Citations de Gérard de Nerval (507)
Rien n'est indifférent, rien n'est impuissant dans l'univers ; un atome peut tout dissoudre, un atome peut tout sauver.
Les Filles du feu ; Emilie
… Personne n’a bien su l’histoire du lieutenant Desroches, qui se fit tuer l’an passé au combat de Hambergen, deux mois après ses noces. Si ce fut là un véritable suicide, que Dieu veuille lui pardonner ! Mais, certes, celui qui meurt en défendant sa patrie ne mérite pas que son action soit nommée ainsi, quelle qu’ait été sa pensée d’ailleurs.
— Nous voilà retombés, dit le docteur, dans le chapitre des capitulations de consciences. Desroches était un philosophe décidé à quitter la vie : il n’a pas voulu que sa mort fût inutile ; il s’est élancé bravement dans la mêlée ; il a tué le plus d’Allemands qu’il a pu, en disant : Je ne puis mieux faire à présent ; je meurs content ; et il a crié : Vive l’empereur ! en recevant le coup de sabre qui l’a abattu. Dix soldats de sa compagnie vous le diront.
— Et ce n’en fut pas moins un suicide, répliqua Arthur. Toutefois, je pense qu’on aurait eu tort de lui fermer l’église… — A ce compte, vous flétririez le dévouement de Curtius. Ce jeune chevalier romain était peut-être ruiné par le jeu, malheureux dans ses amours, las de la vie, qui sait ? Mais, assurément, il est beau en songeant à quitter le monde de rendre sa mort utile aux autres, et voilà pourquoi cela ne peut s’appeler un suicide, car le suicide n’est autre chose que l’acte suprême de l’égoïsme, et c’est pour cela seulement qu’il est flétri parmi les hommes… A quoi pensez-vous, Arthur ?
— Je pense à ce que vous disiez tout à l’heure, que Desroches, avant de mourir, avait tué le plus d’Allemands possible…
— Eh bien ?
— Eh bien, ces braves gens sont allés rendre devant Dieu un triste témoignage de la belle mort du lieutenant, vous me permettrez de dire que c’est là un suicide bien homicide.
— Eh ! qui va songer à cela ? Des Allemands, ce sont des ennemis.
— Mais y en a-t-il pour l’homme résolu à mourir ? A ce moment-là, tout instinct de nationalité s’efface, et je doute que l’on songe à un autre pays que l’autre monde, et à un autre empereur que Dieu. Mais l’abbé nous écoute sans rien dire, et cependant j’espère que je parle ici selon ses idées. Allons, l’abbé, dites-nous votre opinion, et tâchez de nous mettre d’accord ; c’est là une mine de controverse assez abondante, et l’histoire de Desroches, ou plutôt ce que nous en croyons savoir, le docteur et moi, ne paraît pas moins ténébreuse que les profonds raisonnements qu’elle a soulevés parmi nous.
Les Filles du Feu ; Sylvie
Je sortais d’un théâtre où tous les soirs je paraissais aux avant-scènes en grande tenue de soupirant. Quelquefois tout était plein, quelquefois tout était vide. Peu m’importait d’arrêter mes regards sur un parterre peuplé seulement d’une trentaine d’amateurs forcés, sur des loges garnies de bonnets ou de toilettes surannées, — ou bien de faire partie d’une salle animée et frémissante couronnée à tous ses étages de toilettes fleuries, de bijoux étincelants et de visages radieux. Indifférent au spectacle de la salle, celui du théâtre ne m’arrêtait guère, — excepté lorsqu’à la seconde ou à la troisième scène d’un maussade chef-d’œuvre d’alors, une apparition bien connue illuminait l’espace vide, rendant la vie d’un souffle et d’un mot à ces vaines figures qui m’entouraient. Je me sentais vivre en elle, et elle vivait pour moi seul. Son sourire me remplissait d’une béatitude infinie ; la vibration de sa voix si douce et cependant fortement timbrée me faisait tressaillir de joie et d’amour. Elle avait pour moi toutes les perfections, elle répondait à tous mes enthousiasmes, à tous mes caprices, — belle comme le jour aux feux de la rampe qui l’éclairait d’en bas, pâle comme la nuit, quand la rampe baissée la laissait éclairée d’en haut sous les rayons du lustre et la montrait plus naturelle, brillant dans l’ombre de sa seule beauté, comme les Heures divines qui se découpent, avec une étoile au front, sur les fonds bruns des fresques d’Herculanum !
Les Filles du feu ; Angélique.
En 1851, je passais à Francfort. — Obligé de rester deux jours dans cette ville, que je connaissais déjà, — je n’eus d’autre ressource que de parcourir les rues principales, encombrées alors par les marchands forains. La place du Rœmer, surtout, resplendissait d’un luxe inouï d’étalages ; et près de là, le marché aux fourrures étalait des dépouilles d’animaux sans nombre, venues soit de la haute Sibérie, soit des bords de la mer Caspienne. — L’ours blanc, le renard bleu, l’hermine, étaient les moindres curiosités de cette incomparable exhibition ; plus loin, les verres de Bohême aux mille couleurs éclatantes, montés, festonnés, gravés, incrustés d’or, s’étalaient sur des rayons de planches de cèdre, — comme les fleurs coupées d’un paradis inconnu.
Une plus modeste série d’étalages régnait le long de sombres boutiques, entourant les parties les moins luxueuses du bazar, — consacrées à la mercerie, à la cordonnerie et aux divers objets d’habillement. C’étaient des libraires, venus de divers points de l’Allemagne, et dont la vente la plus productive paraissait être celle des almanachs, des images peintes et des lithographies : le Wolks-Kalender (Almanach du peuple), avec ses gravures sur bois, — les chansons politiques, les lithographies de Robert Blum et des héros de la guerre de Hongrie, voilà ce qui attirait les yeux et les kreutzers de la foule. Un grand nombre de vieux livres, étalés sous ces nouveautés, ne se recommandaient que par leurs prix modiques, — et je fus étonné d’y trouver beaucoup de livres français.
Nerval, Gérard de (1808-1855). Auteur du texte. Les Chimères et
les Cydalises / Gérard de nerval ; préf. de Rémy de Gourmont ;
portr. de Nerval par Félix Vallotton. 1897.
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Rends-moi le Pausilippe et la mer d'Italie,
La fleur qui plaisait tant à mon cœur désolé.
Religion ou philosophie, tout indique à l'homme ce culte éternel des souvenirs.
(Emilie)
Ce qu'on appelle le pressentiment ressemble fort au poisson précurseur qui avertit les cétacés immenses et presque aveugles que là pointille une roche tranchante, ou qu'ici est un fond de sable.
Nous marchons dans la vie si machinalement que certains caractères, dont l'habitude est insouciante, iraient se heurter ou se briser sans avoir pu se souvenir de Dieu, s'il ne paraissait un peu de limon à la surface de leur bonheur.
Les uns s'assombrissent au vol du corbeau, les autres sans motifs, d'autres, en s'éveillant, restent soucieux sur leur séant, parce qu'ils ont fait un rêve sinistre.
Tout cela est pressentiment.
Vous allez courir un danger, dit le rêve; prenez garde, crie le corbeau; soyez triste, murmure le cerveau qui s'alourdit.
Les âmes sont les idées de Dieu.
Les objets et les corps sont lumineux par eux-mêmes.” “Rien n'est indifférent, rien n'est impuissant dans l'univers ; un atome peut tout dissoudre, un atome peut tout sauver !” “Le Rêve est une seconde vie. Je n'ai pu percer sans frémir ces portes d'ivoire ou de corne qui nous séparent du monde invisible. ”
Notre-dame de Paris
Notre-Dame est bien vieille : on la verra peut-être
Enterrer cependant Paris qu’elle a vu naître;
Mais, dans quelque mille ans, le Temps fera broncher
Comme un loup fait un bœuf, cette carcasse lourde,
Tordra ses nerfs de fer, et puis d’une dent sourde
Rongera tristement ses vieux os de rocher!
Bien des hommes, de tous les pays de la terre
Viendront, pour contempler cette ruine austère,
Rêveurs, et relisant le livre de Victor :
- Alors ils croiront voir la vieille basilique,
Toute ainsi qu’elle était, puissante et magnifique,
Se lever devant eux comme l’ombre d’un mort!
Déjà les beaux jours, la poussière,
Un ciel d'azur et de lumière,
Les murs enflammés, les longs soirs;
Et rien de vert: à peine encore
Un reflet rougeâtre décore
Les grands arbres aux rameaux noirs
Ce beau temps me pèse et m'ennuie.
Ce n'est qu'après des jours de pluie
Que doit surgir, en un tableau,
Le printemps verdissant et rose
Comme une nymphe fraîche éclose,
Qui, souriante, sort de l'eau.
Je suis le Ténébreux, le Veuf, l'Inconsolé,
Le prince d'Aquitaine à la Tour abolie ;
Ma seule étoile est morte et mon luth constellé
Porte le Soleil noir de la mélancolie.
C'était le lac Menzaleh, l'ancien Maréotis, où Tanis ruinée occupe encore l'ile principale, et dont Peluse bornait l'extrémité voisine de la Syrie, Peluse, l'ancienne porte de l'Égypte, où passèrent tour à tour Cambyse, Alexandre et Pompée, ce dernier comme on sait, pour y trouver la mort.
Au printemps l’oiseau naît et chante :
N’avez-vous pas ouï sa voix ?…
Elle est pure, simple et touchante,
La voix de l’oiseau – dans les bois !
L’été, l’oiseau cherche l’oiselle ;
Il aime – et n’aime qu’une fois !
Qu’il est doux, paisible et fidèle,
Le nid de l’oiseau – dans les bois !
Puis quand vient l’automne brumeuse,
il se tait… avant les temps froids.
Hélas ! qu’elle doit être heureuse
La mort de l’oiseau – dans les bois !
Puis, avec un esprit d'à-propos dont chacun fut frappé, elle choisit ce moment pour présenter coup sur coup trois énigmes à la sagacité si célèbre de Soliman, le plus habile des mortels dans l'art de deviner les rébus et de débrouiller les charades. Telle était alors la coutume : les cours s'occupaient de science... elles y ont renoncé à bon escient, et la pénétration des énigmes était une affaire d’État. C'est là-dessus qu'un prince ou un sage était jugé. Balkis avait fait deux cent soixante lieues pour faire subir à Soliman cette épreuve.
Soliman interpréta sans broncher les trois énigmes, grâce au grand prêtre Sadoc, qui, la veille, en avait payé comptant la solution au grand prêtre des Sabéens.
"La sagesse parle par votre bouche", dit la reine avec un peu d'emphase.
"Quelle belle nuit!" dis-je en voyant scintiller les étoiles au-dessus du vaste emplacement où se dessinent, à gauche, la coupole de la Halle aux blés avec la colonne cabalistique qui faisait partie de l'hôtel de Soissons, et qu'on appelait l'Observatoire de Catherine de Médicis, puis le marché à la volaille; à droite, le marché au beurre, et plus loin la construction inachevée du marché à la viande. La silhouette grisâtre de Saint-Eustache ferme le tableau. Cet admirable édifice, où le style fleuri du Moyen Age s'allie si bien aux dessins corrects de la Renaissance, s'éclaire encore magnifiquement aux rayons de la lune, avec son armature gothique, ses arcs-boutants multipliés comme les côtes d'un cétacé prodigieux, et les cintres romains de ses portes et de ses fenêtres, dont les ornements semblent appartenir à la coupe ogivale.
Circonspect, ombrageux, mais peu pénétrant, Sadoc s'était maintenu sans peine, ayant le bonheur de n'avoir que peu d'idées. Étendant l'interprétation de la loi au gré des passions du prince, il les justifiait avec une complaisance dogmatique, basse, mais pointilleuse pour la forme. (Les nuits du Ramazan)
En 1851, je passais à Fancfort.-Obligé de rester deux jours dans cette ville, que je connaissais déjà,-je n'eus d'autre ressource que de parcourir les rues principales, encombrées alors par les marchands forains. La place de Roemer, surtout resplendissait d'un luxe inouï d'étalages; et près de là, le marché aux fourrures étalait des dépouilles d'animaux sans nombre, venues soit de la haute Sibérie, soit des bords de la mer Caspienne.- L'ours blanc, le renard bleu, l'hermine, étaient les moindres curiosités de cette incomparable exhibition; plus loin, les verres de Bohême aux mille couleurs éclatantes, montés, festonnés, gravés, incrustés d'or, s'étalaient sur des rayons de planches de cèdre,-comme des fleurs coupées d'un paradis inconnu.
Fantaisie
Il est un air pour qui je donnerais
Tout Rossini, tout Mozart et tout Weber,
Un air très vieux, languissant et funèbre,
Qui pour moi seul a des charmes secrets.
Or, chaque fois que je viens à l’entendre,
De deux cents ans mon âme rajeunit :
C’est sous Louis treize ; et je crois voir s’étendre
Un coteau vert, que le couchant jaunit,
Puis un château de brique à coins de pierre,
Aux vitraux teints de rougeâtres couleurs,
Ceint de grands parcs, avec une rivière
Baignant ses pieds, qui coule entre des fleurs ;
Puis une dame, à sa haute fenêtre,
Blonde aux yeux noirs, en ses habits anciens,
Que, dans une autre existence peut-être,
J’ai déjà vue… – et dont je me souviens !