Première chronique nécessaire de Monsieur Paul, d'après "Les chroniques de Monsieur Paul" de Mehis Heinsaar, traduites par Antoine Chalvin et parues chez Kantoken le 16 janvier 2016.
www.mehis-heinsaar.fr
Monsieur Paul s’était mis à chuchoter. « Pourriez-vous tout de même me dire comment vous vous appelez ? »
Cette question toute simple rendit le visage de l’artiste parapluiste blanc comme la chaux. Ses yeux devinrent aussi grands que les roues d’une calèche et, dans le même temps, la pluie se changea en une terrible averse, sous laquelle on n’y voyait pas à plus d’un mètre. Plus étonnant encore, la pluie ne tombait pas du ciel, mais de la terre vers le ciel, de sorte que Monsieur Paul eut beau disposer son parapluie dans toutes les positions possibles, il se retrouva trempé jusqu’aux os.
Lorsque la pluie cessa enfin, Monsieur Paul découvrit que la terre autour de lui était complètement sèche. Quant à l’artiste parapluiste, il n’était plus visible nulle part.
Car généralement, les gens disaient ce que (Monsieur Paul) devait faire ou ne pas faire. Partout, que ce soit à l'école, à la maison ou dans la rue, on lui prodiguait des leçons ou des conseils pour sa vie future. On voulait faire de lui un véritable être humain. Mais Monsieur Paul ne voulait pas devenir un véritable humain. Il voulait devenir celui qu'il était. C'est précisément pour cette raison que son passe-temps préféré devint dès lors le jeu de cache-cache.
Ensuite, pour passer le temps, elle commença à compter les moutons, ce qui donnait à peu près ceci :
1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 21 21 21 21 21 21 21 21 21 bon, tu sautes ou quoi ? Décide toi !
21 22 23 24 25 26 27 28 29 30 31 32 33 34 35 36 37 38 39 40 41 42 43 44... et ainsi de suite.
Épilogue
Au cinquante trois mille six cent cinquième mouton, la sérénité disparut et ne revint plus jamais.
(Monsieur Paul) vit que chaque chose avait bel et bien son centre et sa mélodie. Son rythme d'existence. Et que la matière inerte recelait des secrets de l'être beaucoup plus grands que ce que l'on croyait jusqu'alors.
Lorsqu'il atteignit l'âge de cinq ans, il était déjà clair que le garçon présentait toutes les qualités requises pour être admis à l'Académie de l'Ignorance. Mais comme une telle a académie n'existait pas officiellement à l'époque (ni probablement aujourd'hui), Monsieur Paul dut la fonder lui-même et en lui-même. Il en devint tout à la fois le bâtiment principal, les salles de cours et les étudiants. Pour professeur, il eut la matière inanimée.
La logique est la chose la plus sournoise du monde. L'humanité finira par en crever.
Quand le Monsieur Paul qui vit dans la tête du Monsieur Paul qui vit dans la tête du Monsieur Paul qui vit dans la tête du Monsieur Paul qui vit dans la tête du Monsieur Paul qui vit dans la tête du Monsieur Paul qui vit quant à lui dans ma tête se réveille, il regard encore longtemps autour de lui d'un air distrait, car le Monsieur Paul qui vit dans sa tête est justement en train de se mettre au lit.