L'assiette
anglaise : émission du 08 avril 1989
Depuis le Saint James Club de Paris,
Bernard RAPP porte un regard différent sur l'
actualité en compagnie des chroniqueurs habituels. L'invité est
Gérard BOUTET, auteur du livre "La boite à lumière".Au sommaire de cette émission :- Dima SAKHAROV- le temps- Football- Selle de vélo-
LAPIDUS père et fils- Alcoolisme dans brasserie- GAINSBOURG- GOURIO- Secret des pyramides- Expérience dans...
Fréquemment, les ouvriers de jadis fabriquaient eux-mêmes ce dont ils se servaient, unique façon d'obtenir la lame désirée, le manche répondant parfaitement à la main qui le saisirait; mais au grand jamais aucun d'eux ne se serait approvisionné en camelote dans un quelconque bazar d'où n'importe qui peut emporter n'importe quoi.
on apprenait le boulot sur le tas, en regardant faire les anciens qui n'étaient pas avares en coups de pieds au cul
A dire vrai, l'intoxication psychologique pointait sous les joutes verbales des ondes. Le village en fut également contagionné, bien entendu. Dès le 10 septembre 39, le préfet du Loiret indiquait aux maires du département que des émissions langue française, faites par des postes étrangers, et ayant de réelles apparences de sincérité, n'avaient en réalité d'autre but que de jeter le trouble dans l'esprit de la population, par la propagande de nouvelles inexactes. En conséquence, il demandait aux maires de mettre discrètement (mot souligné) leurs administrés en garde contre ces émissions dont ils auraient intérêt à vérifier soigneusement l'origine avant de leur accorder le moindre crédit.
Il est vrai qu'à cette époque, tout le monde écoutait la radio, étrangère ou pas ; les certitudes qu'on en concluait ne dépendaient que d'un parti depuis longtemps pris. Ce qui ne valait pas tripette pour l'un, était parole d'Évangile pour l'autre.
A ma connaissance, le premier acte de résistance, à Beaugency, fut celui d'une réfugiée qui tira sur les Allemands. Elle mourut fusillée. Des grenades incendiaires détruisirent la maison dans laquelle elle se trouvait. A son emplacement : notre gendarmerie.
Depuis l'appel du 18 juin, les familles des prisonniers mettaient tous leurs espoirs dans l'action du général de Gaulle, dont on causait de plus en plus. Les autres maisonnées, peut-être moins concernées dans l'immédiat, pensaient plutôt que l'Allemagne gagnerait la guerre face à une Angleterre isolée. Encore deux semaines et tout sera dit, entendait-on fréquemment. On ne s'en réjouissait pas, non, mais on répétait ça sans détresse, comme un dénouement logique. Il faut avouer que les Anglais ne faisaient plus l'unanimité depuis leur lamentable rembarquement de Dunkerque.
Le soir tombé, les plus fatigués grimpaient dans la charrette aux baquets débordants de raisin, jambes pendantes, tandis que les autres suivaient à pied én un joyeux cortège. La voiture reculait sous La grange et le contenu des gueulebées était versé dans la cuve. Le vigneron foulait alors le raisin aux pieds, sans attendre, pour l'aider à mieux fermenter sans s'échauffer. Ce trépignement recommençait à chaque transvasement, en fin de journée.
Une danse rude, et dangereuse avec ça ! Car Ie vigneron devait se méfier des cuves à moitié pleines dont les flancs retenaient une haleine empoisonnée, une touffeur qui l'étourdissait mieux qu'une avalée de goutte et qui menaçait de le retenir au fond, ivre-mort d'avoir trop respiré les vapeurs suffocantes du moût. Le fouleur se hissait hors de la cuve au plus vite dès qu'une gêne sournoise lui tenaillait l'entrejambes. Un avertissement qui ne trompait pas. Les couilles sensibles et la glotte puissante, c'étaient encore les meilleures garanties du vigneron contre les accidents de la cuvaison...
Il faut dire qu'à l'époque, presque tout le monde portait des sabots. Même les femmes, même les gosses de 4, 5 ans. Seuls les bourgeois préféraient se chausser de cuir. La clientèle regroupait surtout des gens du pays, ouvriers des bois ou des champs. Une paire de sabots durait un ou deux mois, plus ou moins longtemps selon les travaux de la saison et le pas du paysan. D'aucuns usaient davantage parce qu'ils traînaient les pieds, ou parce qu'ils avaient à marcher souvent sur des sols caillouteux. A battre trop fort la semelle, on cassait le talon, à heurter une pierre, on fendait le dessus.
Souvent on naissait sans être vraiment désiré ; on grandissait comme une mauvaise herbe et sitôt les dix ans, avec plus de force en bras que de jugeote en ciboulot, on se louait pour gagner sa croûte loin des jupes rassurantes d'une mère trop occupée à torcher les puînés. On apprenait le boulot sur le tas, en regardant faire les anciens qui n'étaient pas avares en coup de pieds au cul. On devenait arpète, ou commis, ou grouillot, le plus fréquemment dans le métier du père ou dans un emploi approchant. Avec un brin de chance on trouvait une bonne fille à marier au retour du régiment et l'on envisageait, une fois en ménage, de se mettre à son compte. Sinon, il fallait continuer de s'échiner pour un patron et ne plus perdre ses moments en de vaines rêvasseries de benêt.
Souvent on naissait sans être vraiment désiré ; on grandissait comme une mauvaise herbe et sitôt les dix ans, ... , on se louait pour gagner sa croûte loin des jupes rassurantes d'une mère trop occupée à torcher les puînés.