sable nous couler entre les doigts. Son contact est chaud en surface, froid en profondeur.
Je me surprends à penser que les hommes du désert doivent être justement l'inverse : distants et froids en apparence, chaleureux en dedans.
- Le troisième thé est secret, dit-il enfin. Celui-ci parle de choses qu'on ne peut dire que dans l'intimité.
Quand à mes camarades, à l'école, c'était souvent :
- Tu vas au Lili faire dodo, bébé ?
J'avais envie de leur répondre :
- Et toi, pauvre andouille, tu fais pipi dans ton popo ?
Mais voilà, j'avais seulement envie.
J'ai froid, je suis épuisée, et le désert ne ressemble pas aux pages glacées de mon magazine. Mon père avait bien raison: je ne suis jamais contente! C'est alors que, après ce repas somme toute très occidental, arrive le moment du thé.
Monsieur Denis nous fixa l'un après l'autre avant de répondre :
" Six cent soixante-six, c'est le nombre du diable ! "
Je dois dire que j'ai été surprise de la facilité avec laquelle on peut disparaître. Hier, j'avais une vie, une famille, je fréquentais un lycée. Aujourd'hui, je ne suis plus personne. Et tout le monde s'en moque. Du moins, c'est ce que je finis par croire. (p.61)
-je n'ai jamais vécu une chose pareille, précise-t-il. Mais voyez vous, il y a toujours une solution à tout, dans le désert.
je le trouve un peu gonglé. A mon avis, il n'était pas si rassuré, tout à l'heure, sur le bord de la route
Ludmilla préfère m'attendre dehors, et ce simple geste me met mal à l'aise. J'ai le sentiment d'être encore du bon côté, alors qu'elle a déjà basculé dans un univers différent, où l'on n'entre plus dans les magasins. Où l'on n'entre plus en contact avec les autres, sinon pour demander l'aumône. (p.35)
le jeune homme sert le deuxième thé, moins fort, plus sucré.
-Celui-ci est doux comme l'amour, dit-il en remplissant nos verres.
A ces mots, les Touaregs se mettent à parler entre eux. Ils rient et me dévisagent sans retenue.