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Critiques de Giovanni Papini (19)
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Le Miroir qui fuit

Outre la très belle édition numérotée avec une introduction de Mr Jorge Luis Borges en personne, nous ne pouvons qu'apprécier ce recueil pour ses grandes qualités intellectuelles.

Papini fait preuve d'un fantastique d'une très grande pureté qui n'a besoin ni d'horreur, ni de suspense. Pas de frayeur, ni de monstruosité. Juste cette inquiétante étrangeté ou autrement dit ce moment Todorovien où l'hésitation entre la folie ou le basculement dans le merveilleux nous tient alerte.

En effet, onze nouvelles nous parlent de la mort. Cependant on peut y mourir sans être mort (ou l'inverse), désirer cette mort sans y parvenir tel le pantin d'un rêveur inconnu, disparaître faute du regard de l'autre ou perdre par inadvertance son dernier moment de gloire avant de disparaître...

L'auteur interroge l'être; il plante ses yeux dans notre mental et nous met devant le fait accompli: à quoi tient notre existence, sommes nous plus que ces êtres de papier qu'il nous décrit ?

Papini philosophe, Papini rêveur sans rêve, Papini metteur en scène de notre questionnement existentiel parvient à nous émouvoir, oh à peine!, à nous faire frissonner d'un léger tremblement de nos convictions ou d'une once de trop plein de conscience.

Le miroir a beau fuir , il reflètera sans répit toutes nos petites hésitations pour ne pas dire frayeurs existentielles.
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Gog

Illustrations de Rémi.



La quatrième de couverture nous met en garde : « N’achetez pas ce livre, vous le regretteriez. » Et si nous ne le regrettons pas, nous pouvons sans aucun doute douter de la bonté humaine.

Gog est un milliardaire excentrique convaincu de la médiocrité des hommes dans tous les domaines. Art, pensée, sentiment, idée, artisanat, tout lui est sujet de dégoût. Gogo voyage beaucoup et rencontre tout ce que le monde compte d’hommes illustres : Gandhi, Henry Ford, Lénine, H. G. Wells, Freud, Einstein et bien d’autres, en dépit de leurs mérites et de leur talent, aucun d’eux ne trouve grâce aux yeux du richissime misanthrope qui se pique de mécénat, mais à qui rien ne convient. « Je ne veux vraiment pas jeter mes dollars par la fenêtre. » (p. 25)



Gog est un atrabilaire amoureux de sa personne exclusive. Le reste du monde l’ennuie et l’agace. Gog honnit tout ce qui n’est pas lui et son égo le pousse à haïr l’humanité tout entière. « Pour moi qui déteste les hommes en général, le simple aspect d’un anthropophage est réconfortant. » (p. 60) Cynique, sadique, machiavélique et mégalomaniaque, le milliardaire est également puissamment convaincu de ses droits et de sa supériorité. « Il y a trois semaines, avec ma Packard, j’ai embouti une vieille femme, et comme sa famille réclamait une indemnité effrontément disproportionnée à la perte – on sait bien quel est le prix moyen des femmes –, j’ai dû faire appel à un bon avocat pour me défendre contre ces exploiteurs de cadavres. » (p. 77) Charmant personnage, n’est-ce pas ? Bien qu’il rencontre des hommes aussi excentriques, aussi marginaux et aussi fous que lui, Gog ne reconnaît en aucun d’eux un égal et se mûre dans une solitude farouche et haineuse. « L’instinct de l’assassinat m’a toujours hanté puissamment depuis ma prime adolescence. » (p. 266)



Mais Gog n’est pas heureux. « Il est incroyable qu’un homme comme moi, pourvu de milliards et dépourvu de scrupules, puisse s’ennuyer. » (p. 103) Blaise Pascal disait qu’un roi sans divertissement est un homme plein de misères. Et Gog mesure l’atroce limite de sa richesse puisque celle-ci ne peut lui offrir d’amusement suffisant pour le sortir de sa torpeur, de son ennui et de son dégoût de la vie. Par certains aspects, cet insupportable héros m’a rappelé Des Esseintes, le personnage de Huysmans dans À rebours. Il accumule les collections les plus grotesques et tente les expériences les plus loufoques, mais rien ne le distrait jamais.



Les chapitres sont très courts, illustrés d’une miniature liminaire. Les pages sont encadrées d’un liseré noir qui leur donne un air de chronique. Le lieu et la date de chaque chapitre sont clairs, mais le journal n’est pas chronologique. Ce labyrinthe de récits est assez déconcertant et impossible à situer. Je conseille ce texte à ceux que le monde navre sans cesse et qui ne croient pas en l’existence des qualités humaines. Les utopistes et les bienveillants feraient bien de se tenir loin de cet ouvrage à l’humour ravageur. Pour ma part, si j’ai apprécié le cynisme, j’ai fini par être lassée par l’accumulation. Et la dernière page m’a vraiment déçue. Envie de dire « Tout ça pour ça ? » Mais j’en connais à qui ce roman plairait !

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Les imbéciles

ON A TOUJOURS BESOIN D'UN PLUS IMBÉCILE QUE SOI...



Né en 1881 à Florence, d'abord instituteur, il fonde en 1903 la revue Il Leonardo puis la revue Anima en 1911, mais c'est en 1913, à 33 ans le dernier âge du Christ, qu'un certain Giovanni Papini, donc, devenu éditeur et pamphlétaire, publie cet essai sur Les Imbéciles, à la veille de la Première Grande Boucherie mondiale. Il faut dire que ce florentin, futur Futuriste - c’est-à-dire une sorte d’équivalent des dadaïstes, pour aller très vite – avait déjà créé une revue anticléricale et nihiliste, avant d’écrire un Crépuscule de la Philosophie… Pour mieux se convertir au catholicisme sept ans plus tard, mais ceci est une autre histoire et il est bien connu que seuls les imbéciles ne changent jamais d'avis, n'est-ce pas ?



Avec un tel titre, le ton est - cet ultime détail biographique mis à part - donné : avant-garde et pensée libre.



Donc Papini avoue qu’il déteste tant de choses que sa réserve d’amour déborde… Logique : il décide de déverser ces flots de tendresse sur les imbéciles, si nombreux qu’ils écluseront tout cet amour inutilisé.



Ce petit texte vous expliquera l’utilité des idiots et crétins en tous genres, comme un support aux intelligents, une base pour les sensibles, un point de comparaison pour les agités du cerveau avec cet axiome : « aucune espèce au monde n’est plus prolifique et nécessaire que celle des imbéciles ». Il fallait y penser et c'est même rudement malin !



L’éditeur français ALLIA, publie des impubliables de génies, des inspirés Underground et autres littérateurs Punks, dans cette collection de mini poche, 50 pages, pour la somme dérisoire de 3 euros ! Et si vous avez su goûter la plume exaltée et libre de Papini, il vous reste encore à découvrir son surprenant "La Vie de personne", chez le même éditeur. Incroyable, non ?
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Visages découverts

On commence à le connaître le bon vieux Papini : sa prédilection c’est de faire des portraits de types bancals, du genre qu’on ne penserait même pas à saluer dans son quartier. On aurait bien tort parce que ce sont derrière les visages les plus communs que se cachent les personnalités, les vices et les vies les plus atypiques. Même toi, avec ton air blafard, tu te sens insignifiant ? Attends donc que Papini passe par-là, il saura t’étirer le rictus et toute ta petite vie minable, accumulée en tas par terre, sera rassemblée pour constituer une poterie bizarre qui tient par l’un de ses miracles défiant la gravité.





On ne va pas faire un catalogue de cas. Chacun trouvera dans ce livre un bon copain à se faire. Approchez-vous donc que je vous présente mes nouveaux potes :

- Un étrange ermite qui a lu le Zarathoustra de Nietzsche jusqu’à en perdre pied : « Vous ne devez pas croire que je me suis retiré dans ce désert par dépit ou parce que je dédaigne les hommes. C’est proprement le contraire. Je reste seul parce que j’aime immensément et sincèrement mes semblables et parce que la distance et la solitude les font aimer davantage ».



- Un amoureux des animaux qui propose leur éradication décisive pour ne plus provoquer de souffrances inutiles sur terre : « N’avez-vous pas, vous aussi, la nausée de cette universelle puanteur de viande et de ménagerie, d’abattoir et de saurisserie qui contamine nos régions ? ».



- Un écrivain qui se prépare à une gloire posthume en peaufinant toute sa vie un seul et même texte qu’il fera mûrir jusqu’à sa quintessence : « J’ai choisi la gloire dès le premier jour, celle qui dure, et c’est pour cela que j’ai décidé d’être un écrivain posthume. Et puis, la multiplication des copies par le moyen de l’imprimerie est, pour un artiste qui a le sens de a dignité et du feu sacré, quelque chose de comparable à la prostitution ».





Les autres cas de figure sont intéressants et ne manqueront pas de plaire à d’autres lecteurs en manque de difforme. Entre autres étrangetés, on trouvera une mangeuse de violettes, un nègre blanc ou un bossu magnifique. Même si le côté catalogue épuise vite, comme lorsqu’on surfe trop longtemps sur Meetic, la deuxième partie un peu plus foutraque, sans axe de lecture bien cohérent, vient heureusement prendre la relève. A la limite, on peut imaginer que tous les personnages énigmatiques des chapitres précédents se sont réunis là au coin du feu pour se faire cuire quelques merguez, échangeant des propos vaporeux formés au hasard d’existences cahoteuses. Ca prie pour les imbéciles, ça philosophe sur le sommeil, ça braille des hymnes à l’intelligence et ça console les faibles entre deux conversations plutôt fades sur Léonard de Vinci, Goethe ou Victor Hugo. Comme quoi, Giovanni Papini sait surtout parler des insignifiants tandis que les grands noms tombent dans la fosse aux platitudes.
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Un homme fini

Lire l’autobiographie d’un Homme fini est une expérience paradoxale. Quel homme véritablement achevé, quel homme absolument désespéré, arriverait concrètement à écrire un livre, puis à le faire publier, et enfin à recevoir la reconnaissance littéraire qui lui échoit ? Comme Cioran louant les gloires du suicide et crevant à plus de quatre-vingt ans, Giovanni Papini est surtout un homme paradoxal qui ne justifie pas ses contradictions mais qui les analyse pour s’en moquer cruellement.





Avant tout cruel avec lui-même, Giovanni Papini juge être un homme fini alors qu’il a trente-quatre ans, la création de la revue Anima et la publication de quelques romans reconnus derrière lui, et une réputation d’agitateur terrible qui lui sied à merveille. Tout pour être heureux ! Giovanni Papini le reconnaît lui-même : voici la situation qu’il avait toujours espérée et qu’il avait autrefois désespéré de ne jamais pouvoir obtenir. Et maintenant qu’elle est sienne… il se rend compte que ce n’est pas assez ! ou que ce n’est peut-être pas ce qu’il recherchait véritablement.





Mais reprenons dans l’ordre… Eternel insatisfait, Giovanni Papini se penche sur sa genèse personnelle et commence par évoquer son enfance. La succession des chapitres se veut mélodique. Six grandes parties se succèdent à la manière de rythmes musicaux : Andante, Appassionato, Tempestoso, Solenne, Lentissimo et Allegretto –la vie de Giovanni Papini est une partition baroque et sentimentale, à moins qu’elle ne le soit devenue que pour mieux se soumettre à l’envie de l’écrivain de métamorphoser son existence en œuvre. Et quelle œuvre… là où on se croit en droit d’attendre une esthétique classique, qui viserait au beau, Giovanni Papini nous fournit une esthétique de la déchéance –mais il rejoint là la définition du sublime proposée par Schopenhauer (« Le sentiment sublime provient de ce qu’une chose parfaitement défavorable à la volonté devient objet de contemplation, pure, contemplation qui ne peut se prolonger, à moins qu’on ne fasse abstraction de la volonté et qu’on ne s’élève au-dessus de ses intérêts […] »). En effet, alors que Giovanni Papini débutait dans la vie en accumulant les pires tares (laideur, timidité, asociabilité) et qu’il se croyait définitivement rejeté du monde par ses semblables, il réussit finalement à s’offrir une place de choix dans la société. Giovanni Papini n’a jamais cherché à faire plaisir à ses semblables et n’est pas devenu un avorton hybride, moitié misanthrope, moitié enfant docile, pour leur faire plaisir. Sa solitude lui plaisait, et c’est grâce à elle qu’il a pu se consacrer exclusivement à l’étude jusqu’à ce qu’il atteigne sa deuxième décennie.





Lorsque Giovanni Papini sent venir le besoin de devenir à son tour créateur, les évènements de sa vie monacale se gâtent. C’est qu’il faut à présent faire ses preuves… et les regards des autres deviennent alors nécessaires. Mais comment les intégrer après tant d’année de réclusion volontaire ? Et surtout, à force d’avoir fréquenté les noms et les textes les plus prestigieux de ses figures littéraires, scientifiques et philosophiques préférées, Giovanni Papini s’est décroché de la réalité. Ce qu’il attend de la vie se situe au-delà de ce qu’elle peut certainement apporter. A qui en imputer la faute ? A soi-même ? Aux autres ? A tous ?





« Votre vie à tous me dégoûte. Je veux ou être grand ou me tuer. Il n’y a pas d’autre choix pour quelqu’un comme moi. J’ai besoin d’être au-dessus de vous pour vous tirer encore plus haut. »





Giovanni Papini semble avoir écrit un Homme fini pour trouver une réponse à cette interrogation. Son texte n’est pas une thèse –son auteur avance de page en page sans sembler savoir davantage que nous jusqu’où le conduiront ses pérégrinations intellectuelles. Qui a dit qu’il était nécessaire d’être deux pour mener l’analyse d’un seul homme ? Giovanni Papini dispose d’une lucidité suffisamment grande pour révéler à lui-même les explications secrètes qui avaient jusque-là maintenu son existence dans un écheveau de nœuds. Il fait également preuve d’un courage et d’une sincérité presque surprenantes lorsqu’il fait la confession des sentiments qu’il éprouve envers les autres et de son inextinguible certitude de supériorité :





« Mais qu’est-ce que je suis devenu, grand Dieu ? De quel droit est-ce que vous autres encombrez ma vie, me volez mon temps, fouillez mon âme, sucez ma pensée, me voulez pour compagnon, confident, informateur ? Pour qui m’avez-vous pris ? Est-ce que par hasard je suis un acteur payé pour jouer tous les soirs devant vos têtes à claques la comédie de l’intelligence ? Est-ce que par hasard je suis un esclave acheté et payé qui doit me plier à vos caprices de désœuvrés et vous faire cadeau de tout ce que je sais et je fais ? Est-ce que par hasard je suis une putain de bordel qui doit soulever sa jupe et enlever sa chemise au premier signe d’un mâle décemment habillé ? »





Giovanni Papini alterne sans cesse entre création et autodestruction, semblant chercher à tout prix à détruire l’auréole de gloire qu’il a réussi à faire flotter autour de son personnage en moins d’une décennie. Il se prend ainsi pour principale cible de ses critiques, après avoir avoué qu’il pensait être l’homme surplombant l’humanité.





« Je voulais, en somme, que commençât avec moi, de mon fait, une nouvelle époque de l’histoire des hommes. »





Mieux qu’une diatribe envoyée contre le monde entier pour se justifier de sa déception, Giovanni Papini écrit le procès de sa propre accusation sur un ton toujours léger, cynique et désabusé. Faut pas s’en faire… être un homme fini n’est pas si grave. Après tout, mieux vaut en rire que s’en apitoyer.





« Être débiteur de Shakespeare est déjà assez fâcheux, mais devoir quelque chose à une infusion de Porto Rico et de Saint-Domingue, ou de thé de Ceylan, est par trop humiliant. »





Parce qu’on aurait aimé en connaître davantage sur son existence (qui dura jusqu’aux soixante-dix ans largement dépassés) et faire durer ce livre plus longtemps, on ne peut reprocher qu’une seule chose à Giovanni Papini : ne pas avoir attendu encore un peu de temps –et rajouter à son autobiographie les pages de ces années supplémentaires- avant de juger qu’il était un Homme fini…
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Histoire du Christ

Y avait-il besoin, en 1921, de faire paraître un énième ouvrage sur le Christ ? S’il n’avait pas été écrit par Giovanni Papini, on aurait pu en douter. Mais lorsque le grand maître, remueur de pensées, profondément sincère et attaché à ses convictions, revient à la source de sa foi pour retracer les contours d’un christianisme vigoureux, l’entreprise devient non seulement nécessaire mais salutaire.





Revenant sur l’Histoire du Christ telle qu’elle est narrée dans les Evangiles, se débrouillant avec les seuls moyens de sa compréhension et de son intellect, Giovanni Papini met de côtés toute exégèse et croyance antérieures pour se plonger entièrement dans les sources du christianisme. Alors qu’il était loin de s’en douter, il découvre un Christ dont l’image de simplicité bienveillante l’éblouit.





L’Histoire du Christ n’est pas un livre de prosélytisme ; Papini n’espère même pas se faire comprendre par le lecteur qu’il assimile à ces millions d’auditeurs distraits du Christ qui, au fils des siècles, n’ont jamais réussi à entendre le Prophète. Son livre est une démarche d’amour qui s’inscrit en filiation directe avec le message promulgué par le Christ. Déçu par la monotonie et l’ennui distillés par les textes de religieux, par l’hypocrisie cupide qui émane des ouvrages prosélytes, Giovanni Papini a désiré rendre hommage au Christ et à la beauté véhiculée par ses propos à travers une biographie fidèle, restituée par le biais d’une écriture simple mais puissante. Qu’à cela ne tienne si d’autres ne seront pas d’accord avec lui : Giovanni Papini s’investit totalement dans ce récit qui est aussi celui de sa conversion et n’hésite pas à se lancer dans des diatribes féroces contre le désenchantement du monde moderne, contre la lie du peuple et contre les mesquineries qui font le commun des mortels. Si on avait craint de perdre la férocité que l’écrivain avait pu déployer dans Gog, on la retrouve ponctuellement lorsqu’il s’agit de défendre des valeurs que le monde moderne et ses « principes » ont préféré oublier.





« Aujourd’hui les hommes sont plus ivres qu’alors mais plus altérés. Aucun âge plus que le nôtre n’a éprouvé la soif dévorante d’un salut surnaturel. En aucun temps l’abjection n’a été si abjecte, la brûlure si brûlante. La terre est un enfer illuminé par la condescendance des astres. Les hommes sont plongés dans une poix faite d’ordures et de larmes, dont parfois ils émergent, défigurés et frénétiques pour se jeter dans le sang avec l’espoir de s’y laver. »





On peut adhérer ou non au message chrétien, peu importe. L’Histoire du Christ, dont l’intérêt historique pourra déjà suffire à la lecture, propose également une violente critique des sociétés modernes fondées sur la négation de la foi et la glorification de « la suprême trinité de Wotan, Mammon et Priape ». Giovanni Papini, qui jusque-là avait semblé d’un cynisme et d’un désespoir sans remèdes –il suffit de lire Gog ou La Vie de Personne- nous dévoile le fondement de sa virulence parfois presque agressive. C’est parce qu’il attend trop de ses congénères que, sans cesse déçu, il se plaît à en caricaturer les défauts dans ses écrits. Mais là où il aurait pu finir par se complaire sans sublimer son agressivité, Giovanni Papini trouve un remède dans la foi chrétienne et s’avoue à révéler ses véritables sentiments. Son écriture surprend puisque, pour une fois, il ne prendra pas ses airs de nihiliste pour faire réagir les plus disposés de ses lecteurs, mais il s’abandonnera au contraire à l’amour.





« Jésus ne pose pas d’énigmes. Lui-même a dit à la fin de la parabole qu’il y a plus de joie dans le ciel pour un pécheur repenti que pour tous les justes qui se font gloire de leur bâtarde justice, pour tous les purs enorgueillis de leur pureté extérieure, pour tous les dévots zélés qui cachent l’aridité de leur cœur sous l’apparent respect de la loi. »





L’Histoire du Christ, sincère et adaptée aux conditions de la modernité, détache le Prophète de ses icônes poussiéreuses pour lui conférer une nouvelle dignité. L’adhésion au message chrétien ne se fera pas forcément à l’issue de cette lecture mais il y a fort à parier qu’elle fera renaître l’espoir d’un monde tourné à l’introspection et à l’amélioration, et qu’elle permettra aux plus athées ou agnostiques d’entre nous de considérer la foi non plus comme une croyance absurde mais comme une démarche salvatrice conférant du sens à un monde bâti sur des sables mouvants.




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Gog

Mon très cher Giovanni !



Cessons de nous voiler la face. Je veux que les choses soient claires entre nous. Vous êtes Gog, et lorsque vous vous dédommagiez de vos propos, en prétextant rapporter le récit d’un milliardaire fou enfermé au cœur d’un asile, en réalité, vous exposiez vos théories les plus provocantes aux oreilles de ceux qui avaient le bon goût de ne pas en penser un mot.



Maintenant que vous n’avez plus de secret à me dissimuler, parlons-nous en toute franchise. Quelle chance, pour vous, que vous soyez mort en 1956 ! Si vous aviez été contraint de vivre jusqu’à présent, auriez-vous résisté à tous les nouveaux déchaînements de misanthropie que vous aurait inspirée la déchéance de nos années modernes ? Mais quel malheur, pour nous, que vous n’ayez pas survécu jusqu’à présent ! Combien de nouveaux Gog auriez-vous dû inventer pour vous justifier de toute la haine légitime que vous auriez ressentie à l’égard de ces six dernières décennies ?



Mais je dois vous confier un secret…

Usant de tous les progrès techniques qui ont précipité peu à peu notre monde dans sa déchéance actuelle, j’ai trouvé le moyen de vous ressusciter. J’ai mûrement réfléchi à cet acte, et j’ai compris qu’il était nécessaire de vous faire revenir à la vie. Je vous l’avoue, j’ai été contraint d’utiliser l’arme que vous avez la plus violement condamnée –la science- pour que vous reveniez enfin parmi nous, et que vous parveniez, grâce à ma protection et à mon influence, à l’éradiquer totalement de notre planète.



Vous ne le saviez sans doute pas, mais les prochaines élections présidentielles se tiendront l’an prochain. Nous avons peu de temps, mais si nous travaillons de manière efficace, nous réussirons à nous imposer sur la scène politique, à faire valoir vos paroles, à dérouler vos promesses et à accéder au palais présidentiel. Vous pourrez enfin réaliser tous les projets que vous aviez esquissés dans votre livre, le bien-nommé Gog.



Sous votre règne, la culture deviendra enfin un espace privilégié pour la découverte d’artistes que la décence avait tus jusqu’à présent. Nous lirons des poèmes dont chaque mot appartient à une langue différente, nous nous pâmerons d’extase aux sons des concerts silencieux, les sculptures n’envahiront plus le paysage et disparaîtront sitôt achevées, et, surtout, nous brûlerons tous ces vieux ouvrages réputés de littérature, tout juste bons à rendre fous leurs lecteurs décérébrés !



Au feu les anciennes mœurs héritées de nos aïeux consanguins ! Nous cesserons d’irriter le regard des autres en leur imposant nos figures, et nous cacherons nos visages sous une panoplie de masques adaptés à notre humeur. Une envie de chair humaine ? Pourquoi s’en priver ? Sous prétexte que les autres méritent de vivre autant que nous, devrions-nous nous priver du plaisir de les achever à la hache pour nous repaître de leur chair ? Tout ceci appartenait aux bonnes manières du passé ! Heureusement, grâce à vous, ces préjugés d’un autre siècle s’effaceront d’un coup de fouet ! Les cannibales ne craindront plus de se laisser aller à leurs envies, et les procès aux innocents, que vous organiserez chaque semaine, condamneront au contraire ceux qui n’auront pas su se laisser aller à leurs instincts les plus fondamentaux.



Et puisque plus rien, sur Terre, des distractions que nous avons connues, ne semblait encore vous réjouir, nous détruirons toutes ces villes qui ont abrité les plus infâmes depuis que l’homme a eu cette ridicule idée de se terrer dans des trous à rats, espérant par le moyen de l’enfermement physique s’enrichir spirituellement. Nous avons bien compris, depuis le temps, que tel n’était pas le cas. Nous détruirons tout ! Et, fidèles à vos idées, nous reconstruirons des villes bâties comme des œuvres d’art, nous érigerons des monuments gigantesques qui iront jusqu’à percer ce ciel que vous détestez, nous irons faire vaciller les anciens Dieux pour laisser place au culte de l’Egôlatrie, et nous reformerons les montagnes, construirons de nouvelles terres et de nouvelles mers que nous teindrons de toutes les couleurs !



Je ne vous laisse pas la possibilité d’accepter ou de refuser mon offre.

Il faut que vous me souteniez, et si vous ne désirez pas paraître aux yeux de notre population, aidez-moi au moins à construire mes discours, à développer mes argumentaires, à convaincre le peuple que vous aviez raison ! Pour votre dernière expérience, vous avez, en ma personne, l’incarnation matérielle de Gog. Je me soumets entièrement à vous. Insufflez-moi vos idées, dictez ma conduite et conduisez mes pas, cela m’est égal, tant que nous parvenons à faire de vos théories une réalité !



Bien à vous,



Votre futur Gog

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Gog

En 4ème de couverture, on trouve des références à Ubu, Maldoror, Fantômas ou Maravagine. Quel est le rapport avec Gog ? Aucun. Si on veut à tout prix trouver des équivalences, il faut les chercher du côté de "La Nef des fous", Borges ou Calvino.



Dans la préface, l'auteur nous avertit. Alors qu'il rendait visite à un ami dans un asile psychiatrique, il fait la connaissance d'un patient qui lui fait lire un espèce de journal qu'il aurait écrit. C'est ce dernier qui est reproduit dans la suite du livre.



Gog serait extra-riche. Sa fortune lui permettant d'aller et rencontrer qui il veut. Alors, il ne se prive pas de voyager dans le monde entier, d'engloutir des fortunes pour des projets démesurés. Rendre visite à des célébrités (Gandhi, Einstein, Freud, HG Wells, GB Shaw, Knut Hamsum, ...), rencontrer des excentriques en mal de subventions, visiter des lieux imaginaires ou créer des collections improbables. C'est le compte-rendu de chacune de ces rencontres qui constitue ce journal.



Gog est misanthrope mais qui ne le serait pas après avoir rencontré cette foule de charlatans. Gog est déprimé, on le serait à moins, si toute son existence, on ne cherche qu'à trouver un sens à sa vie et un moyen pour dépenser sa fortune. Il lui suffirait tout simplement de vivre.



A lire et à relire
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Gog

"Je suis honteux de dire où j'ai connu Gog : c'est dans une maison de fous."



Giovanni Papini fait bien de nous prévenir... libre à chacun ensuite de poursuivre le récit qu'il entame de cette manière. Sauf qu'après, faudra pas venir se plaindre !



Gog, la cinquantaine effrayante, pas un poil sur le corps - qu'il a gigantesque - et une déraison venue sur le tard, après la richesse accumulée rapidement et impossible à estimer, après les voyages à travers le monde, après l'usage abusif de toutes drogues imaginables. "Il faudra penser au dangereux assemblage qui était en lui : un demi-sauvage inquiet ayant à ses ordres les richesses d'un empereur, et un descendant de cannibales qui s'était emparé, sans perdre sa rudesse, du plus effroyable instrument de création et de destruction dont dispose le monde moderne."



Vous voulez plonger avec lui ? Comme Papini, je préviens, je refuse toutes responsabilités dans les desagréments de l'âme que provoquera cette lecture !



Gog, donc, est un être pervers et cynique, ayant dans ses mains suffisement de richesses pour s'acheter le monde, littéralement. Et c'est ce qu'il va s'employer à faire. Peu enclin à l'humanisme et au respect de ses valeurs, mais fortement impressioné par toutes les gesticulations de ses contemporains dès lors qu'ils parlent d'Arts, Gog tente de palier à son inculture ; en littérature d'abord, mais son jugement, après avoir consacré quelques mois à la lecture des chefs d'oeuvres fondateurs, est sans appel : "il est très probable que, d'ici un siècle, personne ne se consacrera plus à une industrie aussi arriérée et d'un aussi maigre rapport."

La musique ? même conclusion. Le théâtre ? l'Architecture ? non, décidemment, rien ne trouve grâce à ses yeux... Alors, pour essayer d'y voir un peu plus clair, il va de rencontres en rencontres : Gandhi, Einstein, Henry Ford, dont la définition du travail à la chaine fait froid dans le dos, et rire à gorge déployé (en fait...), et ce moment où l'on apprend de la bouche de Freud lui-même qu'en réalité il n'est qu'un vieux frustré... qu'il n'avait que seule ambition de devenir écrivain.



Mais ces rencontres, qu'il décrit avec entrain, le laissent tout aussi démuni qu'au premier jour. C'est que fondamentalement, Gog n'a qu'un seul problème : il s'ennuie. Et rien ne le diverti de cet ennui. Et aucune de ses immenses richesses ne peuvent acheter un semblant d'âme. Voilà le problème de Gog, il n'est qu'une carcasse vide. Desoeuvré, totalement. Et conscient de ce désoeuvrement.



Alors, il tente de s'entourer ; va proposer un poste de secrétaire particulier, histoire d'avoir une compagnie divertissante. Il ira même jusqu'à louer les services d'un cannibale. Enfin, un peu de rêve et de sang ! Mais non, même pas. Il se résout à congédier ce cannibale, qui s'est repenti en vieillissant. Un cannibale molissant, quel intêret quand on recherche le frisson et le franchissement des barrières morales qui pourrait lui donner l'impression d'exister un peu ?



"Le vieux Nsoumbou, que j'ai pris pour me tenir compagnie, est trop mélancolique. Je ne croyais pas qu'un nègre pût, à ce point, se laisser vaincre par les remords. A force de repentir, il devient insupportable."

"Je crains que Nsoumbou ne soit retombé en enfance par l'effet de l'âge. Au plus grand étonnement de mon cuisinier, il ne mange désormais que des légumes et des fruits. La civilisation me l'a gâté ; elle l'a fait devenir humanitaire et végétarien. Je crois que je serai obligé de le congédier, au premier port où nous ferons escale."



Cynique, Gog ? Même pas. Pas vraiment. Pas plus que la société qu'il traverse et décrit. Inhumain ? oui sans doute, avec un haussement d'épaule... qui s'en soucie ?



Ce roman, écrit en 1931 par Giovanni Papini, et réédité par la (magistrale) maison d'édition Attila connait un sort particulier. Est-ce dû à la vie et la réputation sulfureuses de son auteur ? Sans doute. Papini a été de tous les retournements de veste, et rarement du bon côté... Et son ode au dictateur italien n'est sans doute pas étrangère à sa mise au ban de la littérature pendant plusieurs décénies.



Encore un qui démontre avec brio que l'on peut être une personne abject et un romancier qui frôle le génie !
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Gog

Publié pour la 1re fois en 1932, ce recueil de courtes histoires, écrites sur le ton de l'anecdote, a tout du grand livre. D'une élégance rare, d'une finesse sans pareille, et terriblement mordante, l'écriture de Papini se rapproche du conte philosophique, invitant à la réflexion... mais aussi à la rigolade. Très pince-sans-rire, le personnage de Gog, milliardaire désabusé et misanthrope marque les esprits durablement.
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Gog

Je ne pourrais pas parler de ce livre en restant raisonnable!

A la fois roman, journal de bord, essai, uchronie, incluant des passages poétiques et des dialogues complètement barrés dans le fond mais d’une classe inégalable dans la forme, ce livre ne cesse de se renouveler à chaque nouvelle lecture !



Giovanni Papini nous avertit dans la préface : Gog est tiré du journal de bord d’un patient de clinique psychiatrique, rencontré alors qu’il allait rendre visite à un de ces amis. Intrigué par la teneur de ses écrits, par la virulence de ses jugements, par la grande diversité des personnes et des pays qu’il a rencontrés au cours de sa vie de milliardaire désœuvré, Giovanni Papini a voulu en faire profiter ses lecteurs. S’attardant davantage sur l’originalité des opinions de Gog, aucun jugement de valeur ne sera porté sur ce récit. Au lecteur de séparer le bon grain de l’ivraie, à moins que le lecteur, comme moi, ne trouve rien à jeter !



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Gog

Le livre commence dans un hôpital psychiatrique où séjourne un homme affreux, un milliardaire misanthrope qui a parcouru le monde : Gog. Ses notes ont été retrouvées et elles sont livrées au lecteur, sans être chronologiques. Seront indiqués à chaque fois le lieu et la date (mais pas l'année).

On a donc une suite de textes courts qui s'apparentent à des nouvelles, souvent à chute. Gog raconte ses rencontres des personnages éminents (Shaw, Freud, Gandhi, etc.) Il fait la connaissance de gens bizarres, dont un vendeur qui lui donne l'idée de se constituer une thanatotèque (faite d'objets confectionnés à partir de corps humains, de squelettes, de reliques...), un savant qui prône le retour de l'homme à la bestialité, un autre qui lui expose ce qu'est la FOM, une organisation qui se propose de déblayer l'humanité... Chaque histoire est empreinte de choses fantastiques, incongrues, et surtout pas bien pensantes.

Gog expérimentera ce qu'est "nager dans l'or", mais c'est détestable, selon lui : on étouffe! Il visitera les palais d'un curieux noble Espagnol (dont l'un renferme les corps immuables des ancêtres) ; il tentera de collectionner les Géants, les sosies des grands hommes, pour se rabattre sur une collection de cœurs de cochons, qui lui rappellent ceux des hommes. Il livre les rêves de Cosmocrator, à qui le monde ne suffit pas ; il plaint le bourreau à la retraite qui n'a plus que quelques bêtes à égorger depuis qu'il est au service de Gog ; un médecin lui conseillera de se soigner par le mal, car la santé est toujours louche. Il déplore la pédocratie, c'est-à-dire que l'esprit enfantin se soit emparé de toutes choses, ainsi que l'impudeur qu'ont les hommes à manger en public quand ils se cachent pour faire leurs besoins (tiens, tiens, Bunuel n'est pas loin...).

Même si certaines nouvelles sont un peu trop techniques ou philosophiques, le livre de Papini est d'une grande originalité et très bien écrit. C'est un drôle de voyage, loin des conventions. Dommage que la dernière ligne soit d'un optimisme qui contredit l'ensemble... Je ne l'aurais pas gardé pour la fin. Maldoror aurait agi autrement.



Pour finir, l'édition parue chez Attila, illustrée par Rémi, est belle. Un petit dessin, à chaque fois, entame les histoires.
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La Vie de Personne

Dans ce court récit de 47 pages, Giovanni Papini relève le pari audacieux d’écrire la

biographie de personne. Parce qu’aucune vie ne mérite que l’on n’en parle et parce que la

réalisation de la biographie de quelqu’un s’avère déjà être une tâche épuisante, Giovanni

Papini décide d’écrire la biographie de personne. Mépris de l’humanité et mégalomanie, qui

participent à l’élaboration d’une telle œuvre, s’inscrivent déjà dans la préface sous la forme

d’une anti-dédicace adressée à Vannicola, l’ami de Papini :



« Excuse-moi et pardonne-moi avec ton cœur généreux de bénédictin alcoolique […] »



Le tout se poursuit avec la biographie de personne en question.

Mais qui est donc personne, cet être qui ne devrait logiquement plus exister sitôt qu’on l’a

nommé ? Avec Giovanni Papini, ce qui semblait tout d’abord être un mystère sera vite résolu

et prendra les formes les plus étonnantes dont il a le secret.



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La Vie de Personne







Dans ce court récit de 47 pages, Giovanni Papini relève le pari audacieux d’écrire la biographie de personne. Parce qu’aucune vie ne mérite que l’on n’en parle et parce que la réalisation de la biographie de quelqu’un s’avère déjà être une tâche épuisante, Giovanni Papini décide d’écrire la biographie de personne. Mépris de l’humanité et mégalomanie, qui participent à l’élaboration d’une telle œuvre, s’inscrivent déjà dans la préface sous la forme d’une anti-dédicace adressée à Vannicola, l’ami de Papini :





« Excuse-moi et pardonne-moi avec ton cœur généreux de bénédictin alcoolique […] »





Le tout se poursuit avec la biographie de personne en question.

Mais qui est donc personne, cet être qui ne devrait logiquement plus exister sitôt qu’on l’a nommé ? Avec Giovanni Papini, ce qui semblait tout d’abord être un mystère sera vite résolu et prendra les formes les plus étonnantes dont il a le secret.

Personne est l’être qui se situe entre notre première et notre deuxième naissance, selon une théorie élaborée par Papini et que nous retrouvons sous ces mots :





« Il existe donc, pour chaque homme, trois naissances qu’il faut tenir séparées : la naissance pour la mère ; la naissance pour le monde et la naissance pour nous-mêmes. Les deux naissances qui comptent vraiment sont la première et la dernière et c’est peut-être pour cette raison que les hommes tiennent compte seulement de la deuxième. »





Personne, c’est donc l’être qui évolue de l’embryon au fœtus dans le ventre de sa mère. Parce que nous ne gardons aucune mémoire de cette étape de notre vie, Giovanni Papini se propose de la réinventer, avec la violence et la cruauté que l’on n’apposerait jamais à cette condition.

Dès les premiers instants de son existence, l’embryon est un être de haine et de mépris. Haine pour sa mère avec qui il se bat dans l’appropriation des ressources vitales, et mépris pour son père, ce personnage libidineux qui s’allonge régulièrement sur sa mère pour satisfaire ses pulsions sexuelles, sans même se préoccuper de son enfant qui attend dans l’utérus.





« Je commençai la guerre éternelle entre le fils et la mère. Je voulais entreprendre sans délai la vengeance méthodique de moi-même. Elle, s’offrant sans résistance ni retenue, était la principale responsable de ma vie future et elle seule, pour le moment, devait en sentir le poids, devait payer pour elle. Elle cherchait à se renfermer en elle-même, dans sa vie personnelle –elle tentait de ne pas se donner, de ne pas se gâcher. La troublait la pensée du corps déformé, du gonflement humiliant, du déchirement atroce, des veilles et des soins nécessaires pour mériter le nom de mère. »





Déjà, en guerre contre tous avant même d’être sur Terre, l’élan destructeur de Papini se retrouve dans les pensées qu’il attribue à Personne : la possibilité d’un accomplissement personnel ne peut se faire qu’au détriment d’autrui. Exister n’est pas permis sans le nécessaire phagocytage de l’autre. Toujours aussi cynique et misanthrope, Giovanni Papini trouve le talent d’étendre sa haine des autres au monde embryonnaire.





« Terrible est cette guerre quotidienne entre la mère et le fils, entre la créatrice et la créature, entre ce qui ne veut pas être et ce qui veut être. La mère ne t’aime pas encore et toi tu ne peux pas aimer la mère ; ce qui est bon pour toi est nuisible pour elle ; ce qui te renforce l’affaiblit ; ton commencement peut être sa fin. Tu es comme un parasite qui la suce ; comme un cancer qui la ronge, comme un poids qui l’épuise. Elle a peur de toi et tu ne peux avoir pitié d’elle. Et quand elle se libérera tu l’entendras hurler d’épouvante et toi, à ce moment-là, tu devras peut-être la tuer pour avoir voulu venir au monde trop vite. La paix n’est plus possible : nous sommes deux. »





Les mots utilisés par Giovanni Papini pour décrire la croissance du futur homme dans le monde intra-utérin prolongent ce dégoût. Tout n’est que sangs, grosseurs, malformations, douleur… jusqu’à la deuxième naissance, celle qui met l’enfant au monde. Ici cesse le récit de Giovanni Papini, estimant que la suite des évènements ne relève plus de la vie de Personne, mais au contraire de la vie de Tout-le-Monde, de la vie telle qu’on la subit tout en croyant l’avoir choisie. Par mépris pour cette existence commune et sans aucune originalité, Giovanni Papini baisse les armes et cesse de raconter. La vie de Tout-le-monde ne nécessite pas d’être écrite : nous la connaissons, c’est la nôtre et celle des autres. Dans un dégoût sans fin pour ce que certains considèrent comme étant les principaux accomplissements humains, Giovanni Papini rappelle à son lecteur que ce qui fait sa fierté ne trouve aucune répercussion dans le monde absurde dans lequel nous vivons. Nous volons de prisons en prisons, avant de trouver la mort libératrice.





« Chacun de nos efforts, chacune de nos peines réussit à passer d’une cellule à une autre, et c’est dans ces passages que nous respirons assez de ciel pour supporter les hivers infinis de la solitude sans porte de sortie. »



Conclusion déprimante, sauf pour le cœur endurci de Giovanni Papini, qui se réjouit au contraire de la cruauté sans limite qui fait la caractéristique de ses œuvres.

Et pour moi, un plaisir toujours aussi grand à retrouver la verve cynique et glaciale de ce grand écrivain…




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Les imbéciles

IMBÉCILE HEUREUX



Giovanni Papini fait partie de ces écrivains qui osent un peu tout. Traduit par Sonia Broyart et Fabienne Lesage, l’ouvrage de chez Allia, dans sa petite collection que j’affectionne tant, a encore éclaboussé de sa vivacité contemporaine. Trois textes publiés dans différentes revues italiennes en 1913 et 1949, qui, avec un sens de la formule évident, caractérisent avec un sarcasme des plus ardents, la notion d’imbécile. Qui n’a jamais été traité d’idiot, d’imbécile dans sa vie ? Notion à extrêmement subjective, que vous soyez invités à diner un mercredi soir pourrait clore le débat. Les imbéciles permet à chacun de mettre derrière cet avatar, la personne ou le groupe de son choix, vous trouverez forcément des points communs dans vos vies présentes.



"Race prolifique", les imbéciles, en raison même de leur nombre, assurent la survie de l’espèce. Ils sont aussi source d’un divertissement salutaire et autorisent la plus grande paresse. Car si tous les hommes étaient intelligents, que d’efforts il faudrait alors déployer. »



Ce court texte, percutant donne à réfléchir non seulement sur l’utilité des idiots mais également la manière dont ils sont traités par la société. À travers le « sale cachet de la plus infâme réputation », Giovanni Papini convoque les arcanes d’une pensée étriquée tout en insistant que les plus idiots ne sont pas toujours ceux auxquels on pense. En martelant que les imbéciles demeurent innombrables et souvent dans les sphères les plus puissantes, étrangers à la poésie et à la douleur cérébrale, l’auteur florentin détonne par son actualité. En critiquant les certitudes des Hommes avec un raisonnement qui se tient du début à la fin, « les imbéciles » allie le fond et la forme pour en faire un ouvrage que l’on peut relire à toute heure de la journée (mais surtout en pensant fort aux imbéciles de nos vies).



On notera cependant que Papini est un auteur controversé pour ses liens avec le fascisme en dédicaçant notamment l’un de ses ouvrages au Duce, tout en ayant une aversion pour le nazisme.
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Gog

Non, vous ne lisez pas 666 sur la couverture de ce livre mais GOG, le nom de son narrateur. Il partage avec le nombre de la Bête un côté terrifiant et ultime. Gog est un milliardaire. Il a tout vu, voyagé dans tous les pays d'un monde qui pourrait lui appartenir en entier. Malgré les diverses opportunités, il n'a hélas jamais réussi à combler son ennui, son manque d'attrait pour l'humanité en général. « La terre est une boule d'excréments desséchés et d'urine verte. Et point d'occupations convenables et dignes, pour qui se sent les appétits et les fantaisies d'un titan ». Gog, le livre, est une longue suite de textes très courts relatant des expériences et rencontres faites par Gog, le blasé absolu. Einstein, Freud, Edison, Hamsun, Ford, des scientifiques, des savants fous, des illuminés, tous le rencontrent et lui livrent leurs idées les plus profondes, mais rien ne vient à bout de son ennui et de son pessimisme. Alors Gog prend les devants! Désespéré par l'humain, il va redonner sa place à la nature : il rachète rue par rue un quartier de New York et reconstruit à sa place une forêt vierge luxuriante ! Il crée aussi des collections, par exemple : les géants. Il fait chercher à travers le monde les plus grands spécimens humains et les réunit dans une prairie de Louisiane, où ils finissent par devenir fous car ils ne sont plus admirés par personne, évoluant uniquement entre géants... Puis il collectionnera les sosies, puis des cœurs de cochons maintenus en vie par des scientifiques fous... Autant d'incongruités et de folies qui ne feront pas pour autant de lui l'homme épanoui qu'il pourrait être... Ce texte fou parut en 1932. Il est grand temps de le relire aujourd'hui, détaché de la réputation sulfureuse de son auteur qui prit parti pour Mussolini, et qui aurait mieux fait de nous donner beaucoup d'autres textes aussi jouissifs !
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Les imbéciles

Je termine "Les Imbéciles".

Oh combien sont-ils nombreux et tiennent-ils leur part en ce monde en matière d'art, de littérature et même de politique!

Oh combien avons-nous tant besoin des imbéciles!

À lire absolument ce petit ouvrage de 46 pages écrits en 1913 pour les deux premiers textes et en 1949 pour le dernier.

Comme quoi il est des textes qui conservent cette insolence d'être tant actuels longtemps après!

Merci aux Éditions Allia de nous les fournir.
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Concerto fantastique : Toutes les nouvelles

Ce concerto fantastique regroupe toutes les nouvelles de Giovanni Papini, soit huit recueils pour un peu plus d'une centaine de contes : Le tragique quotidien (1906), Le pilote aveugle (1907), La vie de personne (1912), Des mots et du sang (1912), Bouffonneries (1914), Portraits imaginaires (1940), Les folies du poètes (1950), et La sixième partie du monde.



Des doubles encombrants, des hommes rêvés, des suicidés par procuration, des démons tentés ... la crème du fantastique onirique par le maître florentin.
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Le Miroir qui fuit

Avant de tomber sur ce livre qui, rien qu'à la couverture, attire, je ne connaissais pas Giovanni Papini. Je ne savais pas non plus que j'allais lire des nouvelles de cet auteur en ouvrant Le miroir qui fuit.

Dès les premières lignes, j'ai compris que ça allait être de la vraie littérature et que j'avais affaire à un héritier de Poe ou d'Hoffmann. Les histoires de ce livre abordent toutes un problème métaphysique : il est question du temps, du rêve, de l'être, de la mort... La narration, à la première personne, nous invite à partager la folie des personnages.

Voici, sans trop en dire, de quoi parle chacune de ces nouvelles :



Le miroir qui fuit



Dans une gare, deux hommes échangent quelques paroles. Le premier dit que les hommes sont fous de vivre pour un futur qui leur échappera toujours :



L'avenir ressemble à un miroir qui fuit.





Deux images dans une conque



Un homme revient sur les endroits de son passé. Alors qu'il se penche sur l'eau où il aimait se mirer, il voit derrière lui un visage qui n'est autre que lui-même quand il était jeune. Cet autre soi-même ne veut plus le quitter, mais il l'agace avec ses manières et ses passions. Comment a-t-il pu ressembler à cet homme?





Histoire totalement absurde



Un étrange individu vient frapper à la porte du narrateur. Il tient une petite mallette et lui dit que le livre qui est à l'intérieur est l'oeuvre de sa vie. Il propose de la lui lire et, s'il ne l'aime pas, il ira se tuer. Il se trouve que l'histoire est l'exacte relation de ce qu'a vécu et pensé toute sa vie celui qui l'écoute...





Une mort mentale



Le personnage de cette nouvelle refuse de se suicider. il trouve que tous les moyens sont sales. Il se prépare donc au meilleur suicide qui existe : la mort mentale.





La dernière visite du Gentleman malade



Ce gentleman a un aspect étrange. Pour ceux qui le voient, il ne semble pas de ce monde et pour cause : il est la création onirique de quelqu'un dont il ignore l'identité et n'existe que par son rêve.

Je ne veux plus être ce que je suis



Le narrateur explique combien cela lui est intolérable qu'il sera toujours lui-même toute sa vie.





Qui es-tu?



Un homme, habitué à être très entouré et recevant énormément de lettres chaque jour, se retrouve un matin sans aucun courrier dans sa boîte. Le lendemain, c'est la même chose. Très inquiet, il tente de voir avec la Poste qui le prend pour un fou. Mais très vite, il se rend compte que ses proches semblent ne plus le connaître non plus.





Le mendiant d'âmes



Un écrivain à court d'idées pour un soir décide de raconter la vie de l'homme le plus banal qu'il puisse trouver dans la rue à cette heure tardive.





Suicidé en lieu et place



L'homme va sur ses trente-trois ans, l'âge du Christ. Il prévient son ami qu'il va se suicider pour lui donner une chance de vivre mieux et de s'accomplir. Par le choc du suicide, il espère que celui-ci se rendra compte qu'il doit faire quelque chose de sa vie.





La journée non rendue



Une vieille princesse raconte à un jeune homme un secret qu'elle n'a jamais dit à personne : quand elle avait 22 ans, un père lui a acheté une année de jeunesse pour sa fille malade, en faisant la promesse de la lui rendre sous forme de jours ou de semaines...





J'ai aimé toutes ces histoires, même si ma préférence va à la dernière qui a un goût de conte, à celle de l'homme rêvé et du double envahissant. C'est vraiment une belle découverte!

Je vais lire Gog du même auteur.
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