Il comprenait maintenant ce que l'accident de Mark avait dû être pour Margaret : non pas une interruption soudaine et catastrophique mais plutôt une autre de ces terribles soustractions. Son enfance, son bonheur, son esprit et maintenant son corps lui avaient été arrachés morceau par morceau, comme par des bêtes s'acharnant sur une carcasse ; il ne lui restait plus à elle qu'à le recoudre de son mieux, avec une ficelle, une grosse aiguille et sa tristesse attentionnée. (Page 129)
C'est décourageant de se rendre compte qu'une forme d'inattention respectueuse ne suffit pas. Que le simple fait de maintenir les choses en l'état requiert un travail ardu, tout comme une pelouse a besoin d'être tondue ou un corps nourri. Quel effort incessant pour maintenir le monde debout. (page 40)
Dans ce minuscule cadre inversé, quelque chose vacilla. La fille se redressa brusquement et Stan suivit son regard.
Sekhmet était là.
Au centre de l'espace, de profil, sa grande tête baissée, elle se tourna vers eux. Ses yeux étaient deux lunes jumelles. C'était la première fois qu'il la voyait comme cela. Son corps entier, tout entier, sortie de l'ombre, proche.
La lionne était encore plus grande que ce qu'il avait compris : sa tête devait lui arriver au menton. Son corps était très musclé, en forme de tonneau. Des yeux pâles comme sa fourrure - déchirée et cicatrisée par endroits comme la peau d'un boxeur professionnel mais soyeuse dans le soleil matinal. La chair compacte sous la peau tendue. Un museau long, de brute, légèrement barbu. L'arche du nez, convexe et large, se terminait par un coussinet d'un surprenant rose de fleur, comme celui d'un petit chat, les courbes des narines rehaussées de noir. Tourbillon de fourrure au-dessus de chaque oeil ; larmes noires coulant aux coins intérieures ; lèvres noires ; la queue noire jusqu'au bout. (page 135)
Mossie. Quelque chose d'incomplet, de fuyant, d'inachevé. Elle le dérangeait comme un fil qui dépasse et qu'on éprouve le besoin de couper. Une pile de papiers de travers qui supplie qu'on la redresse. Une petite chose en désordre. (page 193)