Citations de Gustave Flaubert (2959)
Mon sacré nom de Dieu de roman me donne des sueurs froides…. J’ai relu tout cela avant-hier, et j’ai été effrayé du peu que ça est et du temps que ça m’a coûté (je ne compte pas le mal). Chaque paragraphe est bon en soi, et il y a des pages, j’en suis sûr, parfaites. Mais précisément à cause de cela, ça ne marche pas. C’est une série de paragraphes tournés, arrêtés, et qui ne dévalent pas les uns sur les autres. Il va falloir les dévisser, lâcher les joints, comme on fait aux mâts de navire quand on veut que les voiles prennent plus de vent
Il n'avait plus, comme autrefois, de ces mots si doux qui la faisaient pleurer, ni de ces véhémentes caresses qui la rendaient folle ; si bien que leur grand amour, où elle vivait plongée, parut se diminuer sous elle, comme l'eau d'un fleuve qui s'absorberait dans son lit, et elle aperçut la vase. Elle n'y voulut pas croire ; elle redoubla de tendresse ; et Rodolphe, de moins en moins, cacha son indifférence.
Elle ne savait pas si elle regrettait de lui avoir cédé, ou si elle ne souhaitait point, au contraire, le chérir davantage. L'humiliation de se sentir faible se tournait en une rancune que les voluptés tempéraient. Ce n'était pas de l'attachement, c'était comme une séduction permanente. Il la subjuguait. Elle en avait presque peur.
Les apparences, néanmoins, étaient plus calmes que jamais, Rodolphe ayant réussi à conduire l'adultère selon sa fantaisie ; et, au bout de six mois, quand le printemps arriva, ils se trouvaient, l'un vis-à-vis de l'autre, comme deux mariés qui entretiennent tranquillement une flamme domestique.
N'avaient-ils rien autre chose à se dire ? Leurs yeux pourtant étaient pleins d'une causerie plus sérieuse ; et, tandis qu'ils s'efforçaient à trouver des phrases banales, ils sentaient une même langueur les envahir tous les deux ; c'était comme un murmure de l'âme, profond, continu, qui dominait celui des voix. Surpris d'étonnement à cette suavité nouvelle, ils ne songeaient pas à s'en raconter la sensation ou à en découvrir la cause. Les bonheurs futurs, comme les rivages des tropiques, projettent sur l'immensité qui les précède leurs mollesses natales, une brise parfumée, et l'on s'assoupit dans cet enivrement sans même s'inquiéter de l'horizon que l'on n'aperçoit pas.
Alors ils se sentirent seuls malgré leur foule ;et la grande ville qui dormait sous eux, dans l'ombre, entassements d'escaliers,ses hautes maisons noires, et ses vagues dieux encore plus féroces que son peuple.
Sand à Flaubert
Nohant, 10 février 1863
Mes portraits sont rares, bien qu'on en vende de toutes sortes qui ne sont pas faits d'après moi. Je n'ai ici que de mauvaises épreuves. Quand j'irai à Paris je choisirai moi-même et je vous enverrai ce qu'il y aura de présentable, et merci de l'accueil que vous voulez faire à ma figure insignifiante en elle-même, comme vous savez bien. Ce qu'il y a de meilleur est dans la tête, pour comprendre et dans le cœur pour apprécier.
G. Sand.
Je hais la démocratie (telle du moins qu’on l’entend en France), c’est-à-dire l’exaltation de la grâce au détriment de la justice, la négation du droit, en un mot l’antisocialité. La Commune réhabilite les assassins. Le peuple est un éternel mineur, et il sera toujours au dernier rang, puisqu’il est le nombre, la masse, l’illimité.
Elle entrait dans quelque chose de merveilleux où tout serait passion, extase, délire.
Il était à genoux, par terre, devant elle ; et il lui entourait la taille de ses deux bras, la tête en arrière, les mains errantes ; les disques d’or suspendus à ses oreilles luisaient sur son cou bronzé ; de grosses larmes roulaient dans ses yeux pareils à des globes d’argent ; il soupirait d’une façon caressante, et murmurait de vagues paroles, plus légères qu’une brise et suaves comme un baiser.
Salammbô était envahie par une mollesse où elle perdait toute conscience d’elle-même. Quelque chose à la fois d’intime et de supérieur, un ordre des Dieux la forçait à s’y abandonner ; des nuages la soulevaient ; en défaillant, elle se renversa sur le lit dans les poils du lion. Mâtho lui saisit les talons, la chaînette d’or éclata, et les deux bouts, en s’envolant, frappèrent la toile comme deux vipères rebondissantes. Le zaïmph tomba, l’enveloppait ; elle aperçut la figure de Mâtho se courbant sur sa poitrine.
« Moloch, tu me brûles ! » et les baisers du soldat, plus dévorateurs que des flammes, la parcouraient ; elle était comme enlevée dans un ouragan, prise dans la force du soleil.
Il ne faut pas toucher aux idoles : la dorure en reste aux mains.
Ça ne va pas. Ça ne marche pas. Je suis plus lassé que si je roulais des montagnes. J'ai dans des moments, envie de pleurer. Il faut une volonté surhumaine pour écrire. Et je ne suis qu'un homme. (...) Vingt pages en un mois, et en travaillant chaque jour au moins 7 heures ! - Et la fin de tout cela ? Le résultat ? Des amertumes, des humiliations internes, rien pour se soutenir que la férocité d'une Fantaisie indomptable".
Croisset, 3 avril 1852. Lettre n° 418
Flaubert à Maupassant,
[Croisset],10 août [1876]
Mon cher ami,
M. Laujol m'embarrasse. Porter un jugement sur l'avenir d'un homme me paraît chose tellement grave que je m'en abstiens. D'autre part demander si l'on doit écrire ne me semble pas la marque d'une vocation violente.
Est-ce qu'on prend l'avis des autres pour savoir si l'on aime !
Franchement je ne puis répondre que des banalités. Excusez-moi ! Dites-lui que je suis très occupé (ce qui est vrai) et que nous nous verrons l'hiver prochain. En attendant, qu'il travaille. Mon "jugement" sera mieux assis sur un bagage un peu plus lourd.
[...]
L'amour est une plante de printemps, qui parfume tout de son espoir, même les ruines où il s'accroche.
Il faut que les phrases s'agitent dans un livre comme les feuilles dans une forêt, toutes dissemblables en leur ressemblance.
On se réfugie dans le médiocre, par désespoir du beau qu'on a rêvé !
Peu à peu, ces craintes de Rodolphe la gagnèrent. L’amour l’avait enivrée d’abord, et elle n’avait songé à rien au-delà. Mais, à présent qu’il était indispensable à sa vie, elle craignait d’en perdre quelque chose, ou même qu’il ne fût troublé. Quand elle s’en revenait de chez lui, elle jetait tout alentour des regards inquiets, épiant chaque forme qui passait à l’horizon et chaque lucarne du village d’où l’on pouvait l’apercevoir. Elle écoutait les pas, les cris, le bruit des charrues ; et elle s’arrêtait plus blême et plus tremblante que les feuilles des peupliers qui se balançaient sur sa tête.
Adieu, je n'ai absolument rien à te dire, si ce n'est que je t'aime.
Elle avait tout tenté. Il n'y avait plus rien à faire maintenant ; et, quand Charles paraîtrait, elle allait donc lui dire :
"Retire-toi. Ce tapis où tu marche n'est plus à nous. De ta maison, tu n'as pas un meuble, une épingle, une paille, et c'est moi qui t'ai ruiné, pauvre homme !"
Alors ce serait un grand sanglot, puis il pleurerait abondamment, et enfin, la surprise passée, il pardonnerait.
"Oui, murmurait-elle en grinçant des dents, il me pardonnera, lui qui n'aurait pas assez d'un million à m'offrir pour que je l'excuse de l'avoir connu... Jamais ! jamais !"
"Je ne vous oublierai pas, croyez-le bien, et j'aurai continuellement pour vous un dévouement profond ; mais, un jour, tôt ou tard, cette ardeur (c'est là le sort des choses humaines) se fût diminuée, sans doute ! Il nous serait venu des lassitudes, et qui sait même si je n'aurais pas eu l'atroce douleur d'assister à vos remords et d'y participer moi-même, puisque je les aurais causés. L'idée seule des chagrins qui vous arrivent me torture, Emma ! Oubliez-moi ! Pourquoi faut-il que je vous aie connue ? Pourquoi étiez-vous si belle ? Est-ce ma faute ? O mon Dieu ! non, non, n'en accusez que la fatalité !"
"Voilà un mot qui fait toujours de l'effet", se dit-il.
Jamais Madame Bovary ne fut aussi belle qu'à cette époque ; elle avait cette indéfinissable beauté qui résulte de la joie, de l'enthousiasme, du succès, et qui n'est que l'harmonie du tempérament avec les circonstances. Ses convoitises, ses chagrins, l'expérience du plaisir et ses illusions toujours jeunes, comme font aux fleurs le fumier, la pluie, les vents et le soleil, l'avaient par gradation développée, et elle s'épanouissait enfin dans la plénitude de sa nature.
C’est ainsi, l’un près de l’autre, pendant que Charles et le pharmacien devisaient, qu’ils entrèrent dans une de ces vagues conversations où le hasard des phrases vous ramène toujours au centre fixe d’une sympathie commune... ils examinèrent tout, parlèrent de tout jusqu'à la fin du diner.