Ses albums ont gagné en densité émotionnelle tout en travaillant une matière sonore épurée, jusqu'à parfois en faire un simple fil où l'artiste, à pas comptés mais hardis, défie la gravité celle du monde ou de ses relations amoureuses. Démonstration lors de cette session privée enregistrée au Studio Harcourt.
RÉALISATION
Pierrick Allain
Basile Lemaire
Ophélie Richard
CLAVIER
Léonard Lasry
LUMIÈRES
Studio Harcourt
SON
Laurent Macé
PHOTO
Nicolas le Provost
Tony Foulquier
Alexis Rambosson
Pauline Martin
REMERCIEMENTS
Agnès BrouardFrançois Gorin
Ivica Mamedy
TELERAMA - AVRIL 2021
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Brel aimait les mots, plus encore sans doute que les personnages et les sentiments que ces mots portaient. Il les aimait comme des choses menacées de disparaître. Il les aimait tant qu’il brûlait une énergie folle à les faire sonner, puis à les incarner. Il les aimait tant qu’il en inventait d’autres – « décroisser (la lune) », « se racrapoter ». Il aimait les verbes, au point d’avoir adopté pour manie d’écriturela transmutation d'un adjectif ou d’un substantif en verbe (« je me suis déjumenté », « tu frères encore », « il fleuve des ivresses »…). Il aimait le verbe comme il aimait l’action. Il actionnait le verbe, c’était sa vie, et c’est dans les chansons qu’il le faisait le mieux.
1992 a été pour Scott Walker une date charnière. Le trésor caché devenant disponible, on a vu des acheteurs curieux se manifester en nombre et des disciples apparaître. On a lu des articles, entendu des musiciens témoigner leur admiration. Ce nouveau partage était un heureux déchirement. L’obsession walkérienne restait, à ce point de l’histoire, une affaire d’initiés. On n’était pas prêt du dénouement.
Paris, Porte de Champerret, 1991, p. 93
Le cinéma en est un, bien qu’il ne nourrisse pas pour lui une passion débordante. Brel, amateur à l’occasion de Charlot ou de von Stroheim, est un spectateur impatient, qui s’ennuie facilement. « Tourner m’amuse davantage que de voir des films, dira-t-il un jour. D’ailleurs, je m’endors toujours dans une salle. »
Peu estimée par son auteur, cette supplique est aujourd’hui sa chanson sans doute la plus connue, la plus reprise en tout cas. S’identifiant sans fausse pudeur à ses paroles, Brel se livre ici en amant trahi, délaissé, qui implore le retour, et quasiment la pitié de sa bien-aimée qu’on devine cruelle, mais dont il n’est pas question, sinon sous forme abstraite. « Ne me quitte pas » est typiquement la chanson citée en exemple par les allergiques à Brel, à ses excès de pathos, et le « clip » télévisé n’y change rien, qui montre un Brel en gros plan, suant un chagrin qu'on sait néanmoins joué.
Lui qui détestait qu'on le compare à Tom Jones est à présent bradé dans la catégorie Demis Roussos. On solde les restes d'un chanteur de charme un peu moins complaisant que les autres. En 1969, sa grande année, celle aussi du début de la fin, il pouvait déclarer : "Les Walker sont morts et enterrés, et c'est pour le mieux". Cinq ans après, dans une sorte de brouillard éthylique, il y a de la reformation dans l'air chez les Brothers de la lose.
2005, p. 108-109
C’est qu'être belge est compliqué, surtout quand on avoue des origines flamandes et qu’on chante en français ; surtout quand on concentre un rejet de la « belgitude » sur ce versant flamand, flamingant même (c’est-à-dire revendiquant jusqu’à l’extrême l'identité locale
David Bowie a confié un jour à propos de Scott : « I have no idea what he's singing about. I never bothered to find out and I'm not really interested. » Moi non plus David, je n'en ai aucune idée. (p. 19)
Dans ces îles où la solitude est totale, j'ai trouvé une sorte de paix.
J'ai tendance à penser que les moments qui restent le plus solidement ancrés dans la mémoire sont ceux de l'humiliation : tout s'écroulant autour, nous victimes abaissées; autant de joies se perdent dans le halo brumeux du souvenir euphorique, autant ces moments-là qui nous réduisent à rien ( ou trop à nous, seulement )cuisent encore malgré nous, même sous une peau durcie.
Mon travail fait, j’ai juste envie d’ajouter quelques lignes à une nécro pondue dans l’urgence et l’hébétude, en essayant d’élargir le cercle à tous ceux que cette simple question risque, pourquoi pas, d’intriguer : comment un chanteur exceptionnellement doué peut-il être obsédé à ce point par l’idée de ne pas en être un ? Question subsidiaire : comment ce chanteur-là a-t-il pu m’obséder au point de me faire passer des centaines d’heure en compagnie de ses disques, puis beaucoup d’autres encore à essayer de mettre en forme une passion dont le partage même semble être voué à la loi du secret ?
Lundi 25 mars 2019, matin, p. 13-14