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Critiques de Henry Miller (261)
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Lire aux cabinets

Il était une fois une toute jeune fille qui vouait une grande passion aux livres et à la lecture.

Un jour, elle accompagna ses parents chez des gens de leur connaissance, chez qui ils étaient invités. Dans la soirée, alors qu’elle se rendait aux toilettes, qu’elle ne fut pas sa surprise en poussant la porte du «petit coin », de découvrir la pièce tapissée de livres ! Les deux pans de mur à droite et à gauche du « siège », et derrière la porte où des étagères étaient fixées, du sol au plafond, en rangs serrés, des centaines de livres avaient pris possession de ce secteur de l’appartement. Et tandis que ses yeux subjugués détaillaient les rayonnages, son premier avis, instinctif, irréfléchi, fut de trouver cela formidable ! Assise sur « le trône », presque intimidée, elle déchiffrait des titres, caressait la tranche des ouvrages, parcourait les étagères. C’étaient pour la plupart des romans policiers en collection de poche, des thrillers et des séries noires : James Adley Chase, Stephen King, Exbrayat, Agatha Christie…

« Quand même » se disait-elle, « c’est étrange de trouver tous ces livres dans les lieux d’aisance ? Faut-il vraiment que ces gens les aiment pour faire en sorte qu’ils ne les quittent pas, même en ces lieux insolites ? Et peut-on décemment lire dans un endroit dévolu aux basses besognes, aux nécessités les plus ordinaires, aux besoins les plus grossiers du corps ? Tout ceci ne participe-t-il pas uniquement d’une décision de rangement, d’un gain de place ? »

A côté du rouleau hygiénique et de la brosse à récurer, un polar marqué d’un signet, venait détruire la thèse du simple agencement pratique et confirmait l’habitude singulière des maîtres de céans de bouquiner dans les sanitaires…

Pour sa part, elle n’avait jamais conçu l’idée ni éprouvé le besoin de lire aux cabinets. Ainsi, les questions surgissaient :

Elle-même, aimerait-elle que ses chers compagnons, ses amis de toujours, se partagent la place entre un rouleau de papier toilette et une bombe désodorisante ? Cette pensée lui semblait déplacée, inconvenante, presque grossière. Il lui semblait même qu’il y avait dans cette pratique de lire aux toilettes quelque chose de totalement offensant à l’égard de la littérature, que cela dénaturait une discipline, qui, selon elle, aurait dû être glorifiée et non pas dégradée ou altérée dans les déjections des corps.

Les auteurs qui lui étaient si chers, aimeraient-ils voir leurs noms régner dans l’intimité douteuse de cette salle du trône si particulière ? Apprécieraient-ils que leurs œuvres soient quotidiennement soumises aux tirages de la chasse d’eau plutôt qu’à ceux de l’impression ?

Il y avait quelque chose de fondamentalement délirant dans cette pièce minuscule transformée en bibliothèque, mais aussi quelque chose de profondément triste et affligeant à la pensée de ces milliers de mots, d’histoires, de récits qui s’égaraient parmi les produits détergents et les Canard WC.

En sortant des toilettes ce jour-là, la jeune fille se fit la promesse de ne jamais s’adjoindre la présence d’un livre dans l’espace réservé aux seules exigences organiques.

Des années plus tard, elle découvrit le petit opus d’Henry Miller « Lire aux cabinets ». Elle s’empressa d’en faire l’acquisition afin de connaître l’avis d’un écrivain sur ce sujet ô combien métaphysique (…), et en souvenir de ce drôle de moment qui avait provoqué en elle cet ahurissement consterné.



Grotesque, ridicule, fou…Force est de constater que le grand écrivain américain ne voit pas d’un bon œil la pratique de lire aux cabinets !

Ce petit essai, qui constitue en réalité le treizième chapitre des « Livres de ma vie » - recueil autobiographique paru en 1952 - est un pamphlet grinçant qui va bien au-delà du questionnement sur la lecture aux toilettes pour couvrir plus largement nos modes actuels de fonctionnement et les travers peu reluisants de nous autres, pauvres humains… L’auteur soulève un problème contemporain de nos sociétés occidentales, à savoir l’absurde nécessité de combler le temps coûte que coûte et profiter au mieux de ces heures qui s’égrènent inéluctablement. A la crainte de « perdre son temps », il semble que s’est également développée une peur-panique du silence, et plus généralement l’appréhension de se retrouver seul avec soi-même. Les raisons invoquées de lecture sur le siège (manque de temps, futilité des œuvres emmenées aux toilettes, volonté de suivre l’actualité) ne sont que fausses justifications ne servant qu’à masquer un mal endémique relativement récent mais foncièrement récurrent : le vide cérébral qui ronge nos neurones comme l’eau de javel les bactéries sur la faïence des W.C…Regarder défiler des images sur un écran, combler le silence par des voix émises sur mégahertz, compulser des revues dans les toilettes ou s’abîmer dans des actions futiles, participe en définitive du même processus d’abrutissement, celui d’occulter notre pouvoir de réflexion, d’introspection et de méditation.

Le ton sarcastique d’Henry Miller fait mouche. L’auteur ne cache pas son mépris pour une pratique qu’il juge aussi inutile que pathologique. Toutefois, le mélange un peu désordonné entre confidences, évocation de souvenirs personnels, réflexions philosophiques et anecdotes facétieuses, dans une ambiance un peu décousue et négligente, crée une légère dissension d’avec le sujet, clairsemé dans des divagations pas toujours essentielles sur les mères de famille, sur Dieu, sur les extra-terrestres…

C’est un peu ce que nous reprocherons à ce court texte d’Henry Miller qui s’oublie parfois dans un « système d’évacuation » narratif incontinent…Mais que cela soit dit, jamais nous ne le lirions pour autant aux cabinets !!

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Tropique du Cancer

Ah Henry Miller ! Il y a 6 mois je ne connaissais pas cet auteur et je viens maintenant de terminer le deuxième ouvrage issu de sa plume. Comment j’en suis arrivé là ? Une collègue (prof de français, elle a quand même un moment dans sa vie posé ses fesses dans une fac de lettre) me l’a conseillé. Elle m’a dit, textuellement « tu aimes Zola ? Alors, tu aimeras Miller »



Ce postulat posé, je dois vous avouer que je n’ai vu aucun rapport entre ces deux auteurs. Si je devais classer Miller, je le ferais parmi les inclassables justement ! "Tropique du Cancer" n’est pas vraiment un roman… encore que. Ce n’est pas non plus à proprement parler un essai philosophique… encore que. Ce n’est pas 100 % autobiographique… encore que.



Dans cet ouvrage, Miller nous parle de ses années en France principalement à Paris. Ses errances, ses galères, son rapport à la femme (qui en dehors de son véritable amour dont il parle peu consiste à « lever des poules » et fréquenter des prostituées… souvent payées par ses potes, car il n’a pas les moyens), sa vision du monde, ses beuveries, ses petits boulots… Il s’avère être un personnage adorable (et il aurait sûrement haï qu’on dise cela de lui) et détestable à la fois. Il peut être un odieux con misogyne, et une personne empreinte d’une profonde humanité.



Il donne l’impression de s’en foutre de tout, rien ne compte, rien n’est grave. Du moment qu’il trouve à manger tout va bien, et il sait y faire ! Il sait être copain avec les bonnes personnes qui vont le régaler, il nous livre ses petits trucs pour « taper » les copains. Quand c’est son tour d’avoir de l’argent en poche, il régale. Le lendemain ? Connaît pas !



Soyons honnêtes, le lire est parfois ardu. De premier abord cela peut même être rebutant. J’ai d’ailleurs préféré "Tropique du Cancer" à "Tropique du Capricorne". Réponse de ma collègue (encore elle !) : « c’est parce qu’entre-temps tu t’es habitué au style ».



Parlons-en de son style ! Quelle plume ! Quelle écriture ! On dirait qu’il écrit sans effort (et c’est ce qu’il veut nous faire croire), que les mots arrivent comme ça, directement de ses pensées au papier. C’est parfois fouillis, parfois dense, mais c’est chaque fois magnifique !

Quand vous fermez du Miller, vous ressentirez diverses sensations : de la fierté d’être arrivé au bout, de la frustration de n’être pas sûr d’avoir tout compris, du soulagement et l’envie de lire quelque chose de plus simple doublé d’une furieuse envie de relire du Miller parce qu’à mon sens, une fois que l’on a découvert ce style, on a envie d’en reprendre une bonne tranche.



Henry Miller c’est un peu comme de la picole : on sait qu’on risque d’avoir mal au crâne, mais bon Dieu quelle euphorie quand on est plongé dedans !

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Tropique du Cancer

Il faut le suivre Henry Miller, dans ses pérégrinations, ses errances, dans ses réflexions personnelles, dans ces délires et ses hallucinations. Il a un regard acerbe ce correcteur orthographique, cet écrivain en recherche d'un sens à tout ce chaos de la vie Parisienne de la fin des années vingt. Entre des rues de la capitale, il oscille entre rêve et réalité, entre la faim tenace qui ne le quitte jamais et la quête de conquêtes monnayables.

La nécessite de la survie le traine de toute part, les rencontres sont inévitables, les personnages improbables; sont ils des artistes où sont-ils tous juste fous (haha!)?



La lecture est déroutante, elle demande un lâché prise, mais quelle écriture! Il m'a fallut quelques dizaines de pages pour le comprendre, sans cela mon aventure avec Henry Miller se serait arrêtée là. Il faut juste se laisser porter et accepter de ne pas tout saisir dans le flux qui semble sortir de lui comme un intarissable ruissellement. Il est probable que de nombreux passages soient bruts, non retravaillés, ce qui donne en partie à l'ouvrage le charme de la pensée instantanée, de la parole sans la censure. L'effort en vaut la chandelle.
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Les livres de ma vie

Une grande découverte, combien « nourrissante » qui bouscule toutes les images réductrices du « Miller sulfureux »… qui ouvre en grand, toutes les vannes de ses curiosités, de ses boulimies. Son éditeur français, Gallimard, avait fait à Henry Miller, en quelque sorte, la commande d’un texte où il relatait les auteurs, livres qui avaient été décisifs dans son parcours de lecteur et d’écrivain. Henry Miller, lui-même, s’étonne de s’être laissé « capturer », envahir par ce projet. Croyant qu’il ne sortirait de ce projet qu’une simple plaquette, il se rend très vite compte de l’ampleur du sujet , et des multitudes de lectures marquantes qui lui reviennent en mémoire, au fur et à mesure !

Un très beau livre qui mène chaque lecteur à ses livres, ses auteurs. J’ai déjà exprimé mon attirance pour ces ouvrages d’écrivains-lecteurs passionnés qui transmettent si bien leurs élans et leurs enthousiasmes…que ces textes induisent une chaîne extraordinaire de « familles littéraires et de pensée » … comme la « chaîne Babéliote !!



Je laisse la parole à Henry Miller :



« Lettre à Pierre Lesdain (ami, grand lecteur et critique)-



(….) comme je vous l’ai peut-être expliqué déjà, la raison qui me maintient en perpétuel état d’ébullition, c’est que je relis des livres, les livres que je préfère. Tout me nourrit, tout me stimule. Mon intention première était d’écrire une mince plaquette ; il semble maintenant que ce sera un gros volume. Chaque jour, je note sur mon calepin de nouveaux titres qui me reviennent à la mémoire. C’est le côté passionnant de mon entreprise, cette exhumation des insondables profondeurs de la mémoire de quelques nouveaux titres chaque jour. Il faut parfois deux ou trois jours à un livre dont j’ai le nom sur les lèvres pour s’annoncer complètement : auteur, titre, date et lieu de publication. Une fois qu’il est « fixé » dans ma mémoire, toute sorte d’associations d’idées affluent et des domaines oubliés de mon brumeux passé se trouvent ainsi révélés » (p.257)



Une vraie mine d’or pour tous les lecteurs « boulimiques », et curieux de l’œuvre, du cheminement intellectuel de cet auteur.



Une autre qualité de ce livre de « lectures » est l’authenticité de Miller, qui se moque de l’opinion publique, comme des modes du moment, il défend, s’enflamme pour les artistes les plus différents et atypiques….qui l’amènent à une réflexion élargie sur l’Homme...



Pour lui, la littérature et la philosophie sont inséparables, comme la création artistique est l’un des questionnements essentiels pour l’individu



« Et puis, quand que je me dis que je suis devenu un travailleur qualifié, quand je crois que je connais mon métier, que je peux donner satisfaction, quand je finis même par me résigner à ce que l'on recule l'échéance où l'on me paiera "mes honoraires", je me trouve nez à nez avec ce terrible croquemitaine: le goût du public. J'ai dit, vous vous en souvenez, que si Whitman avait capitulé sur ce point, s'il avait suivi les avis de ses conseillers, c'est un tout autre édifice qu'on aurait vu s'élever. Il y a des amis, des supporters, qui apparaissent quand vous nagez dans la foule; il y en a d'autres qui viennent à vous quand vous êtes menacé. Ces derniers sont les seuls qui méritent le nom d'amis. (p.320) «



Henry Miller s’intéresse à tout, à la littérature, à la poésie, à la philosophie, aux voyages, à l’histoire des religions, à l’alchimie, à la spiritualité ; il narre ses admirations pour Blaise Cendrars, Jean Giono, Haggard, le poète, Whitman, le théâtre, etc. mais je vais cesser là, car la liste de ses passions est trop longue…. Un chapitre également captivant sur Krishnamurti, que je méconnais...



Un livre généreux d’un lecteur vorace… pour qui le bonheur est de partager avec le maximum de complices ses enthousiasmes et convictions papivores. Il est difficile de choisir des extraits, tant il y a des éléments épatants et communicatifs… je me résous à en retranscrire quelques-uns , dont le suivant que je fais « mien » :



« Les livres sont une des rares choses que les hommes chérissent vraiment. et

les esprits les plus nobles sont ceux-là aussi qui se séparent le plus facilement de leurs plus chères possessions. Un livre qui traîne sur un rayon, c'est autant de minutions perdues. Prêtez et empruntez tant que vous pourrez, aussi bien livres qu'argent ! mais surtout les livres, car ils représentent infiniment plus que l'argent. Un livre n'est pas seulement un ami, il vous aide à en acquérir de nouveaux. Quand vous vous êtes nourri l'esprit et l'âme d'un livre, vous vous êtes enrichi. Mais vous l'êtes trois fois plus quand vous le transmettez ensuite à autrui. (p.28)



On peut le lire d’un bloc… mais le plus plaisant est de le savourer, le lire, relire, piocher, selon son humeur…du jour. Un grand livre… que j’ai ajouté à ma petite valise… pour l’île déserte !!







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Tropique du Cancer

Tropique du Cancer appartient à cette catégorie de livre dont je connaissais tout à fait le nom et la renommée... mais pas du tout le sujet ! Au vu du titre, et parce que je pense que je savais aussi qu'il s'agissait d'un auteur américain, je m'imaginais confusément un récit à la Conrad, sur une île tropicale remplie de moustiques...



Pour ceux qui en seraient au même niveau que moi à l'époque, n'attendez pas trop d'exotisme ici, si ce n'est celui d'un Américain à Paris. Ce que nous offre Miller, c'est une autobiographie volontairement choquante, mélange assez jouissif, patchwork qui vous fait passer par tous les sentiments. Il reste choquant à notre époque, surtout finalement par une misogynie assumée qui devait sembler beaucoup plus naturelle à l'époque. A son époque, c'est plutôt certaines scènes sexuelles décrites de façon très crues qui ont pu justifier des actions en justice pour obscénité à sa sortie aux Etats-Unis, en 1961.... plus de 25 ans après sa sortie en France pourtant.



Le grand talent de l'auteur se révèle notamment dans des envolées surréalistes oniriques où des pépites surgissent du fouillis habituel de ce genre. Des passages philosophico-désabusés sur l'humanité, le rôle des artistes, la religion sont extraordinairement profonds. L'alternance avec des scènes du quotidien d'artistes débauchés à Paris, ressemblant parfois aux personnages d'un certain Steinbeck dans son Tortilla Flat par exemple. Ils sont le plus souvent pitoyables avec les airs de grandeur qu'ils cherchent à se donner dans leur misère ou leurs débauches.



Quand on commence sa lecture, on se dit d'abord "Mais où donc suis-je tombé ?". L'auteur semble rechercher un lecteur courageux, persévérant, et il ne lui offre réellement le coeur de son récit qu'après avoir tenté de le perdre dans ses élucubrations. Mais j'ai eu l'étrange impression que la profondeur du propos n'était possible que grâce à une certaine futilité de l'enrobage. Les transitions entre les sujets sont subtiles et certaines constructions stylistiques sont tout simplement géniales. A titre d'exemple, l'auteur ironise d'abord sur les concerts de musique classique, lieu parfait de l'ennui mondain, auto-torture que s'imposent des gens qui n'y comprennent rien... avant de faire s'envoler ses phrases avec la musique quand il est lui-même transporté, comme à son corps défendant.



Le livre regorge de moments comme celui-là, comme une montagne russe littéraire, où les descentes ne sont grisantes que parce que les montées auront été d'autant plus lentes et raides.Le voyage que propose Miller ne conviendra sans doute pas à tout le monde, mais j'y ai trouvé ce que je viens régulièrement chercher en littérature: l'étonnement, le trouble et l'admiration devant le talent.
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La crucifixion en rose, tome 1 : Sexus

La Crucifixion en Rose (tout rapprochement à faire avec le concept de Téléphone Rose serait fortuit…) est une œuvre de grande envergure qui s’ouvre avec un premier volume intitulé Sexus (ici encore, le titre est explicite). Cette trilogie prétend être la somme de l’existence de Henry Miller. En réalité, on comprendra qu’il ne s’agit que d’une somme sélective, bien loin de rappeler tous les évènements de la vie de l’écrivain. Les morceaux mis en premier plan sont surtout ceux qui permettent au livre de mériter son titre.



Ainsi, les premières pages nous présentent un Henry Miller qui ne semble pas être du premier âge –en tout cas pas pour un homme qui prétend écrire le récit complet de son existence. L’écrivain n’est encore qu’un écrivaillon, certes, mais il est déjà marié à Maude –une femme qu’il s’empressera de tromper sitôt nommée dans les pages du livre- et père de plusieurs enfants –qui ne seront évoqués qu’à une ou deux reprises, lorsqu’ils apparaîtront comme des empêcheurs de baiser en rond. Existence monotone dont les origines ne méritent pas d’être évoquées ? Henry Miller marque le début de sa véritable existence avec la rencontre de Mara, une jeune femme simple, complètement insouciante et volage –bien loin de l’hystérique Maude qui, entre pudibonderie et nymphomanie, incarne aux yeux de Miller le prototype de la femme dégénérée. Pourtant, il y reviendra, partagé entre le dégoût et le désir insatiable de se fourrer dans tout ce qui possède des attributs féminins. D’ailleurs, Miller ne se contente ni de Maude, ni de Mara, aussi satisfaisantes que puissent (parfois) être l’une ou l’autre. Rappelons qu’il convient d’honorer le titre du livre… Cinq pages ne s’écoulent pas sans que Henry Miller ne soit assailli par des pensées, des pulsions ou des envies qui lui fassent aussitôt dresser le mât. Lorsqu’il passe à l’acte, il se fait plaisir, aussi bien dans l’acte physique en lui-même que dans les souvenirs qu’il en conserve et qu’il retranscrit par la suite dans de longues pages regorgeant de précisions sensitives. Certains passages sont crus, mais parviennent mal à dissimuler la joie fanfaronne ressentie par Miller à l’idée de se répandre dans une écriture sciemment provocante. Ce côté narquois est parfois agaçant mais Miller est irréprochable : il réussit à représenter la réalité des relations sexuelles dans ce qu’elles ont de plus terre-à-terre, que cela soit plaisant pour lui-même et le lecteur ou non.





« Quand je revins au supplice, j’avais l’impression que ma pine était faite de vieux bouts d’élastique. Tous mes nerfs étaient morts, à cette extrémité ; c’était comme si j’avais enfoncé un morceau de suif raide dans un tuyau d’écoulement. Par-dessus le marché, la batterie était complètement à plat ; s’il devait arriver quelque chose, cela relèverait de la noix de galle, de la teigne, de la goutte de pus dans une solution d’émincé de cancoyote. Ce qui m’étonnait, c’est que ça continuait à se tenir levé comme un marteau ; ça avait perdu toute apparence d’outil sexuel ; ça vous avait un air écœurant de machin-truc bon marché droit sorti du prisunic, de fragment d’engin de pêche brillamment coloré…moins l’appât. Et sur ce machin-truc, éclatant et glissant, Mara se tortillait comme une anguille. »





En refusant toute complaisance dans la description des relations qui unissent plus généralement les hommes –en dehors du seul cadre des relations sexuelles-, Sexus apparaît comme un livre qui sonne juste, loin de toute naïveté hallucinée. Publié pour la première fois en 1949, on sent que cette mise à mal de toutes les conventionalités qui régissent habituellement les rapports humains permet également de justifier l’attrait évident que Miller ressent pour l’esprit d’émancipation qui commence à bourgeonner au milieu du siècle passé. En cherchant à revendiquer l’expression libérée et totale de son être, Miller en vient paradoxalement à perdre toute singularité, devenant seulement un des étendards de l’opposition aux normes de son époque. Son comportement, à présent, pourrait être rapproché de la bannière trop connue du « Sexe, drogue et rock’n’roll ». On ne peut pas reprocher à Miller d’avoir anticipé le succès de masse de ce mode de pensée ; il n’empêche, il avait vu faux en pensant qu’il suffirait à lui seul à permettre l’épanouissement des « rejetés de la société bien-pensante ».







Sexus redevient singulier lorsque, entre deux parties de jambes en l’air avec l’une ou l’autre des femelles de son entourage, et une bravade adressée à l’ordre établi (maudit soient le travail et la famille, destructeur de la pure innocence de mon âme préservée !), Miller s’interroge sur son obsession des mots et de l’écriture. Les questions ne sont pas nouvelles : qu’est-ce qui nous pousse à écrire ? quelle absence, quel manque cherchons-nous à pallier à travers l’utilisation des mots ? Les réponses apportées par Miller semblent être le fruit d’une longue maturation. C’est à ce moment-là où l’écrivain se retire de l’action frénétique –sorte de réaction de terreur dans laquelle on le sent obligé de prouver au lecteur qu’il est bien cet homme émancipé qu’il rêve d’être- qu’on sent enfin émerger une individualité à part entière, faite de réflexions et d’expériences singulières. Enrichis de ces passages qui nous permettent de prendre conscience que Miller ne se dupe pas quant à son art, on apprécie alors à leur juste valeur les moments au cours desquels la prose de l’écrivain s’emballe dans des descriptions burlesques et sordides. On n’est jamais loin de l’émerveillement, tant les images que convoque Miller interpellent l’imaginaire du lecteur.





« Nous étions maintenant allongés au creux d’une dune de sable suppurante, à côté d’un lit d’herbes puantes et onduleuses, au bord sous le vent d’une route macadamisée, sur laquelle les émissaires d’un siècle de progrès et de lumières roulaient, dans ce fracas familier et sédatif dont s’accompagne la plane locomotion de ferblanteries à cracher et péter, étroitement tricotées à coups d’aiguilles en acier. Le soleil se couchait à l’Ouest comme d’habitude, dans le dégoût cependant, et non dans la splendeur et le rayonnement –pareil à une omelette somptueuse noyée dans des nuées de morve et de glaires catarrheux. C’était le décor idéal pour scène d’amour, tel qu’on le vend ou le loue dans les drugstores, relié cartonné, bonne petite édition de poche. »





En 668 pages, l’écrivain évoque seulement un tiers de ce qu’il juge convenable d’appeler son « existence ». Cette densité tient aux détails et aux anecdotes dont Miller se répand dans un souci d’hyperréalisme qui pousse au voyeurisme.



Plexus et Nexus se profilent à la suite de ce premier volume… Ce serait sans doute risqué de se jeter tout de suite dessus –risque de saturation. Il n’empêche, Henry Miller a réussi à susciter suffisamment d’intérêt pour nous donner envie de le retrouver dans les volumes suivants de la Crucifixion en rose, même s’il faudra sans doute attendre un certain temps afin que l’assimilation de ce premier volume se fasse dans son intégralité…


Lien : http://colimasson.over-blog...
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Lettres d'amour à Brenda Venus

"J'ai toujours soutenu que si la Vie est bonne, la Mort doit l'être aussi. Toutes deux sont des mystères, pas des désastres."



Dear, Dear Henry,



Oui oui je vous copie… :)

Une simple lettre, je dois rendre le livre, et me dois de consigner quelques mots pour garder précieusement ce souvenir.



Vous m'aviez subjuguée avec votre vision du monde dans Tropique du Cancer et j'avais aimé me promener à pieds dans les rues parisiennes en votre compagnie le temps d'une lecture. Alors ce recueil de lettres issu des dernières années d'une vie bien remplie, de mots et d'amour -de dèche aussi- était un autre moyen de vous suivre, pas à pas.



Bien sûr j'étais gênée par le côté voyeur mais je fus ravie, la lecture terminée, de ne pas avoir été troublée par cet aspect qui ne se ressent pas du tout. Ces lettres sont de vous, à destination d'une poupée aussi belle que vous la souhaitiez et pour autant n'ont rien d'impudiques. Vous rêviez d'elle et le lui écriviez, qui n'aurait pas aimé les recevoir ces mots d'amour, de sexe et qui ne sont que la vie. Mais vous avez été un "amant tout dévoué et légèrement délirant" et plus que tout un "amant rêveur".



Elles sont vous, tout votre être et votre âme en concentré. Alors lire vos derniers mots, vos derniers amours et votre dernier envol a été très émouvant. Parce que vous étiez un être libre avant tout. Vos dernières paroles écrites "Je peux écrire jusqu'à la mort. Pas mal quoi ! Non pas mal du tout, mon vieux !" et oui en français dans le texte et traduites dans la foulée par vous-même en anglais. Preuve de votre double culture et de vos multiples amours et d'un splendide pied de nez à la mort. Une écriture ronde, aérée, belle et dynamique. Mais je ne suis pas graphologue et surtout pas objective.



Quel pygmalion vous avez dû être pour elle. Et comme une copieuse, j'ai emplie ma bibliothèque de certains de vos conseils. Je vous dirai si je les aime également… plus tard.



Ces lettres parlent de vous, avec des retours sur des années passées (Hoki, Anaïs et d'autres) avec du recul et de la lucidité (la vie de misère, le presque Nobel, votre famille, vos années d'enfance "Dans mon souvenir, cette période surpasse (même aujourd'hui) toutes les autres. Peut-être parce qu'alors tout était neuf"… ).



Vous utilisez la formule "Régal cosmique" à propos du livre de Giono, Le chant du monde. Voilà ce que j'aime, des formules qui m'emportent, me piquent la curiosité. Mais il n'y pas que des lettres, il y a trace aussi de votre pudeur lorsque Brenda vous questionne sur d'anciennes amours, et là vous lui écrivez non pas une lettre mais une petite pièce de théâtre. Bref, un esprit d'une vivacité incroyable.



Je terminerai en reprenant deux de vos formules (et c'est un tour de force que d'en avoir imaginé autant pour clore les lettres, très rare se retrouve le "H. M." ou le "Henry", sec) :

- "Avec toujours plus d'amour, abjectement vôtre. Ca veut dire que je suis tout à toi."

- "Ton petit amoureux de trois ans !"

Et oui, quand on aime, on ne compte pas, M. Miller.

"Brenda chérie, Ton image, ton contact sont toujours en moi. C'est toi, toi, ça me fait vibrer, ça m'envoie en l'air."



"Après bien des lunes de silence

De nouveau une petite chanson

Pour ma bien-aimée Brenda

Chanson à la terre, aux étoiles et à la mer

Et d'autres lieux dont de bons qu'il faut taire

Bien qu'ils soient pleins de bonnes intentions

Tel cet endroit toujours fascinant

Entre les membres, le sein galbé

Comme la coque d'un transatlantique

(…)"

[A Brenda la Bien-Aimée]



C'est un beau recueil. Merci pour ce partage.



Amicalement,

Ambages



"Ce qu'il nous faut, ce n'est pas davantage de connaissances, mais de sagesse. Par quoi j'entends sagesse de la vie - comment survivre, et en tirer le maximum, sur cette foutue planète (cette foutue planète). Et ce gâchis, je pense, qu'il n'est pas l'œuvre d'un Créateur, mais de l'homme lui-même."







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Blaise Cendrars

Une découverte épatante en fouinant hier dans une de mes librairies parisiennes préférées, La librairie Tschann : la réédition par les éditions Fata Morgana d'un texte peu connu d'Henry Miller en hommage à l'un des ses écrivains préférés et profondément admirés: Blaise Cendrars.



J'ai dévoré ce texte incroyable en une nuit...prise par le tourbillon des mots de Miller. L'auteur sulfureux... que Blaise Cendrars viendra visiter pour le féliciter de son "Tropique du cancer"... est bien plus que cela pour Miller. Admiratif , épaté par le parcours aventureux de l'homme, de l'écrivain, sans omettre les talents de découvreur de Cendrars, au fil de sa vie, de ses fonctions de directeur des éditions de La Sirène , de ses talents de traducteur…Miller éprouve une dette de reconnaissance à tout jamais pour cet écrivain qui rejoint tout ce qui lui tient à cœur dans l’existence : « tu n’as nullement besoin de mon aide, ni de l’aide de quiconque, d’ailleurs. C’est toi, en vivant comme tu fais, qui automatiquement nous aides ; nous tous, partout où des hommes vivent leur vie. Une fois encore, je te tire mon chapeau (…) A la fin de chacune de tes lettres, tu me tends ta « main amie ». Je saisis cette main gauche, chaude et vigoureuse et je la serre avec joie, avec gratitude et à mes lèvres montent les mots d’une reconnaissance qui n’aura pas de fin « (p. 76-77)



Henry Miller à l’extrême mérite de faire découvrir « son » Cendrars, en dehors des chemins battus et des œuvres trop connues… il met l’accent sur deux textes qui lui paraissent primordiaux : « l’Homme foudroyé » et « Une nuit dans la forêt »…Il se sent remué, toujours bouleversé par la force de l’Homme , de son vécu extraordinaire, que Cendrars transfigure par « ses mots »…son style unique.

J’ai rarement lu un hommage littéraire pareil, hors du commun, bouleversant, nourri d’amitié et d’admiration sans bornes d’un homme de lettres à un autre écrivain ,qui représente la quintessence de son « modèle d’homme et d’artiste»… Comme si la figure de Cendrars avait accompagné comme un ange tutélaire l’existence de Henri Miller….. Les mots qui vont suivre montrent l’authenticité de cet hommage, largement lié « aux tripes »…et au parcours tumultueux de Cendrars…



« Aucun écrivain ne m’a jamais fait plus insigne honneur que mon cher Blaise Cendrars quand, peu après la publication du –tropique du Cancer-, il frappa un jour à ma porte et me tendit la main de l’amitié (…) il m’arriva, en lisant Cendrars- et la chose ne me ressemble guère- de poser son livre pour me tordre les mains de joie ou de désespoir, d’angoisse ou de fureur. (…) Cendrars m’a mis knock-out. Et pas une seule fois, mais des quantités de fois. Je ne suis pourtant pas de ceux qui tendent les fesses aux coups de botte ! Oui, mon cher Cendrars, tu as fait mieux que briser mes élans ; tu as stoppé pour moi le balancier du temps. Il m’a fallu des joies, des semaines, parfois des mois pour me remettre d’aplomb au sortir de mes bagarres avec toi » (p.40-41)



« Oui, Cendrars est un explorateur, un infatigable « découvreur » des mœurs et des actions humaines. Si il y réussit, c’est parce qu’il se plante résolument en plein centre de la vie, et prend sa part, et joue son rôle parmi ses congénères. Quel merveilleux et consciencieux analyste ! Et pourtant avec quel mépris il repousserait l’idée d’être appelé un « étudiant ès vie » (…)

..mais ce qui , en fin de compte, l’intéresse vraiment, c’est l’alchimie des relations humaines. A cette inlassable enquête sur les transmutations, il doit le talent de révéler les hommes à eux-mêmes et au monde, d’exalter leurs vertus et de les réconcilier avec leurs erreurs et leurs faiblesses, d’enrichir le respect que nous éprouvons pour tout ce qui appartient essentiellement à l’homme, d’accroître enfin notre amour et notre compréhension du monde. Cendrars est le type parfait du « reporter » parce que s’allient en lui les facultés du poète, du voyant et du prophète. Innovateur, initiateur, toujours prêt à rendre témoignage, il nous a appris à découvrir parmi nos contemporains les vrais pionniers, les vrais aventuriers, les vrais inventeurs. Je ne connais pas d’écrivain qui, plus que lui, ait su nous rendre cher « le bel aujourd’hui » (p.37-38)



C’est étrange et troublant… de constater combien certaines lectures arrivent à nous à un moment donné…et pas à un autre. Cendrars est un « Monument » de la Littérature… que je n’ai jamais osé aborder jusqu’à aujourd’hui: Pourquoi ? Comment ? Mystère… Je suis convaincue que notre vécu, notre sensibilité nous dictent inconsciemment le moment propice …pour vraiment « entendre » et « lire » avec toute la disponibilité requise tel ou tel texte, tel ou tel auteur… Pour ma part , il aura fallu un grand nombre d’années et ce texte insensé (dans le « sens » « passionné à l’excès ») de Miller, pour avoir le véritable élan vers les écrits de Cendrars



N.B/ ma note de lecture est déjà « abominablement bavarde »..J’ai omis de parler de la préface excellente de Frédéric Jacques Temple « Vivre d’abord »….

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Lire aux cabinets

Aux cabinets ? Chez nous, les cabinets sont plutôt ministériels, mais, à bien y penser, le parfum qui s’en dégage est peut-être le même…



Ce livre, un fascicule à petit prix, comprend en fait deux essais. Du premier, « Ils étaient vivants et ils m’ont parlé », je retiens l’idée que lorsque nous lisons un auteur, son livre lui redonne vie, il nous parle dans notre présent. Par exemple si je lis les recommandations de Sénèque sur l’utilisation du temps, pour moi, Sénèque devient vivant et il me parle. Le livre rend l’auteur vivant et proche de nous, peut-être même plus près que mes propres voisins !



Pour le deuxième texte, contrairement à ce que suggère le quatrième de couverture, Miller ne recommande pas de « lire aux cabinets ». Au contraire, il dénonce plutôt la situation des personnes qui vont y lire parce que c’est le seul endroit où elles peuvent bénéficier d’un peu d’intimité. Il ajoute même que ces instants privés devraient plutôt être consacrés à la réflexion, à se poser des questions sur le monde plutôt que d’être distraits par des lectures insipides.



Cet essai ne m’a pas vraiment accrochée, car je ne ressens pas du tout l’envie de me réfugier aux cabinets pour lire. J’ai même l’impression que de nos jours la solitude est davantage un problème que le manque d’intimité. Dès le jeune âge, les enfants ont souvent une chambre bien à eux pour lire et ne prennent pas l’habitude d’utiliser pour cela les cabinets.



Par contre, les réflexions de cet auteur américain offrent une occasion de s’interroger sur nos comportements de lecture. Sur Babelio, on partage sur ce qu’on lit, mais pas sur où, quand et comment on lit.



Pour ma part, je ne lis pas aux cabinets, mais obsédée par une lecture passionnante, je pourrais continuer à lire en me brossant les dents ou en brassant la soupe. (C’est plus difficile en lavant la vaisselle…) Un livre m’accompagne toujours dans les transports en commun ou les salles d’attente, mais mes préférences vont pour la chaise longue sur la terrasse, la baignoire emplie de mousse ou les oreillers moelleux de mon lit.



Et vous, lisez-vous aux cabinets ? Quels sont vos lieux de lecture préférés ?

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Virage à 80 - Insomnia

Je repense à ce livre en amorçant mon virage à 60, je ne suis pas un fou de la vitesse. Inutile d'avoir fait des hautes études de philosophie pour aborder ces cinq textes auxquels on peut reprocher leur côté assez pessimiste mais non dépourvu d'espoir.

Une réflexion éclectique riche écrite dans la dernière ligne droite, un retour d'expérience à lire et à relire...
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Tropique du Capricorne

« Enfant déjà, et ne manquant de rien, j'avais envie de la mort : j'avais envie de capituler n'ayant aucun sens de la lutte. J'avais la conviction que de poursuivre une existence que je n'avais pas sollicitée n'apporterait ni preuve ni substance, n'ajouterait ni n'ôterait rien à rien. Tous ceux que je voyais autour de moi n'étaient que des ratés, sinon des grotesques. Notamment ceux qui avaient réussi. Ceux-là, je les trouvais ennuyeux à pleurer. »



Il pousse le bouchon très loin, Henry, dans cette suite à Tropique du Cancer qui revient sur sa jeunesse américaine et ses années d'adulte antérieures à son départ pour l'Europe. Ce texte est tout aussi torrentiel, parfois même à la limite de l'intelligibilité, notamment par ses contradictions, ses excès et ses flamboyances.

Qui peut croire un instant qu'un homme aussi doué que lui pour profiter de la vie, sans une once de culpabilité envers autrui, puisse écrire qu'enfant la tentation d'en finir était là ?



Il ne cherche pas à plaire à qui que ce soit, c'est certain, mais le tableau qu'il dresse de lui je l'ai ressenti comme très exagéré, comme s'il faisait « chauffer la machine » pour partir dans les délires contradictoires de son ego surdimensionné.



C'est sûrement très « écrit », souvent trop à mon goût. Il y a bien sûr beaucoup de scènes de sexe, sa marque de fabrique, où il donne la pleine mesure de sa jubilation, que ce soit dans le torride ou le crapoteux. Je n'ai pas été gêné par les descriptions de ses ébats, ou de ceux de ses amis, mais quand ils sont associés, comme c'est le cas ici, à beaucoup de misogynie, de racisme et d'antisémitisme, ça m'a vraiment dérangé. Il y a notamment un passage où il compare les juifs de Brooklyn à des mites, qui est infect… Je n'en croyais pas mes yeux. Et franchement je n'oserais même pas le mettre en citation sur Babelio (il y est peut-être, je n'ai pas vérifié).



Pour un texte noté comme achevé en septembre 1938 à Paris, ça fait frémir. J'ai gardé un bon souvenir de « le colosse de Maroussi », de « Tropique du Cancer » pour son atmosphère française mais celui-ci, je le place en dessous. Et je ne suis plus aussi certain d'avoir envie de lire sa trilogie de « La crucifixion en rose ».

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Jours tranquilles à Brooklyn

3 nouvelles = 1 régal



J’adore sa lucidité, son humour et son amour des petites gens, j’adore son être amoureux, j’adore sa culture, sa plume, j’adore la poésie qui telle une perle de rosée se pose sur certaines de ses phrases, comme la poésie des enfants, sans faire de bruit, avec naturel et spontanéité.



Un côté visionnaire quand je relie cette phrase avec la diminution des zones réservées aux espèces sauvages … et oui Coronavirus :« L'homme civilisé s'est mis à l'abri de tout, sauf de ses propres impulsions, meurtrières et destructrices. »



Trois nouvelles commandées par Playboy qui les publie en 1978. Son enfance, un amour non réciproque (« L’inatteignable, j’aime ça ! » il en redemande toujours à 75 ans, il le sait pourtant que c’est un plan foireux, qu’elle n’aime pas, mais il est ferré, conscient mais amoureux de l’amour) et un constat : notre monde est fou !



Chacune des nouvelles est ainsi sous-titrée :



- « Jours tranquilles à Brooklyn », « les frasques et attrapes du grand romancier à l’âge des culottes courtes »



- « Insomnie », « L’amour peut aussi devenir un enfer quand on est seul la nuit et que l’espoir fuit avec le temps… »



- « Le pétard contre la bombe », « Selon l’auteur de Tropiques, le monde est un monumental fiasco, mais ont peut encore s’y amuser. »



Je signale que parfois cette page renvoie sur Russell Miller selon l’angle de recherche du livre. S’il y avait moyen de modifier ce rattachement erroné, d’avance merci.

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Virage à 80 - Insomnia

En poursuivant mes classements et tris de bibliothèque, je suis retombée sur ce petit volume de recueil de textes de H. Miller, dont ce "Virage à 80", publié en 1973, pour son 80e anniversaire. Il y clame son amour de la vie, comme dans cette profession de foi

"(...) si vous pouvez tomber amoureux sans relâche, si vous pouvez pardonner à vos parents le crime de vous avoir mis au monde, s'il vous est égal de ne pas savoir où va la vie, s'il vous suffit de prendre chaque jour comme il vient, si vous êtes capable de pardon aussi bien que d'oubli, si vous pouvez vous empêcher de tourner entièrement au vinaigre, à la hargne, à l'amertume et au cynisme, alors, mon gars, c'est plus qu'à moitié gagné" (p.10)



Cinq écrits dont je retiens plus particulièrement "Virage à 80", "Préface à "L'Ange est mon filigrane" où l'écrivain narre sa passion et ses rapports à la peinture, et le texte le plus important , que je préfère, "réflexions sur la mort de Mishima" où Miller s'adresse par flashs, directement à l'auteur japonais, en l'interpellant sur son suicide, son œuvre, sa vision de la vie...Un très beau texte qui exprime fortement la fascination, l'admiration de Miller pour Mishima



" Tel un musicien, il n'en finit pas de répéter ces trois leitmotive: jeunesse, beauté, mort. Il donne le sentiment d'être exilé ici-bas. Obsédé qu'il était par l'amour des choses de l'esprit, des choses éternelles, comment pouvait-il s'empêcher de n'être qu'un exilé parmi nous ?" (p.85)

Un recueil qui offre un ensemble d' éléments variés pour apprécier et appréhender différemment la personnalité de Miller . Ce dernier y parle aussi de sa passion pour les ruines dans "Voyage en terre antique"



Une lecture fort plaisante qui présente cinq textes aux thématiques très éclectiques... qui ont le mérite de dégager la philosophie de Henri Miller face à l'existence, et à son travail d'écrivain...

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Correspondance passionnée : Anaïs Nin / Henry M..

Une sensualité obsédante, une rigueur dans l'écriture happée en quelques secondes par la passion de la chair. Quelques cris, un lot de paranoïa, une peur aussi bien du succès que de l'insuccès, des voyages ratés, des lettres brûlées, des lettres ivres et trop lucides pour ne pas planter une Vérité. Une fascination presque morbide pour ces deux écrivains amourachés discrètement par les auteurs de leur temps, sans jalousie, sans envie. Un regard moqueur et morne face à la censure de leurs oeuvres.



Seulement motivés par la beauté, et les sinuosités entre le sexe et l'immatériel.

Cette oeuvre peut donner à tous l'envie de reprendre sa plume pour une correspondance profonde, et d'essayer, encore et encore, d'atteindre la perfection dans toute entreprise vitale que ce soit dans la bave ou dans la lumière.
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Le sourire au pied de l'échelle

Curieux petit conte poétique. On suit le clown Auguste dans ses interrogations existentielles. Questionnement sur son metier de clown. On est sur la ligne entre le merveilleux et le fantastique. Pour moi, il manque tout de même une certaine profondeur. Le recit aurait gagné à être plus étoffé, plus approfondi. Mais Miller nous dit qu'il l'a ecrit pour accompagner une série d'illustrations de Fernand Léger. Donc, à prendre pour ce que c'est.
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Jours tranquilles à Clichy

Bohème des années 30 à Paris, dans un Montmartre à cent lieues de la carte postale.

Joey/Henry et son comparse Carl, apprentis écrivains, multiplient les rencontres plus ou moins louches, les arnaques mesquines en manquant le plus souvent du minimum vital : un estomac plein.



Ecrire, créer, oui, plutôt moins que plus, plus tard peut-être. Il faut dire que les femmes occupent le plus clair de leur temps. Elles défilent, et même si parfois mal traitées par ces jeunes mufles qui font leurs armes, elles sont plutôt vivantes, superbes, pathétiques : Mara, Colette ou Nys entre autres…



On l’imagine on est pas chez Martine (ou alors un rêve sale: « Martine déambule Place Clichy »), mais chez Miller, alors oui c’est plutôt vert, plutôt cru, mais avec du style, un style vif et mordant.

Possible que la patine du temps nous fasse apparaitre pittoresque ce qu’aujourd’hui on nommerait misère sociale et nous masque ce que ces chroniques peuvent avoir de sordide.



Et pourtant, cette jeunesse exilée volontaire dans les bas-fonds parisiens possède un élan vital qui emporte le morceau. Ces perpétuels affamés semblent surtout assoiffés d’un absolu, à la poursuite d’un rêve hédoniste. In extremis la plume de Miller, des années plus tard, se teinte de nostalgie.

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Les livres de ma vie

Ma connaissance d'Henry Miller se limitait à Tropique du Cancer lu il y a longtemps... Et j'avais ensuite passé mon chemin.

L'enthousiasme de Fanfanouche24 m'a intriguée et je me suis retrouvé plongée avec jubilation dans Les livres de ma vie. Un pavé, certes, des auteurs que je ne connaissais pas, évidemment, quelques passages moins passionnants, mais que de connaissances, que de réflexions et remarques intéressantes ! Quel hommage à nos écrivains francais, Blaise Cendrars notamment, Giono, Hugo, Eluard, Dumas, Flaubert... La liste est trop longue.

Une très belle lecture qu'il faut entreprendre sans tarder. Pourquoi si peu de Babelionautes ont inscrit ce livre dans leur bibliothèque ? (catégorie lu bien sûr, pas dans le pense-bête).
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Printemps noir

A vrai dire, je ne parlerai que d'une seule nouvelle de ce recueil inégal. En effet si les deux premières, "14ème district" et "Je porte un ange en filigrane", peuvent captiver l'attention du lecteur, les autres sont une longue logorrhée imbuvable, au point que je me suis posé la question de savoir si Henry Miller n'avait pas abusé de certaines substances illicites.

C'est grâce à la nouvelle intitulée " La boutique du tailleur " qu'Henry Miller évite la catastrophe.

J'ai enfin retrouvé là toute sa causticité, son humour qu'il utilise pour dépeindre ses semblables au sein d'une boutique de tailleur juif. Avec finesse il n'épargne personne, tous ridicules, autant le patron que les clients qui viennent pour un costume sur mesure.

Du Charles Bukowski avant la lettre !

Malheureusement cette embellie ne durera que soixante pages. Après, à vous le long désert de l'ennui avec les autres nouvelles. J'ai fermé le livre avant la fin, totalement démotivé.

Heureusement qu'Henry Miller a écrit des livres autrement intéressants et je vous conseille de lire celui-ci uniquement quand vous aurez épuisé sa production.

Ce n'était vraiment pas jours tranquilles et le titre aurait dû m'alerter.
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Entretiens de Paris

Je poursuis mes grands rangements et inventaire de bibliothèque : je retombe sur une lecture ancienne. Heureusement, ma manie des soulignements au crayon à papier, me remet aussitôt en mémoire cette lecture plaisante mais quelque peu oubliée ; pleine d’informations sur Henry Miller. Il y parle de tous les sujets, de l’amour, des femmes, de la littérature, de ses auteurs préférés : Dostoïevski, Hamsun, William Blake, etc.,de l’amitié , de sa première vocation : la peinture…sa venue au métier d’écrivain



- « C’est par une sorte de désespoir, vous savez que je suis devenu écrivain…après avoir tenté de faire tout, sauf cela. Tout, oui. J’ai fait plus de cent métiers avant d’en arriver là, et finalement je me suis dit : « Tu n’es bon à rien ; pourquoi, au fond, n’essaierais-tu pas d’être un écrivain ? » (p.23) » .



H. Miller dit aussi une mère mal-aimante, qui avait honte que son fils soit écrivain, le critiquait sans cesse, il raconte également avec beaucoup de finesse les raisons, et les origines de ses écrits sulfureux…



« Oui, c’est vrai que, dans –Sexus , il y a beaucoup de sexualité, peut-on dire. C’est du concentré. Mais cela concerne uniquement une certaine période de ma vie. Et pourtant, à cause de cela, on a toujours l’air de me prendre pour une espèce de géant de la pornographie. C’est faux ! Et qu’on ne vienne pas me dire que je suis anormal. Personnellement, je me trouve parfaitement normal…peut-être même pas assez ! (…)

Et aussi, inconsciemment peut-être, c’était une libération pour moi, une façon de me libérer de l’esprit puritain. Né en Amérique comme je l’étais, élevé par des parents puritains, c’était probablement un moyen de me libérer, oui, je crois.

« Le monde du Sexe », je l’ai écrit exprès pour le censeur qui interdisait mes livres aux Etats-Unis… » (p.106-107)



[…] » Au lieu de parler de Dieu, disons, je parlais du sexe. Le sexe remplaçait Dieu, d’une certaine façon, vraiment. Cela peut paraître sacrilège ; mais ce n’est pas ainsi qu’il faut le prendre. Il s’agit d’un simple remplacement, je crois. Car, en même temps, j’étais, à cette époque-là, le même homme religieux. Je n’ai jamais perdu ce sens » (p.111)



Un petit volume… attachant, captivant où le « sulfureux » Miller parle de philosophie, de « sacré », du bouddhisme, de ses pulsions suicidaires qu’il a réussies à gérer, de l’Humain, encore et encore…



« Oui, je préfère, j’aime ceux qui ont deux visages et qui ne les cachent pas, parce que ça, en tout cas, c’est humain.

J’aime tout ce qui est humain. Etre humain, totalement, c’est peut-être ce qui est le plus près de l’ange » (p.127)



Je rappelle que ce texte est le croisement d’entretiens enregistrés en septembre 1969, pour l’O.R.T.F, d’une part pour France Culture et la radio, sous la direction de Pierre Sipriot, d’autre part pour l’émission télévisée de Michel Polac, « littérature de poche »



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La crucifixion en rose, tome 2 : Plexus

Il est difficile de parler d'un livre de Miller sans se retrouver en train de parler de Miller lui même ( ou en tout cas de tenter de le faire), tant il est présent dans chaque ligne.

Si pour Tropique du Cancer c'est la découverte de la vie artistique qui prédomine, ou pour Sexus, c'est l'expression de la passion et de la fougue sexuelle, simplement, et souvent avec humour et burlesque, pour PLexus, c'est l'attendrissement devant la découverte de cet homme qui tout à la fois croit fermement en son génie, mais qui doute souvent (même si ça ne dure jamais très longtemps), alors qu'on connaissait (ou s'imaginait connaitre) le très talentueux, passablement égoïste, possédant un appétit sans fin pour tous les plaisirs de la vie.



Ainsi, le grand Henry Miller que je découvrais dans Tropique du Cancer en hallucinant devant ce tourbillon de mots, doutait....et paradoxalement, quand il n'écrivait pas sur commande , ou sous la contrainte d'une discipline qu'il s'imposait pour "arriver" à quelque chose, c'était tout naturellement qu'une floppée d'idées, de mots, de phrases traversaient son esprit, et faisaient démanger ses doigts à la recherche d'un carnet ou d'une machine à écrire pour y déverser ce débit si caractéristique. Mais dès qu'on lui donnait l'opprtunité d'écrire dans un cadre un tant soit peu officiel....il "buguait".

" Tout ce que je demande est de ne pas me montrer un foutu idiot, comme je l'ai fait, il y a des années en allant voir un célébre écrivain et en demandant, tout à trac:" comment commence-t-on à écrire?" (réponse:"en écrivant". C'est exactement ce qu'il a dit, et ce fut la fin de l'entrevue.)

En parlant des lettres écrites durant sa jeunesse il dit:"Jusqu'e dans ces missives couvertes de chiures de mouches, il y avait ces brusques ruptures et ces envolées qui révèlent la présence de feux cachés, de conflits insoupçonnés."

pour moi, c'est ça Miller, un déferlement incessant, un rapport minutieux d'un quotidien -peu banal certes- décrit avec tendresse et authenticité, et puis brusquement des sursauts de pensés explosives donnant l'impression d'un être qui "se vomit" voire même qui "s'éjacule" après un épisode de repli inconscient sur soi, de concentration extrême........et pour la lectrice que je suis, il faut se remettre de ça, revenir à son quotidien qui pendant quelques minutes se met à avoir des nuances intéresantes, car l'esprit est encore sous l'influence de ces fulgurences, et on se surprend à essayer de considérer les insipides moments de tous les jours comme autant d'éléments à analyser joyeusement, innocemment, comme le fait Miller.....mais n'est pas Miller qui le veut.....et Miller prend la vie comme elle est, accepte les gens pleinement, sans se positionner par rapport à eux. Tout ce qui l'entoure : gens; objets, événements- est beau à ses yeux, ou du moins digne d'attention, et possible matériel.

Petit bémol tout de même (et oui, personne n'est parfait), la longuer et surtout la minutie dans la description de ses rêves (à peine plus extravagant que sa vie diurne) étaient parfois pénibles à lire.
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