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Citation de enkidu_


Rien n’est plus étrange en ce temps planétaire que ce qu’on désigne par « retour du sacré » : succès des sagesses et religions orientales (zen, taoïsme, bouddhisme), des ésotérismes et traditions européennes (kabbale, pythagoricisme, théosophie, alchimie), étude intensive du Talmud et de la Torah dans les Yéchivot, multiplication des sectes ; incontestablement, il s’agit là d’un phénomène très post-moderne en rupture déclarée avec les Lumières, avec le culte de la raison et du progrès. Crise du modernisme pris de doute sur lui-même, Incapable de résoudre les problèmes fondamentaux de l’existence, incapable de respecter la diversité des cultures et d’apporter la paix et le bien-être de tous ? Résurrection du refoulé occidental au moment où celui-ci n’a plus aucun sens à offrir ? Résistance des individus et groupes devant l’uniformisation planétaire ? Alternative à la terreur de la mobilité en revalorisant les croyances du passé ? Reconnaissons que nous ne sommes pas convaincus par ce type d’analyses.

Il convient avant tout de remettre à sa juste place l’engouement actuel dont jouissent les multiples formes de sacralité. Le procès de personnalisation a pour effet une désertion sans précédent de la sphère sacrée, l’individualisme contemporain ne cesse de saper les fondements du divin : en France, en 1967, 81 % des jeunes de quinze à trente ans déclaraient croire en Dieu ; en 1977 ils n’étaient plus que 62 %, en 1979, 45,5 % seulement des étudiants déclaraient croire en Dieu. Qui plus est, la religion elle-même est emportée par le procès de personnalisation : on est croyant, mais à la carte, on garde tel dogme, on élimine tel autre, on mêle les Évangiles avec le Coran, le zen ou le bouddhisme, la spiritualité s’est mise à l’âge kaléidoscopique du supermarché et du libre-service. Le « turn over », la déstabilisation a investi le sacré au même titre que le travail ou la mode : quelque temps chrétien, quelques mois bouddhiste, quelques années disciple de Krishna ou de Maharaj Ji.

Le renouveau spirituel ne vient pas d’une absence tragique de sens, n’est pas une résistance à la domination technocratique, il est porté par l’individualisme post-moderne en en reproduisant la logique flottante. L’attraction du religieux est inséparable de la désubstantialisation narcissique, de l’individu flexible en quête de lui-même, sans balisage ni certitude – fût-ce dans la puissance de la science –, elle n’est pas d’un autre ordre que les engouements éphémères mais néanmoins puissants pour telle ou telle technique relationnelle, diététique ou sportive. Besoin de se retrouver soi-même ou de s’annihiler en tant que sujet, exaltation des rapports interpersonnels ou de la méditation personnelle, extrême tolérance et fragilité pouvant consentir aux impératifs les plus drastiques, le néo-mysticisme participe de la gadgétisation personnalisée du sens et de la vérité, du narcissisme psy, quelle que soit la référence à l’Absolu qui le sous-tend. Loin d’être antinomique avec la logique majeure de notre temps, la résurgence des spiritualités et ésotérismes de tout genre ne fait que l’accomplir en augmentant l’éventail des choix et possibles de la vie privée, en permettant un cocktail individualiste du sens conforme au procès de personnalisation. (pp. 169-171)
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