Oui, le temps passait, pour l'un trop lentement et pour l'autre trop vite. Et pourtant il ne passait ni vite ni lentement, mais d'un pas régulier, inexorable, incessant; il était rigoureux et inéluctable comme le chant de la flûte de monsieur Berg, qui planait sur les jardins, montait, descendait, sans trêve, rythmé par une loi d'airain. Et ce passage, cet écoulement, n'était ni joyeux ni triste, mais simplement était — impénétrable. Le temps se mouvait en toute chose, mouvait tous et tout, et tous se mouvaient en lui; sa coulée traversait les eaux, les arbres, le vent, le sang et le battement des cœurs; surgi de l'obscur, il poussait et entraînait tout, et replongeait à l'obscur — sans commencement et sans fin. Le jour était passé, la nuit était venue, une nuit quelconque, une des innombrables, et qui jamais ne reviendrait semblable.
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Oui, le temps passait, pour l’un trop lentement et pour l’autre trop vite. Et pourtant il ne passait ni vite ni lentement, mais d’un pas régulier, inexorable, incessant ; il était rigoureux et inéluctable comme le chant de la flûte de M. Berg, qui planait sur les jardins, montait, descendait, sans trêve, rythmé par une loi d’airain. Et ce passage, cet écoulement, n’était ni joyeux ni triste, mais simplement était – impénétrable. Le temps se mouvait en toute chose, mouvait tous et tout, et tous se mouvaient en lui ; sa coulée traversait les eaux, les arbres, le vent, le sang et le battement des cœurs ; surgi de l’obscur, il poussait et entraînait tout, et replongeait à l’obscur – sans commencement et sans fin. Le jour était passé, la nuit était venue, une nuit quelconque, une des innombrables, et qui jamais ne reviendrait semblable.
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Présentation de l'auteur, p. 14
Il faut aimer la vie, plus que le sens de la vie, cette parole de Dostoïevski, où s'entend comme une supplication, eût pu monter du fond de son être. S'il abhorrait idéologies et passions politiques, c'est qu'elles niaient ce pour quoi il vivait, déshumanisaient l'homme, sacrifiaient la vie à une idée. Vingt ans avant Camus, il en sentait la tragique absurdité.
Eric et Hans étaient assis sur le rouleau de cordages. De longtemps ils n’avaient dit mot. Cette lente venue des ténèbres, c’était si beau. Le ciel était lourd et opaque – sans lune. La nuit se serrait contre eux.
Oui, le temps passait, pour l’un trop lentement et pour l’autre trop vite. Et pourtant il ne passait ni vite ni lentement, mais d’un pas régulier, inexorable, incessant; il était rigoureux et inéluctable comme le chant de la flûte de M. Berg, qui planait sur les jardins, montait, descendait, sans trêve, rythmé par une loi d’airain. Et ce passage, cet écoulement, n’était ni joyeux ni triste, mais simplement était – impénétrable. Le temps se mouvait en toute chose, mouvait tous et tout, et tous se mouvaient en lui; sa coulée traversait les eaux, les arbres, le vent, le sang et le battement des cœurs; surgi de l’obscur, il poussait et entraînait tout, et replongeait à l’obscur – sans commencement et sans fin.
M. Berg n’arrêta pas de flûter, il joua toute la soirée. C’était un rite quotidien, et aujourd’hui ne ferait pas exception. Pures et toujours renaissantes, les notes s’envolaient à intervalles réguliers, planaient, tels de frais éclats d’argent, au-dessus des jardins, se mêlaient à l’air du soir et se fondaient en lui. Mais qui les entendait ? qui les accueillait en son âme ? qui était capable de saisir ce message rigoureux, cette plainte lucide ? Le mourant ne les percevait pas, ne pouvait plus les percevoir; le sommeil où il avait sombré était déjà trop profond. Sinon, peut-être eût-il été celui qui eût le mieux saisi cette musique – elle échappait aux autres plus totalement encore.
Un jour avait passé et une nuit était venue, une nuit quelconque, importante-sans-importance, une pleine, chaude nuit de septembre – elle était maintenant tout à fait là. Elle coulait, large et pesante, pleine de rumeurs. Elle remplissait les rues et les jardins, nichait dans les arbres et les buissons, fouillait de son souffle tiède les masses des feuillages et traînait dans les rues les parfums pénétrants des herbes et des fleurs. Elle s’abattait sur les parcs, les étangs, les fossés, s’étendait pour couver sur le port et le fleuve et s’épaississait sous les arches des ponts, où l’eau bruissait confusément au pied des piles. La ville tentait de la refouler un peu : avec des réverbères, des lampes à arc, avec de la musique, avec ses bavardages – mais la nuit était la plus puissante. Elle remplissait tout, enserrait et plongeait êtres et choses dans une obscurité toujours plus noire. Elle était le fond tendre, jaillissant et plein sur lequel tout reposait, auquel tout retournait. Elle déliait les membres et versait la fatigue et la satiété.
Le jour était passé, la nuit était venue, une nuit quelconque, une des innombrables, et qui jamais ne reviendrait semblable. Car le dessin qu'elle composait présentement avec la vie ne se reproduirait jamais ; et qui ne la vivait pas, rêvant ou éveillé, qui la laissait échapper, l'avait perdue pour toujours, et sa vie se trouvait d'un peu, d'un rien, appauvrie.
Le jour était passé, la nuit était venue, une nuit quelconque, une des innombrables, et qui jamais ne reviendrait semblable. Car le dessin qu’elle composait présentement avec la vie ne se reproduirait jamais; et qui ne la vivait pas, rêvant ou éveillé, qui la laissait échapper, l’avait perdue pour toujours, et sa vie se trouvait d’u peu, d’un rien, appauvrie.
Le vieil homme n'avait pas quitté son banc ; ses mains s'appuyaient sur sa canne, son chapeau était à côté de lui. Il posait sur les choses qui l'entouraient un regard paisible et vide. Il était assis là, rien de plus. Si, pourtant : il vivait ...