Alors que nous traversions un grand champ de neige, entre deux bois, nous découvrîmes soudain un spectacle d'horreur : là, à nos pieds, dans un enchevêtrement d'os, de plumes noires et de sang, gisaient des corbeaux ; ahuri, j'en dénombrai une dizaine.
(...) nous contemplâmes le spectacle un long moment, comme si ces plumes, ce sang, ces os allaient soudain se réajuster et reconstituer des corbeaux... Ce carnage était si mystérieux que seuls les corbeaux – ou quiconque avait causé leur mort – semblaient pouvoir nous expliquer ce qui s'était vraiment passé là.
Quand les carcasses furent recouvertes par la neige fraîche, nous nous installâmes enfin pour la nuit. On parla beaucoup des corbeaux ce soir-là. A un certain moment, John Rains dit quelque chose de surprenant : "Une histoire passera par là, elle trouvera ces corbeaux et plus tard elle nous racontera ce qui leur est vraiment arrivé."
[Howard Norman, préface à l'édition fr.]
Tu ne le crois pas ?
Je vais te le prouver,
que les ombres ont une épaisseur !
Voilà l'endroit, en plein soleil.
Celles-ci ont été apportées
de partout,
dans les bras, sur des traîneaux à chiens,
apportées par le vent aussi.
Toutes venues ici
s'empiler.
Allons, dis-moi,
c'est une pile d'ombres ça
ou pas ?
L'ombre des oeufs bleus
est là,
et le nid
et le geai venu pour
tout voler.
Et ce n'est qu'une seule
histoire d'ombre.
Ca te prendrait peut-être cinq jours
de ta vie
de compter toutes les histoires
entassées ici.
Ferais bien de commencer tout de suite.
[Dit par J. B. Sandy, transcrit par Howard A. Norman]
J'essaye de faire mes voeux comme il faut
mais parfois ça ne marche pas.
Une fois, en faisant un voeu, j'ai mis un arbre la tête en bas
et ses branches
se trouvaient là où ses racines auraient dû être !
Les écureuils devaient demander aux taupes
"Comment on descend de là
pour rentrer chez soi ?"
Une fois ça s'est passé comme ça.
Et puis il y a eu cette autre fois, je m'en souviens à présent,
où en faisant un voeu j'ai mis un homme la tête en bas
et ses pieds se trouvaient où ses mains
auraient dû être !
Au matin ses chaussures
ont dû demander aux oiseaux
"Comment on vole là-bas
pour rentrer chez soi ?"
Une fois ça s'est passé comme ça.
[Poème extrait du cycle L'os à voeux, créé et dit par le conteur cree Jacob Nibénegenesabe, transcrit et traduit par l'ethno-poète Howard A. Norman]
Pour un chasseur, "l'accord ancien" n'est pas un hommage de pure forme mais le fondement spirituel de son existence. John Rains, un Cree, l'a exprimé très clairement: "Les animaux attendent de nous que nous nous comportions correctement. Nous ne devons leur infliger aucune souffrance, et c'est pourquoi il nous faut apprendre à nos fils à bien tirer. Si nous nous comportons mal envers les animaux, ils partent. Nous devons laisser nos territoires de chasse se reposer, parfois pendant deux ou trois ans, afin que les animaux puissent revenir nombreux. SI nous les offensons, si nous nous montrons insultants envers les terre, nous devrons nous tenir à l'écart pendant longtemps. Si nous chassons plus d'animaux que nous n'en avons besoin, si nous faisons preuve de cupidité, alors nous serrons punis."
Quelqu'un disait avoir vu une saute d'humeur de Vieil-Homme-Chouette donner naissance à un harfang des neiges. Cela se passait sur une branche. Un petit tas de neige tomba et, avant de toucher le sol, il se transforma en harfang qui s'envola. C'est ainsi que cela se passait parfois avec les changements d'humeurs de Vieil-Homme-Chouette.
"La terre n'est qu'une très grande maison de glace"