Gérard Janichon et Jérôme Poncet embarquent à bord du Damien pour un tour du monde de cinq ans Extrait du film qu'ils ont tourné avec une caméra donnée par Bernard Moitessier rencontré lors d'une escale.
Les choses qui nous effraient sont parfois celles qui nous sauvent et apportent les réponses.
En fait, j'aime bien l'idée de la mer mais c'est vivre qui m'intéresse.
Vous qui êtes en route, peut-être pensez-vous que nous avons de la chance, nous, Jérome et Gérard, de vivre une si belle jeunesse et que le monde est bien gentil avec nous. Ce n'est pas de la chance, évidemment, ou bien notre chance c'est d'avoir ouvert les yeux assez jeunes et d'avoir vu que si la marche du monde est irréversible, la marche des hommes ne l'est pas. Le papillon alourdi à force de se gaver de pollen ne peut tout de même pas s'en prendre aux autres papillons au vol gracieux en prétextant qu'ils ont de la chance, n'est-ce pas ? Et s'il y a beaucoup de papillons qui s'alourdissent, que tous les papillons sauf un s'alourdissent au point de ne plus savoir voler, devraient-ils chercher à brûler les ailes de celui qui sait encore voler ou au contraire le préserver ? Et comment lui en vouloir si dans son vol ce papillon léger affiche un peu d'arrogance destinée à réveiller les papillons à l'estomac encore intact ?
C'est vous qui êtes dans la vérité. Faire ce que vous faites à votre âge pourrait être l'unique but de la vie si l'on était jeune après avoir été vieux. Ne l'oubliez pas dans les moments difficiles.
La liberté n'existe plus quand on ne peut plus être en route. Être libre, c'est avancer.
Dans ma tête ça frémit comme une musique qui... ah, comment dire? pourquoi vouloir comparer? C'est une musique. C'est la mer. C'est une musique de la mer des Hautes Latitudes sud, si intense, si vibrante, sans faiblesse, sans descente. A aucun moment on ne peut dire: "Qu'a-t-elle voulu exprimer?" Tout est clair: il suffit d'écouter et on l'entend. Quand la musique s'arrête, le spectateur ne sait plus quoi faire. Il applaudit. (...)
Le Horn n'est à personne. Il n'est qu'à nous, à nous du Damien. (...) A l'école, on m'apprenait que 2 et 2 font 4, et que c'est important de le savoir sous peine de ne rien comprendre au monde et aux hommes. On ne m'apprenait ni à être heureux ni à aimer le soleil avant la pluie et le soleil après la pluie. On ne m'a pas appris à aimer la mer, mais ça, ça ne fait rien parce que je faisais l'école buissonnière et qu'on apprend ces choses-là tout seul. Les enfants sont très débrouillards et savent cacher leur jeu. Même si l'on enseignait des choses intéressantes à l'école, on ne pourrait de toute façon pas enseigner la chanson de l'eau du cap Horn contre l'étrave de Damien.
A vous aussi on a dû apprendre que 2 et 2 font 4. Pourtant vous pouvez fermer les yeux: je les ouvre grand pour vous. Parce qu'aujourd'hui 4 mars 1971, le cap Horn est là et c'est si fort, si grand que ça éclate comme un chant de vie.
Mais au fil du temps qui s'écoule d'une autre manière qu'à la ville, il acquiert l'art et la manière en chaque chose, et son habilité devient Voie, comme peut l'être celle de l'arc ou du sabre pour un samouraï. Lui parle de "religion" mais il s'agit bien de la même démarche. La Voie s'ouvre en dominant son corps, en maîtrisant ses gestes et son esprit, en transcendant son action.
- Les gars, une dernière chose avant de partir... Misez sur la simplicité. Toujours. La simplicité, c'est ce qu'il y a de mieux pour que ça marche, je vous le dis. C'est valable pour le bateau, hein, mais pour le reste aussi, vous comprenez, avec la simplicité, tout est facile, on n'est jamais déçu, on sait où on en est et où on va. En restant simples, vous serez honnêtes avec la vie, les gens, le bateau, la mer... Faites-moi plaisir, de retenir ça, les gars...
Je le savais tenace, j'imaginais donc qu'il irait vérifier ailleurs si l'espoir était véritablement une mystification ...
Le progrès, l'implantation de la civilisation en Amazonie, c'est l'absence de colt à la ceinture: le Far West est mort. Mais la couleur locale est indélébile. L'animation ou l'indolence du port selon l'heure, les tapouilles, qui ressemblent parfois à des jonques et à l'arrière desquelles un brasero frit le poisson ou la viande, les pirogues aux voiles tellement percées et cuites par le soleil qu'il n'est plus possible de les rapiécer, le gosse qui traîne sa misère mais l'ignore et ne retient que son bonheur d'exister, qui vend des oranges pelées ou cire les chaussures, le caboclo ivre qui vend des singes ou des perroquets, la fille qui vend son corps, ne s'effaceront pas de sitôt. Le génocide a eu lieu avec les Indiens, il n'est pas possible avec les caboclos et ce peuple de misère dont la passivité est la meilleure défense.