Quelle place pourrait tenir la poésie dans votre vie si vous êtes incapable du moindre silence intérieur ? Je vous le demande un peu. Or, reconnaissez qu’il est bien rare que vous parveniez à faire taire le caquetage saisissant des voix en vous. Ça bavasse à propos de tout et de rien, ça commente tout, ça juge sans arrêt, ça médit de tout, ce n’est pas bien beau. On appelle ça le monologue intérieur, on pourrait aussi bien dire l’enfer intérieur. S’il vous reste un peu de dignité, mettez-y un terme au plus vite. Pour cela, suivez le guide.
À l’intention de ceux qui ne connaîtraient pas son principe pourtant simplissime, je rappelle que l’exercice de l’arrêt consiste à s’arrêter. Oui, s’arrêter. Tout simplement. Autrement dit, cesser soudainement de faire quoi que ce soit. Voici un exemple : alors que vous êtes en train de manger des raviolis, vous cessez soudainement de manger des raviolis. Voici un autre exemple : alors que vous courez dans le métro, vous cessez soudainement de courir dans la métro. C’est aussi simple que cela. Action/cessation de l’action : voilà en quoi consiste l’arrêt. Car, aussi invraisemblable que cela puisse paraître pour qui n’a jamais pratiqué cet exercice, il est bel et bien possible à tout moment de s’arrêter de faire ce que l’on est en train de faire. Il suffit pour cela de s’interrompre, c’est-à-dire de suspendre d’un coup tout mouvement, tout élan, tout affairement, toute projection. Juste s’immobiliser. C’est tout. Rien de plus simple. La seule difficulté est de ne pas penser aussitôt aux conséquences de cette interruption.
Vous êtes là, comme à l'ordinaire, affairé, dans le garage, dans la cour, chez la voisine, au deuxième, au coin de la rue, sous la douche, dans votre lit, au bureau, appliqué, consciencieux, concentré, ou bien distrait, fatigué, énervé, agité, pressé, tendu, pestant, bâclant, tâchant d'écouter, rêvassant, ne mâchant pas assez, vissant mal, vous acharnant, pressant le pas, flânant, caressant à la dérobée; bref, vous vivez comme d'habitude, en vous efforçant de suivre du mieux possible le cours sinueux de l'existence, tâchant de vous y faire, de vous faire une raison, et vous avez bien raison étant donné que ça se poursuivra vraisemblablement toujours à ce rythme impossible, il faut bien l'accepter, oui, et vous l'acceptez par la force des choses, bravo, sans réellement l'avoir accepté, dommage, puisque ça marche comme ça, suffît de laisser filer, ce que vous faites très bien, vous laissant entraîner tant bien que mal, c'est la vie, pas le choix, advienne que pourra - enfin, vous connaissez le tableau. Bien.
Et puis voilà que soudain, au moment où vous vous y attendiez le moins, tout s'interrompt, pof. Arrêt sur image, pause, stop. Vous basculez étrangement, vous vacillez. Vous ne sauriez dire ce qui arrive, mais vous... mais je... mais enfin... oh... c'est... tellement... tellement...
C'est un satori.
Une suspension du cours des choses. Une suspension du sens de tout. Vertige. Une perte de soi pour une présence de tout.
Quand ce serait l’heure d’y aller…
Extrait 5
Quand toute votre enfance resurgit
du simple fait d’être
monté au grenier
Quand on s’arrête
soudainement
de se croire
un monstre
Quand ça chatouille les chakras
à travers la forêt
des plaisir sensoriels
Quand tout l’éclat du monde
se concentre sur un seul point
Quand on espère très fort
que ça n’est pas une mauvaise blague
Quand bêtement
d’un coup
on ne veut plus
mourir
Quand vous n’avez
plus de tête
et que vous ne
le regrettez pas
…
Quand ce serait l’heure d’y aller…
Extrait 6
Quand on assiste
au retour inopiné
de figures
très aimées
Quand la joie descend
jusqu’aux orteils
Quand la tentation est trop forte
bien que le panneau soit énorme
Quand ça semblerait bien
pouvoir durer toujours
Quand Ouuuiii ii i iii i i i i
Quand on n’a plus
qu’une envie
Quand il fait si bon
si doux
si tout
Quand cet élan
qui nous prend
c’est le pur Amour
[…]
Vous n’en pouvez plus d’être vous ? Vous en avez plus qu’assez d’être limité, de n’être que ça ? Vous voulez passer la vitesse supérieure ? Très bien, nous avons la solution.
Quand ce serait l’heure d’y aller…
Extrait 1
Quand ce serait l’heure d’y aller
mais qu’on n’y est pas du tout
Quand en sauvant un papillon
attaqué par des fourmis
on se prend pour un saint
Quand on est si loin de chez soi
qu’on finit par l’oublier
Quand on est couché dans son lit
et qu’on entend soudainement craquer
le plancher du grenier
Quand le spectacle de la Nature
devient le seul spectacle supportable
…
Quand ce serait l’heure d’y aller…
Extrait 3
Quand passer le balai
se révèle plus efficace
qu’avaler un anxiolytique
Quand on n’est plus personne
à l’instant où le petit oiseau va sortir
Quand tout paraît
bulles de savon
à la surface
et au-dedans
Quand un changement de focale
sauve du monde bavard des hommes
Quand on se demande bien
pourquoi
on n’a pas commencé par là
…
Quand ce serait l’heure d’y aller…
Extrait 2
Quand on est heureux
et malheureux
simultanément
sans raison
Quand
OH Regarde
Quand un arc-en-ciel
une colline jaune
un lapin à deux pas
Quand la projection
est subitement suspendue
Quand on ne saurait dire
si le monde préexiste à la perception
Quand toutes les salles se vident
et que le silence revient
…
Assez de tout ce romantisme d’artiste maudit ! Comme toujours, la vérité est décevante : vous êtes comme tout le monde, tout le monde est comme vous. C’est entendu. Seulement vous voulez plus que tout le monde : vous voulez la POÉSIE. Bien bien, fort bien. Mais alors il serait peut-être temps de vous ouvrir sérieusement à une tout autre dimension de votre être.