Citations de Henri de Régnier (267)
Le bonheur est un dieu qui marche les mains vides...
Un petit roseau m’a suffi
Pour faire frémir l’herbe haute
Et tout le pré
Et les doux saules
Et le ruisseau qui chante aussi ;
Un petit roseau m’a suffi
À faire chanter la forêt.
Ceux qui passent l’ont entendu
Au fond du soir, en leurs pensées,
Dans le silence et dans le vent,
Clair ou perdu,
Proche ou lointain…
(Odelette)
LE JARDIN MOUILLÉ
La croisée est ouverte, il pleut
Comme minutieusement,
A petit bruit et peu à peu
Sur le jardin frais et dormant.
Feuille à feuille, la pluie éveille
L'arbre poudreux qu'elle verdit ;
Au mur, on dirait que la treille
S'étire d'un geste engourdi.
L'herbe frémit, le gravier tiède
Crépite et l'on croirait là-bas,
Entendre sur le sable et l'herbe
Comme d'imperceptibles pas.
Le jardin chuchote et tressaille,
Furtif et confidentiel ;
L'averse semble, maille à maille,
Tisser la terre avec le ciel.
Soir d'automne
Il est doux, ô mes yeux, lorsque le vent d'automne
Cesse de s'acharner à l'arbre dont frissonne
Le spectre dépouillé qui craque et tremble encor,
De voir, dans l'air muet, où son vol se balance,
Tomber en tournoyant à travers le silence,
Une dernière feuille d'or.
Quand au jour éclatant qui se voile succède
Le crépuscule lent, humide, mol et tiède,
Qui fait perler la mousse au dos des bancs velus,
Il est doux, au jardin mystérieux, d'entendre
Résonner dans le soir le rire obscur et tendre
Des visages qu'on ne voit plus.
SEPTEMBRE
Septembre, Septembre,
Cueilleur de fruits, teilleur de chanvre,
Aux clairs matins, aux soirs de sang,
Tu m'apparais
Debout et beau
Sur l'or des feuilles de la forêt,
Au bord de l'eau.
En ta robe de brume et de soie,
Avec ta chevelure qui rougeoie,
D'or, de cuivre, de sang et d'ambre
Septembre,
Avec l'outre de peau obèse
Qui charge tes épaules et pèse
Et suinte à ses coutures vermeilles
Où viennent bourdonner les dernières abeilles.
Septembre,
Le vin nouveau fermente et mousse de la tonne
Aux cruches ;
La cave embaume, le grenier ploie ;
La gerbe de l'été cède au cep de l'automne ;
La meule luit des olives qu'elle broie.
Toi, Seigneur des pressoirs, des meules et des ruches,
O Septembre ! chanté de toutes les fontaines,
Ecoute la voix du poème.
Le soir est froid,
L'ombre s'allonge de la forêt
Et le soleil descend derrière les grands chênes.
SI J'AI PARLÉ DE MON AMOUR...
Si j'ai parlé
De mon amour, c'est à l'eau lente
Qui m'écoute quand je me penche
Sur elle ; si j'ai parlé
De mon amour, c'est au vent
Qui rit et chuchote entre les branches ;
Si j'ai parlé de mon amour, c'est à l'oiseau
Qui passe et chante
Avec le vent ;
Si j'ai parlé
C'est à l'écho.
Si j'ai aimé de grand amour,
Triste ou joyeux,
Ce sont tes yeux ;
Si j'ai aimé de grand amour,
Ce fut ta bouche grave et douce,
Ce fut ta bouche
Si j'ai aimé de grand amour,
Ce furent ta chair tiède et tes mains fraîches,
Et c'est ton ombre que je cherche.
Une femme est capable de bien des choses pourvu qu'elle se les puisse justifier à elle-même et, pour cela, une femme a, dans l'esprit, des ressources infinies.
" Donc "
Je vous ai si souvent regardée au visage
Que j’en ai désiré votre corps tout entier.
Et maintenant mes yeux conservent une image
Que mon cœur désormais ne peut plus oublier.
Que m’importe à présent si vos mains trop rapides
Couvrent votre beauté de longs voiles jaloux !
C’est en vain qu’à vos pieds tombent leurs plis rigides
Puisqu’ils ne sont plus là lorsque je pense à vous.
Le jour peut s’achever, et la nuit ténébreuse
Peut nous confondre toute à son obscurité,
N’êtes vous pas debout dans son ombre amoureuse
En un rêve pareil a votre nudité !
Et si vous détournez du mien votre visage,
Si, loin de moi, s’en va votre pas orgueilleux,
Est il rien qui pourra dénouer l’esclavage
Que vous fait ma captive et vous lie à mes yeux.
"La captive"
VŒU
Je voudrais pour tes yeux la plaine
Et un forêt verte et rousse,
Lointaine
Et douce
A l’horizon sous un ciel clair,
Ou des collines aux belles lignes
Flexibles et lentes et vaporeuses
Et qui sembleraient fondre en la douceur de l’air,
Ou des collines
Ou la forêt …
Je voudrais
Que tu entendes
Forte, vaste, profonde et tendre,
La grande voix sourde de la mer
Qui se lamente comme l'amour ;
Et par instant tout près de toi,
Dans l’intervalle,
Que tu entendes,
Tout près de toi,
Une colombe dans le silence,
Et faible et douce,
Comme l’amour,
Un peu dans l’ombre,
Que tu entendes
Sourdre une source.
Je voudrais des fleurs pour tes mains,
Et pour tes pas
Un petit sentier d’herbe et de sable,
Qui monte un peu et qui descende
Et tourne et semble
S’en aller au fond du silence,
Un tout petit sentier de sable
Ou marqueraient un peu tes pas,
Nos pas
Ensemble !
SUR LA GRÈVE
Couche-toi sur la grève et prends en tes deux mains,
Pour le laisser couler ensuite, grain par grain,
De ce beau sable blond que le soleil fait d’or ;
Puis, avant de fermer les yeux, contemple encor
La mer harmonieuse et le ciel transparent ;
Et, quand tu sentiras, peu à peu, doucement,
Que rien ne pèse plus à tes mains plus légères,
Avant que de nouveau tu rouvres tes paupières,
Songe que notre vie à nous emprunte et mêle
Son sable fugitif à la grève éternelle.
Nous sommes allés à l’île de San Lazaro, chez les Arméniens. C’était une de ces belles et pures journées de l’automne vénitien où l’air est saturé de bonheur et de mélancolie. De loin, les murs de brique du vieux couvent ressemblaient à un ancien brocart couleur de rose, sur lequel se détachait le sombre velours des cyprès. On eût dit le motif de quelque étoffe orientale ou le dessin de quelque tapis persan. Dans le jardin du cloître, un cèdre étendait ses branches et, au tronc velu d’un palmier, grimpait un volubilis dont le fleur était du bleu le plus charmant, le plus tendre, le plus pur que j’eusse jamais vu. Quand nous avons eu admiré, dans la galerie du couvent, une momie venue d’Egypte et la signature de lord Byron, nous sommes sortis pour nous promener. Le jardin des moines nous a offert ses allées tranquilles qui abritent des treilles recourbées et où courent sur le sable des lézards furtifs. Ça et là, entre deux cyprès, entre deux ceps, des araignées ont tendu des toiles flexibles et irisées. On les voit qui s’y balancent, filandières appliquées, dentellières de la Lagune. Ce sont elles qui tissent les langes et le linceul du silence. p 108-109
Lire, c'est s'ensemencer. p 70
L'ennui est plus terrible encore s'il prend la forme de l'agitation. Alors on le fuit et on le rencontre partout face à face avec, en plus, la fatigue de l'avoir fui et l'énervement de l'avoir retrouvé. p 45
La vieillesse est, chez les hommes comme chez les femmes, une sorte de décrue des eaux de la vie : Selon les êtres, se découvre en eux un fond de roche, de sable ou de boue.
Si j'ai parlé
De mon amour, c'est à l'eau lente
Qui m'écoute quand je me penche
Sur elle; si j'ai parlé
De mon amour, c'est au vent
Qui rit et qui chuchote entre les branches;
Si j'ai parlé de mon amour, c'est à l'oiseau
Qui passe et chante
Avec le vent;
Si j'ai parlé
C'est à l'écho.
Si j'ai aimé de grand amour,
Triste ou joyeux,
Ce sont tes yeux;
Si j'ai aimé de grand amour,
Ce fut ta bouche grave et douce,
Ce fut ta bouche;
Si j'ai aimé de grand amour,
Ce furent ta chair tiède et tes mains fraîches,
Et c'est ton ombre que je cherche.
LE BONHEUR
Si tu veux être heureux, ne cueille pas la rose
Qui te frôle au passage et qui s’offre à ta main ;
La fleur est déjà morte à peine est-elle éclose.
Même lorsque sa chair révèle un sang divin.
N’arrête pas l’oiseau qui traverse l’espace ;
Ne dirige vers lui ni flèche, ni filet
Et contente tes yeux de son ombre qui passe
Sans les lever au ciel où son aile volait ;
N’écoute pas la voix qui te dit : « Viens. » N’écoute
Ni le cri du torrent, ni l’appel du ruisseau ;
Préfère au diamant le caillou de la route ;
Hésite au carrefour et consulte l’écho.
Prends garde... Ne vêts pas ces couleurs éclatantes
Dont l’aspect fait grincer les dents de l’envieux ;
Le marbre du palais, moins que le lin des tentes
Rend les réveils légers et les sommeils heureux.
Aussi bien que les pleurs, le rire fait les rides.
Ne dis jamais : Encore, et dis plutôt : Assez...
Le Bonheur est un Dieu qui marche les mains vides
Et regarde la Vie avec des yeux baissés !
‒ Revue de Paris, 1912
…. vous pourrez jouir en paix, au bercement de la gondole, du prestigieux spectacle de la Lagune de Venise et je n’en connais pas de plus étrange et de plus captivant.
On y est dans la solitude et le silence de la lumière. Elle a là toutes ses splendeurs et toutes ses finesses, toutes ses joies et toutes ses mélancolies. Elle y joue ses jeux les plus délicats et les plus éclatants. Le ciel de Venise trouve dans la Lagune son écho lumineux, son miroir liquide. Il y reflète ses matins et ses midis ; il la glace de ses clairs de lune et la paillette de ses étoiles. Parfois il lui confie un de ces magnifiques nuages gonflés et cornus comme un bonnet de Doge. Il l’empourpre des trésors dorés de ses couchants, tend sur elle les voiles de ses crépuscules. La Lagune lui obéit, taciturne et fidèle. Elle entoure Venise de sa vigilante présence ; elle en préserve la beauté et, sur sa nappe transparente, elle l’offre aux yeux comme une merveilleuse corbeille tressée par le Génie de la Terre er par l’Esprit des Eaux.
Rien n’est plus émouvant et plus beau que de voir, du fond de la Lagune morte, le soir tomber sur Venise. Les braises du couchant éteintes, toutes les couleurs s’apaisent en une cendre aérienne qui les atténue et peu à peu les confond et les efface. Au loin Venise surgit, indécise et pourtant réelle. Aucun bruit que celui des rames. p 34-35
Matin
T’es - tu déjà réveillé ,
Juste entre la nuit et le jour?
Entre la fin de la nuit
Et le début du jour?
A l’orée de l’aurore , sur le bord fin de l’aube.
Tu vois ?
Après les derniers rayons de lune
Et avant ,
Juste avant
Les premiers rayons de soleil .
Ce n’est pas le jour.
Ce n’est pas la nuit .
C’est autre chose :
Les loups se couchent
Comme des peaux de chèvre
Et Monsieur Seguin embrasse de sa bouche
Madame Seguin sur les lèvres » ..
Je les connais trop, ces heures où l'âme vide s'affole et se désespère, où la volonté patauge en des marais de navrement, où l'on va, désespéré et sans courage, où des choses indifférentes vous affligent, cet état de sensibilité douloureuse et inquiète, où même les événements politiques attristent.
Et, pour sortir de là, rien.
L’heure
L’invariable buis et le cyprès constant
Bordent l’allée égale et le parterre où songe
Dans le bassin carré l’eau qui reflète et ronge
Un Triton fatigué de sa conque qu’il tend ;
En sa gaîne de pierre aussi l’hermès attend
Que tourne autour de lui son socle qui s’allonge ;
Un Pégase cabré, le pied pris dans sa longe,
Lève un sabot de bronze et gonfle un crin flottant.
L’heure est longue pour ceux qui, figés en statues,
Vol brisé, saut captif, dont les voix se sont tues,
Demeurent au jardin vaste et monumental ;
Et le Temps qui s’en va, hibou noir ou colombe,
Dessine au vieux cadran de pierre et de métal
Une aile d’ombre oblique où fuit le jour qui tombe.