Des grappes de jeunes hommes stationnent toujours à l’entrée du square, devant le carrefour des rues Léon, Cavé, et Saint-luc. (…)
Au début il y avait une fontaine, un projet de lycée « pilote », avec des classes préparatoires, un court de tennis… En somme la matérialisation d’une sorte de rêve de faire de ce quartier déshérité un quartier « comme les autres » et, même mieux que les autres. Pourquoi les jeunes de la Goutte d’Or ne pourraient-ils pas, sans quitter leur quartier, intégrer des classes préparatoires, jouer au tennis ? Pourquoi ce quartier ne devrait-il pas devenir une pépinière de l’élite, et en remontrer aux autres quartiers ?
La fontaine a été comblée, le projet de lycée abandonné, le court de tennis transformé en terrain de foot. Dans le même temps, de nombreux équipements ont vu le jour : une crèche de quatre-vingts berceaux, une bibliothèque, une ludothèque, une poste, et le Pôle-Santé Goutte d’Or où les familles trouvent dans un même lieu une consultation pour nourrissons, un centre de planification familiale, des consultations spécialisées, et un « espace santé » où sont proposées des actions d’information et de prévention. Ces équipements sont venus s’ajouter à ceux qui existaient déjà : crèche, consultation de PMI, dispensaire, centre d’action sociale, et bien sûr, l’hôpital Lariboisière tout proche. Si bien que ce petit coin de Paris fait certainement partie des zones de France les mieux équipées en service publics.
Je m’approche de deux assistantes sociales qui discutent d’événements récents survenus dans un collège du quartier. L’une d’elles s’inquiète du viol d’une adolescente qui se serait produit dans l’établissement de la seconde qui lui répond, presque rassurante :
- Ah non, ce qu’on dit est très exagéré… C’est vrai, il y a eu des attentats à la pudeur, des gamines ont été déshabillées dans leur classes. Mais un viol, non, quand même !
A-t-elle seulement réalisé l’énormité de ce qu’elle vient de dire ?
Profitant de la confusion, une gamine me tire par la manche. C’est une jeune maghrébine de quinze ou seize ans. Elle est fine, très jolie, timide. « Madame, avec la sodomie, est-ce qu’on peut être enceinte ? » Sa question est sincère, précise, ce n’est pas de la provocation. Elle attend de moi une vraie réponse.
Je m’entends lui dire : « Non, mais tu sais, si tu ne souhaites pas avoir de rapport sexuel, si tu souhaites attendre d’être un peu plus âgée (tu es encore bien jeune), tu n’es pas obligée de dire oui pour faire plaisir à un garçon. Ton corps t’appartient (sans blague, je lui sors un slogan MLF alors qu’elle me demande comment préserver une apparence de virginité, vitale pour elle!).
Pendant ce temps, quelque part dans des bureaux feutrés, de modernes Précieuses - ministres ô combien féministes - estiment qu’il est une question vitale et urgente pour instaurer l’égalité des sexes : féminiser des noms masculins… Il est à leurs yeux de la plus haute importance de violer la langue française pendant que des gamines sont violées dans les caves des cités, dans l’indifférence quasi-générale.