Redoutés, mystérieux, les Tondeurs obéissaient à un chef plus redouté, plus mystérieux encore. Personne ne le connaissait, mais tout le monde l'avait vu, ou le prétendait. Seulement, pour les uns c'était un géant, Magog ; pour les autres un nain, un Poulpiquet ; pour tous c'était un fils de Satan, sinon Satan lui-même. Pour tous ? Non. Il y avait les sages, les esprits forts qui ne voulaient voir en lui qu'un possédé du démon. Sur le nombre et l'énormité de ses crimes, l'accord d'ailleurs était parfait. Aucune monstruosité dont il ne se fût rendu coupable. Il exerçait sur les femmes une fascination irrésistible ; il était maître absolu des hommes. On le trouvait en vingt places différentes à la même heure, et nulle part. Ce don d'ubiquité il l'avait communiqué à ses gens. Vous pouviez être sûrs de les rencontrer là où vous ne les attendiez pas ; et là où vous les cherchiez, ils n'étaient jamais.
Ils sont farouches, ils sont sauvages, quand la passion les enflamme, nos Bretons ! Dans leurs rixes, dans leurs jeux, gare au Pen-Bas ! cette arme nationale autrement redoutable que le sabre, la baïonnette ou même la crosse de fusil ! Je vous laisse à penser s'il eut un rôle capital à cette époque de discorde. Le sang coula à torrents, et, sur les monceaux de cadavres entassés par le fanatisme, dans toute la vieille Armorique, on vit germer des hordes de bandits qui, prenant diverses dénominations, plus effroyables les unes que les autres, achevèrent de saccager le pays, d'y répandre la terreur avec la désolation.
Ces malfaiteurs étaient connus du peuple sous le nom générique de Soudards.
Brillants ou assoupis, ses regards avaient des charmes irrésistibles, rehaussés encore par une bouche espiègle, humide, vivement carminée, dont les séductions ne sauraient se dire. Au nez agréable, des ailes mobiles, voluptueuses ; au menton grassouillet, d'un contour harmonieux, une fossette, vrai nid d'amour, tout cela couronné par un front étroit, il est vrai, opiniâtre, mais qu'encadrait une chevelure noire, à reflets bleuâtres, si épaisse, si soyeuse ! et tout cela posé sur un col d'une adorable pureté de lignes, auquel venaient se nouer des épaules déjà riches malgré l'âge encore tendre de Constance.
Le soleil brille dans toute sa glorieuse splendeur ; le ciel est pur, d'une sérénité parfaite ; pas un nuage léger, cotonneux, pas une tache ne trouble son éblouissant azur ; la transparence de l'atmosphère ne saurait être surpassée que par son incroyable sonorité ; calme, immobile, l'air semble comme arrêté dans l'espace ; jamais les heureuses contrées napolitaines n'offrirent au regard enchanté des régions éthérées plus brillantes ; jamais Olympe plus souriant n'inspira la Muse antique ; jamais d'une main plus délicate, plus caressante, l'Aurore aux doigts de rose n'ouvrit les portes de l'Orient.
Constance et lui se rencontrèrent. Ils eurent désir l'un de l'autre. Chez la jeune fille, ce fut moins de l'amour peut-être qu'un vif sentiment, une attraction de sympathie. Chez lui, le vainqueur, le blasé, ce fut le besoin d'une sensation nouvelle, mêlé à je ne sais quel entraînement magnétique vers la mignonne et frêle créature.
Si Constance l'eût aimé de cet amour, tout flammes, tout brûlant, dont son coeur était le foyer, nul doute qu'elle ne se fût, sans qu'un voile de pudeur gazât son front, donnée à lui. Entre la contrainte et la satisfaction d'un appétit, Constance n'eût pas balancé.
Il m'a fallu essuyer bien des déboires, bien des rebuffades. Enfin, grâce en soit rendue à votre généreuse initiative, messire, grâce aussi à la bonté de monseigneur Philippe Chabot, grand amiral de France, je possède aujourd'hui les lettres patentes qui m'autorisent à «voyager et aller aux Terres-Neuves, passer le détroit de la baie des Châteaux, avec deux navires équipés de soixante compagnons pour l'an présent.»
Cette jeune fille pouvait avoir seize ans. Elle était belle d'une beauté singulière, captivante, fascinatrice. Rien de régulier dans ses traits, mais beaucoup de provocation, beaucoup d'appels à la sensualité. L'oeil fauve, très-fin, plein d'éclairs, mais sachant modérer ses feux, les atténuer et se voiler tout à fait, sous de chastes paupières, frangées de ces longs cils que l'on voit aux tableaux des madones.
Ces îles sont de meilleure terre que nous eussions oncques vues, pleines de grands arbres, prairies, froment sauvage, pois qui étaient fleuris et semblaient avoir été semés par des laboureurs. L'on y voyait aussi des raisins ayant la fleur blanche dessus, des fraises rose incarnat, persil et autres herbes de bonne et forte odeur.
Arrête ! mignonne ! arrête ! Entends-tu comme la mer gronde, comme le vent se lamente au dehors ?... Où irais-tu ? Non, ruste, reste ici. Je veux te faire belle, moi ; plus belle que tu n'as jamais été, que tu ne seras jamais !