UNE MONTAGNE - François Coudray
http://www.editions-harmattan.fr/index.asp?navig=catalogue&obj=livre&no=44910 UNE MONTAGNE François Coudray Témoignages poétiques L'écriture poétique de François Coudray nous invite...
inédits de Manille
inédit 6
depuis plusieurs jours le ciel ronge la terre
acide et doucereux
érosion lente et fade
sans déchirure
sans jouissance
et ce matin à nouveau
le ciel semble échapper à la ville
la lune a pris du champ
et je la suis
dans le lointain sillage d’un poème
Ça veut dire quoi partir
mes mots ne cherchent pas ailleurs (ni le temps
soudain traversé ni
la respiration de se savoir passer
partir) mais dans l’herbe
du talus l’eau perle et la poussière sur le bord du
sentier
quand la lumière tremble et la bise
descend de la montagne
et bien plus bas ce paysage ( notre enfance)
qui était notre peau
(le pré en pente la forêt
comme une arène la falaise la plaine et le vaste appel
miroitant
du massif)
me déchire
me respire
ton absence parfois n’est plus
que l’évidence bée
de ça qui ne reviendra pas
et de ce pas à faire
encore
sans toi
Extrait 10
quelques chiens se répondent, aboient en échos, de ferme en ferme,
isolées sur les coteaux
le grelot diffus des clarines
une voiture au loin sur la route du col
l’enfant
bouche de terre
à l’intérieur de moi
Extrait 6 bis
une autre image les alpages dans la lumière d’un matin d’automne
la vallée se creuse et c’est bientôt beaucoup plus qu’une ombre
vaste
et tout le ciel
les herbes
grasses encore
sèchent sur les lauzes
dans les creuses, sur les pentes accrochées entre les falaises
une paume dans la terre
contre la roche
et quoi les mots m’ont-ils donner à vivre ?
inédits de Manille
inédit 5
ce soir la lune boit
toutes les rumeurs de la ville
les noie
et sourd un chant lointain
l’entends-tu ?
comme venu des profondeurs du temps
noir de terre mêlé
je colle mon oreille contre l’herbe la nuit
je n’entends que
l’eau la pierre
cet autre chant, intérieur
tout ce qui fuit
résiste en moi
à la simple fuite de tout
inédits de Manille
inédit 3
l’arbre que j’ai cru sans saison vibre et s'éclaire ce matin d’un
vert tout neuf
en quelques jours seulement ses feuilles ont roussi
et les jeunes pousses
s’agrippent au jour comme les mille mains d’un enfant
tendresse d’une ronde où dansent tous les âges
automne et printemps mêlés dans un même bosquet
Extrait 5
retrouver le goût de la terre
sous la langue les ongles
des mots
mon sang
ne pas se laisser séparer
retrouver l’enfant
me lover contre lui dans la terre
comme le vide au creux de ma main
et c’est ma main encore
quand si loin regarder une image
avoir bouche de terre
pour essayer encore de
creuser l’image
Extrait 6
il aimerait
être emporté dans le filet d’une eau glaciale qui cherche son chemin
entre les graviers saillants dans la terre noire
dans la lumière rasante des mélèzes sur la neige
que déchirent les branches nues des vernes, des embrunes, des rosages
et les herbes brûlées
respirer avec la pierre
inédits de Manille
inédit 4
je croyais le ciel sans heur *
mais de larges nuages dessinent enfin sur la ville
la déchirure
qui ouvre à l’enfant le jardin
l’arbre des fugues des cabanes
dans le pépiement des oiseaux des langues inventées
* heur : vieux, Bonne fortune.
synonymes : bonheur, heureux
inédits de Manille
inédit 1
pluie de décembre sans saison
on est parti en plein après-midi dans les rues désertées de la
ville
on rêve marcher dans la fraîcheur de ce qui s’enfuirait le
ciel et la terre lourde enfin d’un hiver à venir ou la terre
écrivant au ciel comme un fragile adieu
on rêve cette étreinte mais le ciel est sans déchirure
immuable et lisse ciel sans arrière-pays
et à l’éclat des verts, pourtant lavés d’enfance, à l'éblouissant
feu des fleurs d’hibiscus
manque l’obscure sève que seule éveille la blessure