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Critiques de Hannah Arendt (127)
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Les origines du totalitarisme, Tome 2 : L'I..

Hannah Arendt ne pouvait pas manquer d'évoquer la figure de T.E. Lawrence dans le volume 2 de son ouvrage : Les origines du totalitarisme, consacré à L'impérialisme. Elle le fait avec un infini respect, sachant que Lawrence avait une grande admiration pour les Juifs qui, dans le cadre de la création du Foyer national juif en Palestine, montraient esprit d'innovation et de créativité dans la mise en culture et l'irrigation des terres (il l'avait constaté dès son premier voyage au Moyen-Orient en 1909). Il avait ensuite, au lendemain de la guerre, favorisé un rapprochement entre le plus raisonnable des Hachémites, le prince Fayçal, et le leader sioniste Chaïm Weizmann. On pourrait multiplier les exemples de cette sympathie.

Mais sur le problème "colonial", dans sa définition de l'action de T.E. Lawrence, elle est peut-être un peu trop réservée. Elle aurait pu montrer que cette action s'inscrivait dans un cadre de pensée que n'auraient renié ni Lord Palmer, ni Lord Cromer, ni moins encore Lionel Curtis. Et que Lawrence n'avait d'originalité que dans le sort à réserver à la Syrie pour laquelle il éprouvait un attachement sentimental désintéressé, alors que pour l'Irak (Mésopotamie), il avait une vision plus conforme aux visées impérialistes de la Grande-Bretagne.

Cela n'a pas été assez mis en relief dans les pages qu'elle consacre à Lawrence d'Arabie, dont elle analyse cependant bien les intentions qu'il avait pour cette partie du monde dans ce que comptaient en faire les Alliés, et cela dans un relatif mépris pour les aspirations légitimes des peuples à disposer d'eux-mêmes (en n'oubliant pas que cette idée mise en avant par le Président américain W. Wilson n'était peut-être pas aussi généreuse qu'on ne le pensait).



François Sarindar, auteur de Lawrence d'Arabie. Thomas Edward, cet inconnu (2010)
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La politique a-t-elle encore un sens ?

Puissant !

Hannah Arendt pose la question de l'utilité de la politique.

Politique vient de "polis", cité, qui suppose la gestion autonome de la cité dans la Grèce antique. L'auteure retrace le parcours historique de la politique depuis l'antiquité jusqu'au jour de cet écrit, 1959, en passant par les philosophes, l'imposition chrétienne, la Réforme, les guerres et les révolutions, pour arriver à ce que j'appelle la question à la fois cruciale et terriblement pessimiste :

.

"Mais quel but [ politique ] pourrait bien justifier, dans les circonstances présentes, les moyens capables d'anéantir l'humanité ?"

.

Nous sommes en 1959, il y a peu de temps, un nazi allemand fut à l'origine d'un massacre mondial, et notamment la Shoah.

Hannah Arendt, juive allemande, sûrement encore marquée, très concernée, ayant couvert le procès Eichmann, philosophe à l'origine, ayant côtoyé Jaspers, Kierkegaard, Heidegger (ce dernier, de très près ), est d'une intelligence brillante et non conformiste. Je l'ai senti dans cet écrit.

C'est un essai clair, bien écrit, mais inachevé : il manque un schéma de pensée et une synthèse que l'on devine derrière sa superbe analyse originale.

L'auteure fait jouer des concepts :

vie, vivre-ensemble, liberté, violence, espace de dialogue, religion, autour de la notion de "polis" ou "politique". Elle arrive à la conclusion que la politique a été beaucoup plus infléchie par la violence ( guerres, révolutions ) que par la gestion philosophique-royale-ou républicaine des états.

Elle distingue judicieusement "sens", "fins", "but final", et "principes d'action" de la volonté politique. Si "l'honneur" des royautés ou "la vertu" des républiques ne sont plus des convictions, quid de cette course aux armements où, à l'inverse du mot de Kant, "nous vivons dans une paix au sein de laquelle rien ne doit être épargné pour qu'une guerre soit encore possible" ?

.

Partie en 1975 d'une crise cardiaque, je pense qu'Hannah Arendt serait un peu consolée de voir qu'on a réussi, pour l'instant, à faire la paix européenne : )
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Eichmann à Jérusalem

Je connaissais Hannah Arendt et son remarquable travail " les origines du totalitarisme ",c'est grâce à une biopic de la philosophe que j'ai découvert " Eichmann à Jérusalem " et la controverse que ce procès a suscité à l'époque.

Hannah Arendt a donc suivi le procès de Eichmann pour le magazine "new-yorker ".

Elle qui a fuit la barbarie nazi s'est vu attaqué lors de ses comptes rendus d'audience.

" l'hostilité à mon égard est une hostilité dirigée contre quelqu'un qui dit la vérité au niveau des faits, et non pas contre quelqu'un dont les idées contredisent celles communément admises ".

Quelles sont donc ces vérités qui ont dérangé ?

"Si les juifs n'avaient pas aidé au travail de la police et de l'administration - j'ai déjà mentionné comment la rafle ultime des juifs de Berlin fut l'œuvre exclusive de la police juive - ( page 227).

Ou encore " partout où les juifs vivaient, il y avait des dirigeants juifs, reconnus comme tels, et cette direction presque sans exception a coopéré d'une façon ou d'une autre, pour une raison ou une autre avec les nazis ( page 239).

Elle a osé face à ses détracteurs dénoncer ces faits.

Eichmann on le sait a été kidnappé par les agents du mossad en 1960.

Celui qui fut le " responsable mais pas coupable " de la déportation était un personnage falot, plus préoccupé par son avancement personnel que par les millions de morts qui allaient jalonner son chemin.

" Eichmann à Jérusalem " est donc un livre sur la " banalité du mal " , à travers des chapitres biens documentés on découvre la méthodologie nazi du meurtre de masse.

C'est un ouvrage à la portée de tous contrairement " aux origines du totalitarisme ".

" Entre toutes les passions de l'esprit humain, l'une des plus violentes, c'est le désir de savoir " .

Bossuet
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À travers le mur - Notre enfant

C'est à Karin Biro-Thierbach, la grande spécialiste de la grande Hannah Arendt - la petite fille à côté de sa mère, Martha, à gauche sur la splendide photo de couverture - que nous devons cet ouvrage un peu particulier.

Particulier dans ce sens, qu'il consiste, en fait, de différents textes, écrits par Martha et Hannah Arendt, ainsi que par Karin Biro-Thierbach. Comme le titre de l'ouvrage risque de prêter à confusion, je me permets d'en spécifier le contenu plus en détail.



L'ouvrage qui compte en tout et pour toutes 202 pages, dont certains textes sont reproduits en version bilingue Français-Allemand, est conçu comme suit :

1) Un avant-propos par Karin Biro-Thierbach de 5 pages ;

2) le carnet de Martha Arendt, intitulé "Notre enfant", de 64 pages (dont la moitié en version originale) ;

3) quatre textes d'Hannah Arendt :

a) "Les sages animaux" de 44 pages (bilingue) ;

b) "Métaphore... la porte" de 2 pages (bilingue ) ;

c) "À travers le mur" de 4 pages (bilingue ) ;

d) "Le poids ôté du coeur" également de 4 pages (bilingue ) ;

4) une postface de Karin Biro-Thierbach de 82 pages.



Avant de tourner vers la mère et la fille Arendt, un mot sur Karin Biro-Thierbach, qui a écrit avec Adam Biro "Toi et moi, je t'accompagne : entre Königsberg et Kaliningrad nous cherchons de l'ambre et des racines" (2007), un album photos de la ville où Hannah Arendt et l'autre philosophe célèbre, Emmanuel Kant (1724-1804) ont vécu. Elle a aussi le grand mérite d'avoir publié les poèmes d'Hannah Arendt dans un ouvrage intitulé : "Heureux celui qui n'a pas de patrie" en 2015.

C'est au cours de la même année, 2015, que l'auteure a découvert aux archives de la "New School Library" de New York et à la bibliothèque du Congrès américain les manuscrits mentionnés ci-dessus, qui grâce à elle sont publiés pour la toute première fois.



"Notre enfant" ("Unser Kind") est une sorte de journal que Martha Arendt-Cohn a écrit depuis la naissance de sa fille, Johanna (son prénom de baptême), à Hanovre le 14 octobre 1906 jusqu'en 1916. Un document étrange qui ressemble presque à un rapport de la santé du bébé Hannah. Pas littéraire du tout, plutôt "clinique", mais qui témoigne des soins attentifs d'une mère et d'un père - car il y a aussi quelques annotations de Paul Arendt - pour le bien-être de leur fille.

Martha, qui a étudié le Français et la musique à Paris pendant 3 ans, suivait de près les méthodes nouvelles d'éducation et a favorisé chez sa fille "un épanouissement de la personnalité, servie par un esprit essentiellement libre et critique". Paul, un ingénieur diplômé et "érudit amateur" ("Amateur-Gelehrter") était un introverti qui adorait la lecture et s'était constitué une belle bibliothèque, qui faisait le bonheur de sa petite Hannah. La future philosophe a donc profité de solides atouts depuis sa petite enfance.



Ce beau tableau avait aussi un revers. En 1909, la vie a basculé pour le couple : c'est le retour des symptômes de la syphilis chez Paul, que lui et Martha croyaient guérie. La petite Hannah s'occupait de son père alité "comme une vraie petite mère", jusqu'à sa mort en 1913. La môme avait 7 ans et déclarait à sa mère : "Tu sais, maman, ça arrive à beaucoup de femmes". Martha pensait que sa fille n'était pas affectée par ce drame. Pourtant lorsque des années plus tard sa mère s'est remariée, Hannah n'a jamais accepté son beau-père, ni ses 2 belles-soeurs d'ailleurs.



Dans le carnet de Martha nous faisons connaissance avec un enfant super-intelligent, qui "comprend tout immédiatement et ratrape sans tarder toute lacune éventuelle". Une gamine qui avait des moments de mélancolie, mais en même temps un "immense appétit de vivre", qui lisait beaucoup, inventait ses propres histoires et en faisait des petites pièces de théâtre avec ses marionnettes. Elle aimait aussi chanter, mais à la consternation de Martha, une pianiste qui donnait parfois des concerts, ....sa fille chantait "beaucoup, avec passion, et complètement faux" !



Les textes de jeunesse d'Hannah Arendt ont été écrits, probablement en 1938-1939, à Paris, où elle s'était réfugiée en 1933 après l'arrivée d'Hitler au pouvoir. Ils reflètent l'angoisse de nombreux réfugiés venus d'Allemagne dans la Ville Lumière à l'approche de la guerre. "La porte" et "À travers le mur" font penser à Franz Kafka. "Le poids ôté du coeur", par contre se réfère au mythe de Sisyphe, qui inspirera le Nobel français, Albert Camus, 3 à 4 ans plus tard à son superbe essai de 1942. C'est aussi à Paris pendant ces annees qu'Hannah Arendt publia son ouvrage biographique de "Rahel Varnhagen. la vie d'une Juive allemande à l'époque du romantisme", que j'ai chroniqué ici le 11 juillet 2017.



"Les sages animaux" est à la fois fable, conte et récit. L'histoire d'une petite fille qui "parvient à exaucer son voeu le plus cher : trouver l'amour... et ouvrir ainsi l'horizon sur la promesse d'un monde apaisé et harmonieux". Parmi les nombreuses lectures de son adolescence qui lui ont inspiré ce texte, il convient de citer Karen Blixen, célèbre pour son "La Ferme africaine" , qui fut pour elle une véritable révélation, à ce point même que ce fut l'écrivaine danoise qui l'a incité à écrire de la poésie.



La postface de Karin Biro-Thierbach est tout simplement exemplaire, puisqu'un portrait très vivant est brossé de ce grand esprit qu'a été après tout Hannah Arendt. Pas l'auteure d'ouvrages tels, "La crise de la culture", "Les origines du totalitarisme ", "La condition de l'homme moderne" etc., mais une Hannah comme gamine rebelle, brillante étudiante, entre autres de Karl Jaspers, amoureuse de son prof. Martin Heidegger et de son 2e mari, Heinrich Blücher, qu'elle épousa en 1940 à Paris et avec qui elle est partie aux États-Unis, et restee jusqu'à sa mort en 1970, 5 ans avant son propre décès, le 4 décembre 1975 à New York, devant sa machine à écrire.



Je peux vous recommander le film franco-allemand, qui comme titre porte son nom, et a été réalisé par Margarethe von Trotta, en 2013, avec une très convaincante Barbara Sukowa dans le rôle d'Hannah Arendt. le film commence en 1961 à Jérusalem, où Hannah est venue comme journaliste suivre le procès d'Adolf Eichmann. Ce procès résultera dans son fameux best-seller "Eichmann à Jérusalem - Rapport sur la banalité du mal".

Comme livres biographiques de qualité, il y a celui d'Elisabeth Young-Bruehl et celui de Julia Kristeva "Le génie féminin, tome 1 : Hannah Arendt " de 2003.

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La Crise de la culture

Si vous désirez une lecture légère pour la plage, fuyez ! La crise de la culture ressemble plutôt à une pierre ponce inversée : le livre n’a l’air de rien à vue de nez, mais il faut prendre une pause d’une demi-heure à chaque page pour bien assimiler ce qu’on vient de lire.



L’investissement en valait cependant la peine. L’essai met des mots précis sur des concepts un peu vagues que je ressens depuis quelque temps (et je ne parlerai donc que de ceux-là dans la suite de cette critique). Globalement, le monde occidental repose depuis des siècles sur un trio de fondements qui se renforcent mutuellement :

- la tradition : on sait qui on est, et qui on a toujours été (même si paradoxalement, ça peut changer souvent au fil des générations. Mais à tout moment donné, la majeure partie de la population a une référence unique en tête).

- l’autorité : on reconnaît qu’il y a des gens qui savent très bien quoi faire pour être encore mieux nous-même, et on leur fait naturellement confiance dans leurs prises de décision.

- la religion : on n’est pas nous-même sans raison, et il y a des transcendances qui justifient parfaitement nos comportements.



Or, ces derniers temps, toutes ces belles certitudes ont été pulvérisées par les philosophes, les scientifiques et les historiens, et souvent brillamment. On se sait plus très bien qui on est, ni même si ce « on » a bien un sens ; toutes les valeurs deviennent relatives, et il est difficile de savoir au nom de quoi on pourrait bien donner des leçons aux autres ; quant à l’autorité, vu que le respect naturel qui doit la provoquer n’a plus de base stable, elle est bien souvent remplacée par des petites crises de violence et/ou de rapports de force qui ne mèneront pas à grand-chose.



Il ne s’agit cependant pas d’être nostalgique de vérités passées : l’auteur montre que l’idée même d’un événement fondateur dans le passé dans lequel tout le corps social se reconnaît ne fonctionne tout simplement plus dans nos sociétés. Et que les tentatives d’en inventer de nouveaux se cassent la gueule encore plus vite que ceux qu’elles prétendent remplacer. Mais en tout cas, rien n’a encore émergé pour remplacer ce concept, et on gère désormais les problèmes au jour le jour, sans vraiment avoir de vision d’avenir claire. Est-ce que c’est grave ? Est-ce qu’on finira par nous découvrir une nouvelle cohésion ? Est-ce qu’on tiendra le choc face aux sociétés qui savent très bien, elles, où elles veulent aller ? L’avenir nous le dira.



L’essai demande pas mal d’efforts, mais je pense qu’il en vaut largement la peine si on veut vraiment réfléchir en profondeur à ces questions et éviter les lieux communs habituels.
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Juger : Sur la philosophie politique de Kant

C’est en écoutant une entrevue télévisée où Michel Onfray m’avait laissé perplexe en évoquant la « dimension politique » de la pensée kantienne et surtout l’influence de cette dernière sur des gens comme Eichmann que je me suis senti interpellé à lire ce livre puisque, selon Onfray, c’est Arendt qui aurait mise en lumière cette dimension politique et ce lien entre Kant et la dimension administrative des camps de concentration nazis.

Ces affirmations m’apparaissaient extraordinairement surprenantes étant donné que Kant n’a écrit que quelques opuscules sur le politique et bien souvent sur un ton ironique et badin qui fait contraste avec ses œuvres majeures. De plus, si certaines idées politiques kantiennes se démarquent de ces écrits mineurs au sein de son œuvre, ce sont avant tout la notion de cosmopolitisme, de citoyenneté du monde ou encore celle de la légalité dans la Métaphysique de moeurs.

C’est donc pour en avoir le cœur net que j’ai été lire ce livre d’Arendt consacré à la question du politique chez Kant.

Or, dès le premier paragraphe, c’est un tout autre son de cloche que l’on entend. Arendt écrit en effet, que « Kant...n’a jamais écrit une philosophie politique. » (p.21) De plus, la perspective d’Arendt n’entend pas non plus s’attarder aux rares écrits où la question est directement évoquée par Kant, mais explorer plutôt la Critique de la faculté de juger en partant de l’idée que le jugement est au fondement de l’activité politique et que Kant aurait pu, sinon peut-être du, aborder la question dans cette optique. C’est ainsi l’absence de capacité de juger d’Eichmann qui en aurait fait un instrument aussi parfait pour le nazisme.

Bref, cette réflexion brillante (et malheureusement inachevée car Arendt est décédée alors qu’elle travaillait sur le sujet) concerne avant tout le jugement et n’a rien à voir avec le nazisme proprement dit, hormis l’exemple d’Eichmann et autres collaborationnistes qu’Arendt tente de comprendre en tant qu’ils seraient dénués de faculté de jugement.

De plus, il faut comprendre que ce travail ne se fait pas dans une perspective herméneutique propres aux exégèses académiques, mais plutôt à des fins d'appropriation philosophique. L’avertissement de Heidegger dans l’avant-propos de la 2e édition de son Kant et le problème de la métaphysique, selon lequel « [u]n tel dialogue de pensée entre des penseurs est [...] soumis à d’autres lois que les méthodes de la philologie historique, dont la tâche est différente » (p.55) me semble donc aussi parfaitement approprié à ce livre. Dans les deux livres, on trouve en effet très clairement les lignes de préoccupations d’Heidegger de d’Arendt, mais, malgré de multiples allusions et citations, assez peu de Kant.
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Qu'est-ce que la philosophie de l'existence..

Bonjour, aujourd’hui un peu de philo avec Hannah ARENDT ! Si, si !



La préface de Marc De LAUNAY, nous apprend que ces deux textes avaient pour but d’éclairer le public américain cultivé sur le courant « continental », et plus particulièrement parisien, qui est appelé « existentialisme » et qui a commencé à avoir une certaine publicité juste après la seconde guerre mondiale. Cette préface donne également quelques éclaircissements importants sur le contexte et l’autrice.



Ensuite, dans « Qu’est ce que la philosophie de l’existence », Annah ARENDT se penche sur ce courant en se référant souvent à Hegel, Heidegger, Kant et Kierkegaard entre autres. Dans un premier temps elle essaie de définir ce que pourrait être exactement « l’existence » et ce qu’elle implique, pour terminer par « l’existentialisme », là encore en citant de nombreux philosophes.



Nous enchaînons sur « L’existentialisme français » qui décortique le même thème, l’existentialisme qui serait prépondérant en France, mais en se référant cette fois-ci à Jean-Paul Sartre et Albert Camus.



Le livre s’achève sur deux pages intitulées « Heidegger le renard » un texte que lui a inspiré le philosophe.



Bref un livre court, mais qu’il est préférable de lire tranquillement pour bien en saisir l’essence et évidemment, deux essais pertinents et très intéressants !



À lire au calme, confortablement installé(e) dans un fauteuil, en dégustant des boudoirs avec un café (interro dans deux heures…). Bonne lecture !
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À travers le mur - Notre enfant

Ce livre se compose de quatre œuvres de cette grande philosophe, du carnet de bord de son enfance écrit par sa mère, Martha Arendt et de sa biographie par celle qui a découvert le carnet du récit de ses premiers jours jusqu'à l'âge de douze ans, Karin Biro.

Les deux biographies nous permettent de mieux connaître cette femme à l'intelligence aiguë, son profond attachement à sa mère renforcé par les circonstances de la vie et de l'Histoire, ses relations avec les hommes qui comptèrent pour elle et, pour certains, changèrent sa vision du monde.

Le conte, "Les sages animaux", m'a paru enfantin ; en réalité, il est rempli de symboles, tout comme les trois paraboles suivantes, écrites lors d'une période sombre de l'Histoire et d'un changement dans sa vie amoureuse.
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Condition de l'homme moderne

Je suis mitigé en ce qui concerne ce livre.

En effet, si le travail d'Hannah Arendt sur l'histoire des modes de pensée qu'elle analyse en profondeur est des plus intéressants, la réflexion sur l'homme moderne et sa condition, elle, laisse à désirer…

Le problème de ce livre réside dans le fait qu'Hannah Arendt consacre l'énorme majorité de ce livre à nous parler, justement, de l'histoire des pensées. Or, du coup, les parties concernant l'homme moderne et sa condition, souffre ( selon moi ) d'un manque de développement. Il y a là beaucoup d'affirmations, des pistes intéressantes, mais aucun travail complet, vraiment construit.

Pourtant, cet ouvrage n'en reste pas moins des plus intéressants, et Hannah Arendt donne des réponses intéressantes à une question cruciale : comment l'homme a-t-il évolué à travers les siècles ? C'est là qu'Hannah Arendt nous propose une formidable étude des modes de pensée en place, durant les siècles précédents et des changements qui sont cause des modifications de ces modes de pensée.

C'est quand même dommage que cet intéressant ouvarge n'ait pas entièrement tenu ses promesses d'autant plus qu'il est loin d'être inintéressant.
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Eichmann à Jérusalem

Le procès d'Adolf Eichmann : 16 semaines de procès ; 4 mois de délibérés ; 15 chefs d'accusation, dont 12 passibles de la peine de mort ; des milliers de documents et de pages tirées des bandes de l'interrogatoire. « Le procès est celui de ses actes, et non des souffrances des Juifs, il n'est pas celui du peuple allemand ou de l'humanité, pas même celui de l'antisémitisme et du racisme. » (p. 47)



Capturé en Argentine par le Mossad en 1960, interrogé, jugé et condamné à mort par pendaison à Jérusalem, Adolf Eichmann est un personnage déconcertant dont l'histoire et le procès n'ont cessé de pointer les bizarreries et l'impensable banalité. Hannah Arendt propose à la fois un portrait de cet homme et une longue revue détaillée de son procès. Elle revient sur l'histoire d'Eichmann et du Troisième Reich. Entre tentative d'éclaircissement et réflexion sur les fondements du mal, Eichmann à Jérusalem est un texte fondamental pour qui veut tenter de comprendre ce que fut la Shoah. « Nul n'est tenu d'obéir à des ordres manifestement criminels. » (p. 501)



Adolf Eichmann était un homme médiocre, sans grande intelligence, ni grande culture et parfaitement malhabile quand il s'agissait de s'exprimer. Il est extraordinaire qu'il ait réussi à occuper une telle place dans l'appareil de destruction nazi. Il avait le mérite d'être très organisé et zélé et c'est à force de travail qu'il devint spécialiste des affaires juives au sein du Reich. À noter qu'il n'était aucunement antisémite, ni même pro-aryen. Mais, fonctionnaire modèle, Adolf Eichmann souscrivait sans réserve aux thèses prônées par Hitler : incapable de remettre en cause la loi érigée par le Führer, il obéissait aux ordres. « Plus on l'écoutait, plus on se rendait à l'évidence que son incapacité à parler était étroitement liée à son incapacité à penser – à penser notamment du point de vue de quelqu'un d'autre. » (p. 118) Adolf Eichmann est un vantard qui passe par des phases d'euphorie et d'ennui profond. Lors de son interrogatoire et de son procès, il répondait par des phrases toutes faites et faisait montre d'une mémoire, sinon lacunaire, sinon profondément encline à réécrire l'histoire. « Malgré tous les efforts de l'accusation, tout le monde pouvait voir que cet homme n'était pas un "monstre" ; mais il était vraiment difficile de ne pas présumer que c'était un clown. » (p. 126)



Hannah Arendt remet en perspective le travail d'Adolf Eichmann. Avant d'en venir à l'extermination systématique et mécanique des Juifs d'Europe, le fonctionnaire a d'abord mis en œuvre diverses solutions, telles que l'expulsion vers une autre terre. Aussi incroyable que cela semble, Eichmann avait pour obsession de mettre une terre sous les pieds des Juifs, ce qui fait de lui un sioniste convaincu et acharné. Quels que soient ses crimes, il a aidé des centaines de Juifs à quitter l'Allemagne dans des conditions favorables, sinon acceptables. Attention, il n'a rien d'un Schindler : l'objectif d'Eichmann était bien de rendre l'Allemagne jüdenrein, débarrassée des Juifs. Mais il faut accorder à Eichmann d'avoir vraiment cru qu'il était chargé de trouver une solution pour vider le pays des Juifs sans passer par la violence. Pendant un temps, ses vagues projets de déportation à Madagascar et ailleurs lui ont été laissés par un régime qui pensait déjà et depuis longtemps à une solution plus radicale. Et quand le Reich a finalement affiché ses véritables intentions, la grande faute d'Eichmann est de n'avoir pas protesté et d'avoir continué à œuvrer pour le régime. « Comme Eichmann le déclara, le facteur le plus décisif pour la tranquillisation de sa conscience fut le simple fait qu'il ne vit personne, absolument personne qui ait pris effectivement position contre la Solution finale. » (p. 226) Un peu mouton, complètement embrigadé, Adolf Eichmann a suivi le mouvement. Et le tribunal de Jérusalem n'a pas porté cela à son crédit. « Il faisait son devoir, répéta-t-il mille fois à la police et au tribunal ; non seulement il obéissait aux ordres, mais il obéissait aussi à la loi. » (p. 253) Voilà le mal selon Eichmann : non un mal par principe, mais un mal selon la loi et selon les ordres. Voilà comment un homme aussi médiocre a pu présider à l'extermination de millions de Juifs. « Mis à part un zèle extraordinaire à s'occuper de son avancement personnel, il n'avait aucun mobile. Et un tel zèle n'est nullement criminel. [...] Simplement, il ne s'est jamais rendu compte de ce qu'il faisait, pour le dire de manière familière. » (p. 494) C'est sur cela qu'Hannah Arendt a fondé sa thèse sur la banalité du mal.



Dans sa cage de verre, Adolf Eichmann était représenté par l'avocat Robert Servatius, dont la défense se fondait sur deux principes : les crimes d'Eichmann étaient des crimes d'État – ce que le tribunal de Jérusalem n'a jamais concédé, car cela aurait empêché tout procès – et Eichmann était un bouc émissaire. Sous la présidence de Ben Gourion, le tribunal de Jérusalem était investi d'un grand rôle. « Et si pour Ben Gourion, "le verdict prononcé contre Eichmann lui était indifférent", la seule tâche du tribunal de Jérusalem était incontestablement d'en prononcer un. » (p. 71) Le procès Eichmann, contrairement au procès de Nuremberg, a mis les Juifs en position d'acteurs et non seulement de victimes et de spectateurs. « On pensait que les Juifs n'avaient pas le droit d'apparaître comme juges dans leur propre cause, mais qu'ils devaient agir uniquement comme accusateurs. » (p. 468) Dans sa relecture de l'Histoire, Hannah Arendt soulève aussi les terribles secrets de l'extermination des Juifs, comme la coopération des autorités juives. « Le juge Halévi découvrit, à partir du contre-interrogatoire d'Eichmann, que les nazis considéraient la coopération des Juifs comme la pierre angulaire même de leur politique juive. » (p. 238) Dans ce procès et dans l'Histoire, il est toujours bien ardu de séparer le bien du mal, chacun frayant avec l'autre.



J'avais étudié ce texte en terminale pour un projet en binôme à présenter au baccalauréat. Je gardais de cet essai un souvenir confus, mais une expression m'est restée, celle de la banalité du mal. Cette relecture, dix ans après mon baccalauréat, a des saveurs de nostalgie, car je me suis revue bûchant sur ce texte que je trouvais alors ardu, dense et bien épais pour ma pauvre ambition lycéenne de connaissances. C'est très certainement avec cet ouvrage que j'ai « appris à penser ». La clarté du propos et de la démonstration permet d'explorer des thèses épineuses, sans toujours obtenir des réponses, et de relire un épisode historique tristement célèbre qu'il ne faut pas effacer. « Les oubliettes n'existent pas. Rien d'humain n'est à ce point parfait, et il y a simplement trop de gens dans le monde pour rendre l'oubli possible. Il restera toujours un survivant pour raconter l'histoire. » (p. 409) En relisant Eichmann à Jérusalem, j'ai souvent pensé à ma récente découverte de Leïb Rochmann, avec son texte À pas aveugles de par le monde. Voilà deux textes essentiels, certes bouleversants, mais nécessaires, indispensables. Et j'arrête là avec les synonymes pour vous conseiller de vous frotter au texte d'Hannah Arendt : il est accessible et passionnant.
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La liberté d'être libre

Je m'attendais à un petit essai de philosophie, mais l'auteure évoque surtout la politique historique, même si le fond est philosophique.

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D'abord, elle a du mal à démarrer,....ou alors, allez, on va dire que c'est moi : son style m'a paru hermétique au premier abord.

Je ne comprends pas l'expression : «  La liberté d'être libre » ; c'est pour moi un pléonasme, et Hannah Arendt, que j'avais appréciée dans un autre livre, ne s'explique pas beaucoup sur le titre de son essai.

Puis le ciel s'éclaircit quand elle évoque les deux grandes révolutions du XVIII è siècle :

La révolution américaine, qu'on appelle « guerre d'indépendance », de 1765 à 1783 ;

La révolution française que nous connaissons.

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La révolution américaine, qui a eu lieu quelques années avant la notre, n'a en fait que peu à voir, si ce n'est le besoin de liberté : liberté de ne pas être sous le joug des Anglais. Les pauvres, 400.000 noirs, n'ont joué qu'un petit rôle dans cette guerre d'indépendance, les 1,8 millions de colons se sont affrontés aux Anglais ; alors que pour nous, les pauvres, les sans-culottes, dans la rue, ou la marche des femmes sur Versailles, ont permis aux théoriciens de la révolution, petits bourgeois et bourgeois, de réfléchir à quelle politique allait succéder à la royauté. Les sans-culottes, ce n'était pas leur problème, ce qu'ils voulaient était un régime qui leur donne du pain et qui arrête de les assommer d'impôts !

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En résumé, l'analyse philosophique est restée floue, si ce n'est, comme le proclame Condorcet, que la révolution a pour but d'obtenir plus de liberté.

Par contre, je trouve qu'Hannah Arendt assume une belle analyse politique, qui m'a permis de découvrir un peu mieux la guerre d'indépendance des Américains.

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Petite touche personnelle :

j'ai eu la chance d'aller à Cuba dans le cadre professionnel, dans les années 1980, et d'entendre Fidel Castro discourir sur la révolution cubaine :

« Antes de la Revolucionnnn, bla-bla-bla... ;

despues de la revolucionnn, bla-bla-bla... » . Il faisait des discours de quatre heures en place publique, mais la teneur de ses discours montrait l'importance de la révolution : celle de la libération des Cubains du gouvernement de Fulgencio Batista, suppôt des Etats-Unis.

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Rahel Varnhagen

Je me demande sérieusement qui des deux dames Rahel Varnhagen (1771-1833), le sujet de l'ouvrage, ou Hannah Arendt (1906-1975) son auteur, mérite le plus notre admiration ? Personnellement, je penche pour la dernière, mais j'avoue que c'est un parti pris basé sur la lecture de plusieurs de ses ouvrages. À commencer par son fort contesté , mais, à mon avis singulièrement impressionnant, 'Eichmann à Jérusalem. Rapport sur la banalité du mal' de 1963. Mais comme l'a remarquablement caractérisée Barbara Sukowa - l'auteur de 'Hannah Arendt elle-même' -- "Celle qui voulait penser sans garde-fou" . Un esprit extrêmement indépendant ne peut faire l'unanimité, si je peux me permettre une lapalissade.



Rassurez-vous cela témoignerait d'un goût douteux que de vouloir comparer ces 2 grandes dames, l'amie du géant Goethe et la confidente de l'éminent philosophe allemand Martin Heidegger (1899-1976). Après tout Babelio n'est pas 'Ici Paris'. En plus, Hannah ne serait pas très contente de cet exercice de style, puisqu'elle chérissait Rahel Varnhagen comme sa "meilleure amie", bien qu'elle était morte depuis plus d'un siècle, lorsqu'elle en publiait sa biographie en 1958.



Mais qui était en fait cette Rahel Varnhagen ?



Rahel Varnhagen, née Levin dans une famille de riches commerçants juifs, avait, toute jeune, la bougeotte (peut-être pour échapper à un père despotique). Ainsi, elle a voyagé à Hambourg, Francfort, Dresde, Prague et...Paris. Et cela à une époque où les voyages n'étaient pas commodes comme à présent, surtout avec les guerres napoléoniennes. Fascinée par la littérature pratiquement depuis son berceau, elle s'entoure déjà comme adolescente des gens de lettres. À l'âge de 24 ans, elle rencontre pour la première foi le monument ambulant, Goethe. Dix ans après, elle épouse le diplomate et écrivain Karl August Varnhagen von Ense et se convertit au catholicisme. Elle était persuadée que son origine juive lui "empoisonnait l'existence".



Bizarrement, elle n'a jamais publié une oeuvre littéraire elle-même. Bien que ses qualités littéraires étaient exceptionnelles comme il ressort de ses nombreux articles pour des journeaux et hebdomadaires spécialisés et de sa montagne de lettres. de ses plus de 10.000 lettres, son mari, après sa mort, a publié un recueil, qui a été réédité et annoté, mais n'existe malheureusement qu'en allemand.

Rahel Varnhagen a réussi à vivre sa vie au centre de la littérature et son salon était fréquenté par tous ceux qui avait nom et notoriété, tels Heinrich Heine, les von Humholdt Alexander et Wilhelm, Friedrich Schlegel etc.

Morte relativement jeune à l'âge de 62 ans, un astéroïde fût baptisé Varnhagen en son honneur.



Qu' Hannah Arendt l'ait prise comme rôle-modèle n'a rien de surprenant si l'on considère, qu'à peine 15 ans, Johanna (son nom de baptême ) se specialisait dans la philosophie de Karl Jaspers et Søren Kierkegaard, pas exactement de la 'chick-lit' ! Toujours fidèle à son modèle, à 19 ans, elle rencontre le grand philosophe Martin Heidegger et c'est le double coup de foudre : et pour son oeuvre et pour l'homme. Des sentiments qui lui sont restés toute sa vie. Elle témoignera en sa faveur lors de son procès de dénazification.



L'arrivée d'Hitler signifie pour elle son départ...pour Paris, où elle devient la secrétaire de la baronne de Rothschild, jusqu'à son internement au camp de Gurs, dans les Pyrénées, après l'avènement de Pétain au pouvoir. Profitant d'un moment de confusion, elle réussit à s'échapper et fuir à Marseille, où, grâce à Varian Fry et le diplomate américain Hiram Bingham IV (voir à ce propos ma critique de l'autobiographie de Fry du 05/06), elle peut se rendre aux États-Unis en passant par Lisbonne.



En Amérique, avec sa grande intelligence et érudition, elle se fait rapidement une réputation qui va devenir mondiale. Un peu comme la conscience des hommes de son époque. Pour nous, plus que ses mariages et prises de positions, se sont, en effet, ses écrits qui sont importants. Tout d'abord, il convient de mentionner son oeuvre magistrale en trois tomes : 'Les origines du totalitarisme ', son 'L'humaine condition' et 'La Crise de la culture'. Des ouvrages fort solides, mais évidemment pas faciles. Devenue américaine elle a été professeur à plusieurs universités, tout en faisant des conférences un peu partout et de continuer à écrire fébrilement jusqu'à sa mort en 1975.



J'ai feuilleté et lu des lettres de Rahel Varnhagen, mais, honnêtement je ne les recommenderais pas ici. Non pas à cause de son style, mais tout simplement parce que ses correspondants appartiennent à une autre ère et nous sont peu familiers.

Ce qui est un peu 'embêtant' avec Hannah Arendt, c'est que je lui dois pratiquement toujours donner raison ! Même si le célèbre historien britannique, Ian Kershaw, lui reproche sa 'methode' ? Il est vrai que comme philosophe elle ose aller plus loin que lui.

Si vous n'avez rien lu d'elle, je vous conseille de commencer par son livre profond mais tout à fait accessible : 'Men in Dark Times' , publié par Gallimard sous le titre malencontreux et vague de 'Vies politiques' et disponible en édition de poche.









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Eichmann à Jérusalem

C’est en tant que reporter qu’Hannah Arendt se rend à Jérusalem pour couvrir le procès Eichmann. Le moins que l’on puisse dire c’est qu’elle maîtrise son sujet, tant du point de vue intellectuel – ses recherches l’attestent – qu’existentiel – elle qui, juive, a fui sa terre natale, l’Allemagne, et s’est réfugiée aux Etats-Unis.

De cette expérience – car c’en est une, étant donné l’accusé ! – naîtra ce livre qui ne donnera pas un coup de pied dans la fourmilière mais la pulvérisera. Arendt renversera en effet beaucoup de fausse idées sur la Solution finale et sa genèse, décortiquant chaque marche de cette descente en enfer avec méticulosité et surtout : sans compromis. Autrement dit, chacun aura sa part.

Le sujet central – à partir duquel Arendt étendra sa réflexion à l’ensemble des protagonistes de cette entreprise exterminatrice – est donc Adolf Eichmann, exécutant sans envergure des basses œuvres idéologiques nazies. Et cependant rouage essentiel du « bon fonctionnement » de la machine. Eichmann est idéaliste mais surtout très obéissant. La parole d’Hitler c’est pour lui la loi, et on ne discute pas la loi. Ce personnage commun est de ce fait l’incarnation de ce qu’Arendt écrit en sous-titre : « la banalité du mal. » Parce qu’il l’est, banal, loin de ces figures « exceptionnelles » du régime.

Son importance a même été volontairement exagérée par certains accusés au procès de Nuremberg, en 1946, et par lui-même, au cours d’un entretien accordé à Sassen en Argentine, lui-même ancien SS.

Mais comme la Solution finale ne saurait se résumer à un seul homme, Arendt expose sans complaisance les éléments qui ont rendu possible un génocide organisé avec une précision d’orfèvre, où chacun s’acquittait d’une tâche précise et limitée. Ce qui permit son application avec une facilité déconcertante, et avec le concours des Juifs eux-mêmes, explique Arendt. Un massacre anarchique n’aurait jamais permis de tels « résultats ».

Idem, Arendt pointe les erreurs du procès et ses hors-sujet, ce qui nous fait songer qu’il a quelque part raté sa cible : on y a condamné un crime collectif et pas un individu, lequel a été la partie pour le tout. Et l’on se prend à « rêver » : en lieu et place d’Eichmann, un Himmler, un Goebbels ou, « mieux », Hitler en personne, et nous n’avions plus un exécutant bêtement convaincu mais un penseur de la Solution finale.

Au cours des séances, des témoignages se succéderont, sans rapport direct avec l’accusé. Le procès devient un lieu de mémoire, et Eichmann, le symbole du crime.

Ce crime, différemment « apprécié » selon les pays sous influence nazie, Arendt explique qu’il a aussi été rendu possible par des volontés non-allemandes, et freiné par d’autres résolument opposées : on a, par exemple, la Roumanie, dont la cruauté envers les Juifs effraya jusqu’aux autorités allemandes – c’est dire ! –, et le Danemark qui, son roi en tête, œuvra avec courage pour sauver les Juifs.

Il faut toutefois remettre la parution du livre dans son contexte. Nous sommes en 1963 et la « poussière » a été glissée sous le tapis. Arendt dérange alors les consciences oublieuses, sans outrance ni obsession mémorielle : elle se contente d’évoquer les faits.

Eichmann à Jérusalem obligera à repenser l’histoire de ce génocide. Aujourd’hui encore, il conserve sa force et, plus généralement, invite à une extrême rigueur lorsqu’il s’agit d’écrire l’Histoire. Le pathos et l’idéologie n’y ont pas leur place. Ce texte est une réussite tant morale que factuelle.

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La Crise de l'éducation : Extrait de La Crise..

Toutes les choses qui doivent leur existence aux hommes, comme les œuvres, les actions et les mots, sont périssables, contaminées, pour ainsi dire, par la mortalité de leurs auteurs.

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Walter Benjamin 1892-1940

Il sera difficile de voir dans cette mince et dense plaquette d'une centaine de pages, une "biographie" de Walter Benjamin, ce penseur juif allemand qui mourut tragiquement en 1940, à la frontière de l'Espagne, fuyant devant les nazis. Il y a bien quelques éléments biographiques : le thème de la malchance, les entreprises universitaires, les relations esquissées avec les sionistes et les marxistes, mais rien de suffisant pour composer chronologiquement une Vie . C'est plutôt l'histoire et le portrait de la pensée de Walter Benjamin, tracés par une de ses "collègues", issue comme lui de l'université allemande, de la culture allemande, du judaïsme allemand, Hannah Arendt. Le livret manifeste les qualités et les défauts de cette écriture : les qualités, c'est la profondeur de l'enquête accomplie sur la vie d'un esprit aigu, qui tente de se construire après que le monde ancien s'est effondré. On rencontre Adorno, Scholem, Heidegger, Kafka, Brecht, et des intuitions bouleversantes autant qu'étranges. On mesure l'importance de Baudelaire et de Paris dans la formation de cette pensée qui se donne pour tâche de comprendre le présent et la modernité. Le défaut de l'ouvrage dérive de ses qualités : malgré ses airs de plaquette charmante, d'opuscule sans conséquence, c'est de la "philosophie allemande", qui exige du lecteur un effort auquel il ne s'attendait pas. C'est donc un essai à relire, le premier étonnement passé.
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La Crise de la culture

De tout temps la culture a toujours était un élément prépondérant. Du reniement de celle - çi dépend l'avénement d'une vision populiste de la société. La culture est l'ennemie la plus faouche des populistes et autres démagos. La lutte pour le maintien d'une culture digne de ce nom n'occupe que trop peu de place dans la société contemporaine . L'aliénation de masse la détruit et la place dans une position trés compliquée. Hannah Arendt a choisie de porter ce difficile combat dans une oeuvre qui aborde avec force les différentes problématiques rencontrées par la culture dans un monde ou elle passe clairement au second plan. Hannah Arendt organise son livre en plusieurs mouvements , qui aborde la liberté , la culture , l'éducation , l'autorité , ect. Le spectre des thématiques est ici trés large et cela demande une lecture attentive afin d'assimiler concrétement tout ces éléments . Hannah Arendt traite ici de la confrontation entre la perte de latradition et le nouvel age de la culture et du chemin a parcourir entre le passé dont l'on ne veut plus forcément et l'avenir que l'on ne souhaite pas forcément connaitre car l'on en a peur. Cette aventure de la culture est particuliérement passionante et Mme Arendt la fait vivre de la maniére la plus riche que l'on puisse connaitre. Une oeuvre fondamentale de plus à l'actif de cette grande dame de la pensée.
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La Crise de la culture

Que reste-t-il dans le monde déboussolé d'aujourd'hui des grandes notions qui en ont façonné la pensée, comme la liberté, l'autorité, la vérité, la tradition ou l'histoire? Les analyses serrées d'Hannah Arendt montrent à quel point celles-ci sont ébranlées, que les expériences politiques et scientifiques radicales du vingtième siècle ont mis à mal tous les repères. Elle montre aussi l'écart qui existe entre la pensée solitaire du philosophe et la vie dans la cité, où la vérité importe beaucoup moins que l'action, où l'éducation, en voulant épouser les besoins de l'enfant, devient vide de sens, où la culture, en se démocratisant, se transforme en banal objet de consommation. Le monde nous échappe, et nous ne pouvons que le penser sans coller à lui, que faire semblant de l'adapter à la faiblesse de nos sens imparfaits. La crise ouverte est loin d'être refermée.

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Les origines du totalitarisme, Tome 3 : Le ..

Le titre est limpide et quand on lit ce livre magnifique tout devient plus clair.

Un des plus grand livre sur la naissance du mal.

Il devrait être obligatoire !
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La Crise de la culture

La crise de la culture, écrit par Hannah Arendt, de son titre original Between Past and Future est un recueil de pensée politique comprenant huit essais dont La crise de la culture qui s'intéresse particulièrement au rapport entre Société et Culture et étudie les phénomènes de Société et Culture de masse ; il a été publié pour la première fois en 1961.

La « Culture de masse » est la culture de la « Société de masse » ; ces deux termes ont longtemps été péjoratifs : En effet, la « Société de masse » désignait au départ une forme débauchée de la Société, le terme de « culture de masse » apparaît donc antinomique. La culture étant représentative de la classe sociale dirigeante et cultivée, à contrario de la masse englobant la classe inférieure, jugée inculte. Le premier but de ce concept est d'intellectualiser le « kitsch », en partant du principe que la Société de masse va devenir universelle. Ce phénomène provoque l'inquiétude des intellectuels ; on ne peut envisager de laisser la « culture populaire » au petit peuple. La question qu'Hannah Arendt pose est de savoir si ce qui est vrai pour la « Société de masse » l'est aussi pour la « Culture de masse ». Les rapports entre la culture et la Société ont toujours été ambigus. En Europe, le snobisme et le goût de la bonne culture sont apparentés au rang social. La littérature et la peinture américaines ont eu une forte influence sur le développement de l'art moderne, y compris dans des pays adoptant des attitudes anti-américaines. Sur le continent américain, il y a moins de rapport entre la culture et la position sociale, d'où une forte influence de cette culture sur l'art moderne qui est le fruit d'une rébellion à l'égard de la Société bien pensante européenne. La « Société de masse » est apparue lorsqu'on a englobé toutes les catégories sociales dans la Société, y compris la masse de la population ; auparavant, la Société n'était représentée que par les individus jouissant de richesses et de loisirs et donc ayant des moyens et du temps à accorder à la culture. L'apparition du terme de « Société de masse » semble indiquer que l'ensemble du peuple, libérée de ses travaux harassants, peut désormais disposer de loisirs pour la culture. Il semblerait que l'origine de cette bonne société remonte à l'époque des cours européennes absolutistes et en particulier celle de Louis XIV, qui sut, en rassemblant sa cour à Versailles assujettir la noblesse en faisant d'eux de courtisans, les écartant ainsi de tout pouvoir politique. Le précurseur de l'homme de masse serait l'individu découvert par Rousseau ou John Stuart Mill, auteurs en rébellion contre la Société bien pensante. Depuis, la Société et ses individus n'ont cessé d'être en conflit, tant dans la fiction que dans la réalité. L'homme, partie intégrante de cette Société qui n'a de cesse de lui « prendre le meilleur de lui-même » et à laquelle il cherche continuellement à se démarquer. Auparavant, la Société n'était restreinte qu'à certaines classes de la population ; l'englobement de certaines classes faisant alors partie de la « non-société » crée alors un malaise chez ses individus qui ne se trouvent plus d'échappatoire. On peut souligner que l'artiste est le dernier individu de la « Société de masse ». Il faut bien distinguer la Société de la « Société de masse ». Paradoxalement, l'artiste s'est détourné de la Société, qui le rejetait en tant qu'individu. C'est ce rejet qui a conduit à l'art moderne, qui n'était au départ qu'un refus à l'égard de cette Société. Curieusement, et c'est là qu'est toute l'ambivalence de ce rapport, la Société s'intéresse à toutes formes de culture présumée. La Société s'accapare la culture, qui devient signe de position sociale et de qualité. La culture devient, dès lors, un moyen de réussite sociale et « d'éducation ». De tous temps, les rapports entretenus entre Société et Culture ont été ambivalents : la Société recherche la Culture dont elle a besoin, tout en rejetant l'artiste qui la crée et se sent donc menacé par cette même Société et cherche à s'en éloigner. Ce phénomène est cependant bien plus présent en Europe que sur le sol américain. L'Europe est dominée par un philistinisme qui veut que l'utilité passe avant la nature et l'art jugés inutiles. Ce qui n'empêche pas la Société de rechercher la Culture et de se l'approprier. La « Société de masse », à l'inverse de la Société classique englobe l'ensemble de la population, ce qui peut parfois provoquer des tensions entre les différentes couches de la Société et conduire à des rébellions de la part des classes lésées qui se cherchent une échappatoire qu'ils ne trouvent plus dans la « Société de masse ». La « Culture de masse » est donc la culture de cette « Société de masse », sans pour autant être laissée à la « masse » du peuple, mais à l'ensemble des couches sociales, donc inévitablement à la classe dirigeante.

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Nous autres réfugiés

Ce tout petit ouvrage d'une quarantaine de pages présente un texte paru pour la première fois dans The Menorah Journal dans lequel Hannah Arendt livre une réflexion sur le statut de réfugié. Statut qu'elle connaît pour avoir dû fuir la fureur hitlérienne, comme nombre de juifs allemands. Après un passage en France où elle a été internée dans le camp de Gurs en qualité de ressortissante d'un pays ennemi, elle réussi à s'échapper pour rejoindre les Etas-Unis.

Dans cet article, elle rend compte de toute la difficulté des réfugiés à "s'assimiler" alors qu'à la violence du pays qu'ils ont dû fuir répond celle du pays d'adoption ou de transit qui les considère avec suspicion, voire avec haine.

"Nous avons été expulsés d'Allemagne parce que juifs.Mais à peine avions-nous franchi la frontière française que nous devenions des “boches”.



Bien que datant de 1943, le propos de Hannah Arendt reste terriblement actuel.

Rohingyas, Camerounais, Syriens, Rwandais etc., le nombre de réfugiés politiques ou climatiques ne cesse d'augmenter. Cependant les discours et les pratiques continuent à les déshumaniser en les réduisant à des chiffres, statistiques et quotas à respecter oubliant que chacun d'eux, hommes, femmes et enfants, forment une population en souffrance au passé souvent douloureux et qu'il leur faut faire face à un avenir des plus incertains.

De façon plus ou moins consciente dans l'imaginaire collectif ou individuel l'étranger représente le danger. En illustrant les difficultés et les ambiguïtés du processus d'intégration ou d'assimilation d'une minorité par une société, Hannah Arendt nous rappelle simplement qu'il importe de ne pas oublier que les réfugiés sont avant tous êtres humains à traiter comme tels pour leur permettre de préserver leur intégrité physique et mentale.
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