Quand je serai vieux
Que je saluerai les soirs
Qui me restent à vivre
Que j'écrirai sous une lampe éteinte
Un texte écrit cent fois
Lorsque le flux de mon sang s'épuisera
Quand ma mémoire ressemblera
A une mer son fond
Quand l'amour me sera une idée,
Plus qu'une caresse.
p 10
Et je sais que tu aimerais un pays qui sent,
le cheval en sueur, la terre humide,
et un berger fruste qui te prendrait parmi les joncs broyés.
Je sais.
Ne me le dis pas.
J'en en mourrai de douleur.
p 52
Je suis né un jour de neige.
Mon père est sorti sur les chemins annoncer la nouvelle aux arbres nus et noirs.
Né dans la douleur de lampes banches, derrière des volets clos, dans une clinique privée dirigée par un médecin assassin et incivique, le docteur Rinchard en 1942.
Lèvres délirées, fontaine assouvie, oubliée sa fracture et la bave sale du mâle, ma mère, rendue à l'odeur de sa litière, contemplant cet oeuf développé, ignorant les couteaux et scalpes de sa délivrance.
Le temps se taisait.
Elle se releva lentement de ses couches.
Prise entre le noeud de son désir et ses menstrues, elle devait encore accoucher cinq fois, pour la mort, et la houille du chagrin.
Auprès de toi, mère, chaque saison était belle. Bien sûr le printemps et ses excursions en car, tes sandwiches et tes derniers conseils, le soleil dans les vitres du car, les limonades bues sus les affiches d'une ville inconnue, les explications incompréhensibles de l'instituteur devant des monuments biscornus ; le printemps et ses pinsons rieurs, ses chansons et ses bois, et tes robes qui tournoyaient dans le jardin, faisant de toi une reine. Oui, chaque saison était belle près de toi, même l'hiver quand mouraient les hiboux.
Seul. Seul. seul. Vocifération des chauve-souris dans les chevelures. Un poussin gigote entre mes doigts bleus. Voici que les grands-mères nous couvrent de leur ombre à l'ombre de septembre. Les frênes sont les seringues immenses de la mort.
Je t'écris, mon amour, du bout de la terre
là où les korrigans dansent de La Bruyère,
je t'écris, mon amour, du pays de Bretagne
je t'écris du pays des merlin et des Morgane.
p 9
Dans notre lit, tu étais chaude et dormante,
les joues enflées, les yeux brouillés,
comme un enfant qui s'éveille.
p 13