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4/5 (sur 3 notes)

Biographie :

Née à Turin en 1967, auteur photographe indépendant, fondatrice et directrice artistique du séminaire photographique international Reflexions Masterclass, Giorgia Fiorio et son ouvrage Le Don reçoivent en 2009 le patronage de l’UNESCO. Son oeuvre développe une interrogation autour de la figure humaine depuis plus de vingt ans.

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Citations et extraits (3) Ajouter une citation
Giorgia Fiorio
Rites et cérémonies, qu'ils soient d'inspiration religieuse ou païenne, solitaires au fortement organisés d'un point de vue social et culturel, voulus ou subis, se jouent ici au carrefour du dépassement physique de soi et de la recherche spirituelle.Dans un premier temps, l'ambition de Giorgia Fiorio face à cette réalité complexe dont elle ne connaît pas nécessairement tous les codes - comme confrontée à une langue étrangère- est celle de décrypter gestes et attitudes de ces sujets.Décrypter est à prendre ici au plus près de son sens étymologique, à savoir mettre en lumière ce qui est caché et fait sens- faut-il rappeler dans un même ordre d'idée que la photographie est par définition écriture de la lumière.Gabriel Bauret sur les chemins du mystère, extrait.
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La femme que j'ai rencontrée porte en elle un don, elle est la femme du don. Ce don – dit-elle – elle l'a offert parce qu'elle l'a reçu, elle l'a donné alors même qu'elle le prenait, elle le rend et le retrouve entre ses mains dans la simultanéité immédiate qui distingue les choses antécédentes ou définitives, aurores en attente ou nuits éternelles, « pas encore » ou « jamais plus » où n'habite qu'un indistinct, un indéterminé, si incertain qu'il en devient certitude pleine, totale indocilité. Son don – dit-elle – est l'âme mystérieuse, nue, rassérénée, qui habite les corps, mais il est aussi corps qui s'offre comme figure de l'âme, et qui dans ce mouvement même, en ce qu'il est figure, disparaît derrière l'âme, est, enfin, âme.
Elle dit que son don est vie et mort aussi, car sans la vie, il n'y a pas mort mais inertie, et sans la mort, il n'y a pas vie, mais seulement mouvement sans intention, transformation pour ne rien devenir. Son don – dit-elle – est la foi en un Ailleurs qui est ici continuellement et toujours, la disponibilité d'un Absent qui appelle le monde depuis les origines du monde. Son don est force, tension, corde tirée par les deux bouts, horizon lancé, toujours plus au-delà et plus deçà. Un corps ligoté par de grosses cordes mais qui se hisse sur ses bras à San Pedro Cutud pour la Semaine sainte, écrasé en même temps qu'attiré, maltraité et intensément tendu, un arbre sec dans le désert soudanais, synonyme de soi et de son contraire, sans feuilles, rien que les éclairs ou les restes enfumés d'un incendie. Une main aux lignes nettes et un visage flou, le besoin exprimé avec une intensité extrême par les yeux d'une musulmane, de Somalie peut-être, et sa certitude dans l'exaucement, dans l'assouvissement impossible mais éternellement nécessaire. Son don – dit-elle – c'est le combat de deux corps qui reforment le premier couple divisé qui sait pourquoi, l’enchevêtrement un jour démêlé, de façon inattendue, puis recomposé par la lutte kusti, et c'est le vousseau renversé, simultanément en équilibre et en suspens, précaire, de deux lutteurs sumo. C'est les deux habitants du Mato Grosso qui façonnent ensemble une double voilure, ou un arc tendu par un bâton trop mince qui semble pourtant supporter les palmiers dans le fond. Tous les membres, qui ne se heurtent pas mais qui enfin se rencontrent comme cela a été et comme cela certainement sera, sont le don.
Le don – dit-elle – est le cercle qui se ferme dans le rythme perpétuel avant tout avant et après tout après et pourtant toujours maintenant, c'est le mouvement rotatoire des derviches, l'essor qui prirent les étoiles en leur temps. Et don sont les lignes courbes, filaments en qui sait quels cieux, ou porosité d'une échelle d'argile, comme dentée, sur le Machu Picchu, ou les reflets d'un rocher d'or, ou une crinière de pierre allongée sur la mer de l'île de Pâques, rondeurs très douces et fermement ondoyantes qui n'ont pas divisé les espaces mais les ont laissés s'ajuster et se reconstituer. Le don est la double verticalité, les pieds tendus vers le ciel et les mains fermes pour empoigner la terre tandis qu'en position habituelle droite quelqu'un t'aide à rester immobile en suspension renversée, durant Kumbh Mela ou autour de Bénarès. Et puis – dit-elle – le don est la puissance primordiale nullement chaotique mais très composée, forme pleine, première et ultime résolution d'énergie, l'incroyable immobilité d'un drap de toile qui se déroule dans le vent, la solide stabilité de l'eau glacée qui coule sur les corps des Yamabushi ou de l'eau tiède d'une cataracte sur l'Isla Hispaniola, immobilité du mouvement égale et identique à celle d'un corps étendu mains et pieds liés dans une petite gorge quelque part sur les Andes, ou d'un homme sur l'île de Pentecôte, dans sa chute de freinée. La femme du don dit que la simultanéité des opposés est exactitude et qu'elle se condense exactement dans l'idée de grâce, c'est-à-dire gratuité, concession libre est libre acceptation, assouvissement global et sans motif, sans rétribution mais plein de compensation, sans mérite, sans droit, donation vraie, le don que Dante éclaire dans le Convivio quand il écrit que d'après « les sages […] la face du don doit ressembler à celle de celui qui le reçoit, c'est-à-dire qu'elle lui convienne, et qu'elle soit utile ».
J'accompagne la femme du don dans son voyage, avec discrétion pour ne pas troubler sa perception et sa pensée, je l'écoute quand elle dit que le don est qualité, vertu, un bien accordé et reçu par la nature ou par la fortune ou par l'Un, je reste silencieux et je l'écoute. Torquato Tasso pensait que « parmi les dons les plus précieux et chers que Dieu ait faits à la nature humaine, il y eut celui du parler » et je voudrais ajouter celui de l'écouter, réciproque par nécessité, je me tais et j'écoute la femme du don quand elle dit que le don est communion, bras et mains puissamment tendus, groupés, convergents vers le centre, de juifs israéliens, affaiblis peut-être mais infatigables, mains d'un prêtre catholique, réunies les doigts croisés mais où le pouce, l'index et le médium s'ouvrent et forment le nombre trois, une trinité, le don ce sont des mains fortes qui portent des croix, des mains et des pieds qui reposent sur des croix, des mains qui servent à marcher. Le don – dit-elle – est un riche oxymore, beaucoup de ligne droite et beaucoup de lignes circulaires qui ne se croisent jamais, parce que se croiser signifie se couper, se blesser, se lacérer, la souffrance du détachement, elles s'effleurent plutôt et forment l'harmonie absolue et silencieuse d'un jardin zen. Elle dit que don est le corps noir peint de blanc, le corps noir vêtu de blanc, le bijou blanc sur un bras noir ou les mains jointes abaissées en prière dans les rites Candomblé, ou le sang coagulé, mais qui coule, on ne sait combien de temps encore, on ne voit pas où va s'achever ce flux ténu mais si lourd, et elle dit que le don premier est une nature pure et immaculée, avant toute créature, rien que des cimes, des sommets de montagnes et un ciel haut recouvert de nuages, ruisselant de nuages, et tu demandes pourquoi parfois la terre est plus haute que le ciel, pourquoi la terre est plus lumineuse que le ciel, tu te demandes pourquoi ces convexités implacables continuent sans contradiction sans priorité à porter le poids d'une histoire passée. Tu te demandes : pourquoi persévèrent-elles, en toute gratuité et ajustement, à émettre des corps que la terre submerge, des corps se posant du ciel au attentifs à demeurer suspendus entre les deux, participants des deux ?
Où qu'elle aille la femme du don, le décor est plus souvent le plein air il n'y a presque pas de maisons ni de cabanes, rares sont les lieux déchus et abandonnés, parfois emmêlés aux racines, des racines comme des pierres fondatrices et comme des colonnes, et des pierres comme des racines vives, sinueuses et rampantes d'arbres morts.Quel que soit le lieu où parviendra la femme du don, et où elle s'arrêtera, tous passeront devant elle, s'écouleront le long de la rue marquée, ouverte par des étendards ou des pavillons aériens puis feront halte, se rassembleront et repartiront ensuite se pressant, et chaque lieu, dans son voyage, fera à elle et à moi, silencieux, le don d'une image, chaque image accompagnée d'un symbole, signes phonétiques pour que le don soit simultanément regardé et entendu, et compris dans les différentes langues multiples qui le disent.La nature des lieux et de ceux qui les traversent deviendra nature des mots.
Cesare Pavese a écrit que « sortir dans la rue, et trouver de l'herbe, des cailloux, émeut tout autant qu'une grande grâce, autant qu'un don de Dieu, autant qu'un rêve », mais il n'y a pas là l'herbe d'un jour quelconque, il n'y a pas les cailloux d'un demain ou d'hier, et le rêve n'est pas là : à sa place l'éternité de la veille perpétuelle d'un toujours aujourd'hui. J'accompagne la femme du don, je regarde les cavités et les crevasses sombres, je n'éprouve aucune crainte mais le fait de seconder.Je me tais parce que le don engendre de l'énergie muette, et ce qui reste est la stupeur et l'attente.
Daniele Del Giudice.la femme du don.
Traduit de l'italien par Jean-Paul Manganaro.la femme du don.
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Quelle force entraîne les foules de pèlerins à travers les plus hautes montagnes et l'étendue infinie des déserts ? Qu'ont donc en commun ceux qui lèvent les mains au ciel et ceux qui frappent le front contre le sol ? Pourquoi certains sont-ils nus et d'autres couverts jusqu'aux yeux, d'autres rasés, polis comme des amandes, ou bien avec des cheveux longs mêlés à la barbe dans d'immenses turbans ? Qui habite les corps transpercés des flagellants, qui les membres couverts de cendre, qui se cache sous la peau, peinte ou tatouée de dessins enchevêtrés, qui derrière les masques, qui derrière le voile ? L'extase, la transe, la contemplation et la méditation mènent-elles à une perception indicible de la mort, ou bien à une réalité physique déchirante ? À travers l'expérience directe, sans intentions encyclopédiques, j'ai pendant neuf ans suivi la voie d'un projet photographique autour d'un cheminement personnel : « le Don ».
Aux origines des croyances, dans les premiers textes sacrés, comme dans la tradition orale païenne des ancêtres, apparaît toute une trame de correspondances : rituels, gestes répétés, échos d'un même frémissement face au mystère de l'existence. Au-dessus de l'espace-temps universel, se croise un labyrinthe de parcours à la recherche d'unisson entre l'identité extérieure de l'individu et son moi profond.
L'histoire des croyances, en parallèle avec celle du langage, trace le chemin du genre humain. Le langage et l'écriture racontent l'histoire sociale, relative à la connaissance, à l'échange et à la confrontation entre les êtres humains ; les croyances tracent, aux origines, l'histoire intérieure de chaque individu, chacune dans son propre tissu culturel et dans une perception toute personnelle de l'inconnu : le Mystère, le sacré, l'occulte, le passé ancestral, le futur intangible, les cycles de la Nature, les Éléments, l'idée du Temps, la dimension de l'Espace, et enfin, le sens de l'Existence dans sa complexité.
Des empreintes de différents parcours convergent jusqu'à se superposer dans le sillage du mot don. Dans ses multiples acceptations, don est l'un des mots les plus anciens du langage. Dans sa qualité transitive, il possède principalement deux sens : offrir/donner et recevoir, ou même prendre. Mais la question qui se pose depuis toujours est la suivante : offrir/recevoir « quoi ». La finitude de l'existence physique semble entrelacée autour de l'évidence du Mystère. La vie humaine reçue comme grâce et offerte comme tribut, sacrifice, consécration... Ces deux « visions premières » donnent naissance à de multiples interprétations, se déclinant d'une civilisation à l'autre au fil du temps : au fond de toutes les questions, inéluctable, la dimension corporelle de la condition humaine marque chacun des rituels. À codifier dans le geste, discipliner, réprimer, mortifier, purifier, honorer, orner, dénuder, posséder, délivrer, le corps – tout particulièrement la « chair », en tant que matière, et en même temps la « figure », comme représentation et paradigme de l'individu – est le « porteur » paradoxal de la dimension spirituelle. Le messager entre la vie et la mort. Peut-être, si l'âme est ombre, le corps est-il ombre de l'ombre.
Le Don est la vie et, indissoluble, la mort aussi. L'espoir promis d'une vie autre au-delà de la vie et encore d'autres vies au-delà de la sienne, le cercle se referme : la vie reçue, grâce qui génère encore de la vie. Aussitôt rendue.
Giorgia Fiorio- 2002-2009, le don.
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