L'idéal quand on lit, c'est de tout oublier. Savoir que dans un livre se trouve un ton, qu'on va être étonné, émerveillé, ému à coup sûr, qu'on va sourire, qu'on va connaître un plaisir sans retenue. Le savoir pendant des années, se retenir d'aller vérifier, puis un jour risquer un œil, pour voir. Et ne pas être déçu. La grande joie qui nous emplit, que n'a certes pas connue l'auteur du livre.
Ils disent qu'ils n'ont pas le temps de lire et nous les voyons faire des tours d'Europe en treize jours, avaler les messages commerciaux de la télévision, jouer aux cartes, commenter pendant des soirées entières des quarts d'idées soi-disant politiques.
On ne remplace pas ceux qui meurent, il faut s'habituer à ne vivre qu'une fois.
Ce que J'aurai appris en vieillissant, c'est à peu près ceci: quand on parle d'un grand écrivain, en réalité, on ne parle même pas d'un livre, on parle de passages d'un livre. On retient d'une lecture certains moments. La vie n'est pas différente.
(Cahier Lire, Le Devoir, édition samedi-dimanche, 5 et 6 janvier 2019)
… il m’arrive d’ouvrir un livre ou deux, parfois ému plus qu’il n’est raisonnable devant une page ou une phrase d’une bouleversante beauté. La seule forme d’éternité qui me soit accessible.
(Boréal, p.129)
Ce qu'il peut être enivrant de se sentir étranger au monde ! On a toujours l'impression d'être en voyage.
Je m’égare. À soixante-cinq ans, on s’égare toujours un peu. Même si comme moi on refuse de vieillir. Correction : je sais que je suis atrocement vieux, que j’ai parfois l’air d’un débris, mais je n’accepte pas d’en donner le spectacle.
(p. 12)
Les hommes qui se disent couverts d'amis me font peur, je crains toujours qu'ils ne veuillent ajouter mon nom à leur liste.
De tout manière, personne ne le verrait, ce cahier, sauf mes enfants lorsque, bien malgré moi, j’aurais plié mon ombrelle. (p. 12)
Il y a des moments de bonheur qui ne ‘effritent jamais. Un geste, une parole nous les font revivre. Comme si la vie voulait nous convaincre de ne pas désespérer.
(p.43)