Les 4 vérités - Françoise Laborde
Comment est-il possible de supporter la déchéance de l'être qu'on a aimé ? Comment fait mon père ? Et il veut tout gérer tout seul.
C'est vrai qu'elle découvre, tous les jours, des visages inconnus. L'ami, le parent de la veille, lui sont, le lendemain, parfaitement méconnaissables. Les plus proches sont, chaque jour, des étrangers. Comme un virus d'ordinateur qui détruit la mémoire vive, et efface des fichiers, l'un après l'autre, chaque jour. Une visiteuse chargée de moins en moins de bagages.
À l'heure où j'écris, elle n'est plus qu'une plante La mémoire est effacée, l'amnésie est totale.
Sous la douche, elle sent son corps se détendre, fouetté par les jets circulaires. Après ce sera le bain bouillon-, nant et enfin la séance avec le professeur Berthier.
- Maria, Maria, j'ai oublié de vous dire. (Elle a enfilé un peignoir et se penche sur la rampe de l'escalier.) Le professeur Berthier va venir, vous le ferez monter direc¬tement chez moi.
Elle retourne dans sa salle de bains et se glisse dans le bain bouillonnant : Allons-y, puissance maximum... On dirait un légume dans le pot-au-feu...
Elle est couchée sur son lit. Elle ne s'est pas déshabillée, elle frissonne. Elle a laissé la fenêtre ouverte pour mieux sentir la présence familière et rassurante des grands arbres dans le jardin de la maison voisine. La nuit est tombée depuis longtemps et la chambre est plongée dans l'ombre. La lumière du bureau, dans l'entrée, dessine un triangle au pied de la porte entrebâillée.
Elle attend que se calment les battement de son coeur. Elle attend que s'apaise cette douleur secrète. Ne pas penser à ce qui s'est passé. Ne pas laisser monter les images de cauchemar. Se concentrer sur sa respiration, remplir lentement ses poumons de l'air froid de la nuit.Demain, il sera temps de réfléchir à ce qu'il convient de faire. Pour l'instant, elle est chez elle, en sécurité. Elle inspire longuement, ferme les yeux un instant, pour les ouvrir aussitôt. N'est-ce pas une voiture qui vient de ralentir, en bas, dans la rue calme? Elle s'est à demi redressée, dans un élan de panique. Mais non ! Ils ne peuvent pas l'avoir trouvée, si vite! Ils n'ont pas dû s'apercevoir de sa disparition avant la fin de l'après-midi. Et Véra n'a sûrement pas révélé son adresse. A moins que...
(première page)
Page xi : L'enfant n'appartient ni à ses parents, ni à la société, mais à sa liberté future.
Elle enlève sa perruque et se regarde dans la glace : Vieux machin ! Tu veux encore te battre ? Ses yeux lui disent oui. Eh bien, il va falloir mettre le paquet. Elle se demande si elle ne ferait pas mieux de se raser le crâne plutôt que de garder ses pauvres cheveux clairsemés. Mais elle a peur qu'ils ne repoussent pas. Elle a pleuré en voyant tomber par paquets ses boucles blondes dont elle était si fière et elle ne se résout pas à couper ce qui reste. Souvent elle rêve la nuit que ses cheveux repous¬sent, d'un coup. Tu as l'air d'une vieille carne mitée, lance-t-elle à son reflet dans le miroir.
Edwige monte dans sa chambre, ouvre largement ses fenêtres sur les arbres du parc. Ici, au moins on respire. La nuit est opaque, fraîche, Edwige frissonne. Elle passe dans sa salle de bains. C'est la pièce de la maison qu'elle préfère, la raison secrète de son choix : une salle de bains pompéienne avec bain bouillonnant, douche à jets, table de massage et même un espalier dont elle ne se sert guère mais dont elle se promet toujours de faire bon usage.
Souvenons-nous de ce que disait Freud à propos de l'éducation : « Faîtes ce que vous voulez, de toute façon ce sera mal. » Freud voulait ainsi expliquer que les parents parfaits n'existent pas. Les parents naviguent en permanence entre autoritarisme et permissivité, ce qui génère toutes sortes de conflits... Les parents doutent de leur rôle de parents...
Aujourd’hui c’est le printemps. J’ai toujours aimé ces jours de renouveau annoncés par l’éclosion des crocus, des forsythias.
Aujourd'hui, je pense que si ma mère est devenue folle, c'est aussi parce qu'elle ne voulait pas nous voir partir, devenir adultes... Parce qu'elle ne voulait pas être seulement un mode de passage de la vie.
Pour elle, l'histoire devait s'arrêter avec elle.
C'est pour ça que je ne veux pas la voir. Parce que c'est peut-être mon existence même qui a précipité sa démence.
Parce que son histoire s'est arrêtée avant notre naissance. Ou parce que notre naissance était pour elle la fin de l'histoire.
Aurait-elle pu être soignée, guérie ? Bien sûr que non. Mais aurait-on pu enrayer la maladie, la retarder ? Je ne sais pas.
Les plaintes pour non assistance à personne en danger sont classées sans suite. Le fonctionnement défectueux de la Justice et de la gendarmerie, pouvant engager la responsabilité de l'État pour faute lourde, n'est pas retenu par le Tribunal de Paris.
La déchéance de l'autorité parentale de Virginie et Eric sur les frères et sœurs, qui ont été témoins du calvaire de leur sœur Marina, n'est pas prononcé.