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Critiques de J.M.G. Le Clézio (1100)
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Celui qui n'avait jamais vu la mer

Dans ce petit récit qui ressemble un peu à un conte, un jeune garçon semble en dehors de la réalité.

En classe il participe peu, n'a pas d'ami.

Son seul centre d'intérêt, c'est la mer.

Aussi quand il part, un jour, tout le monde sait qu'il est parti "là-bas".

Et ce là-bas est bien le rêve que poursuivait depuis longtemps ce garçon.

La mer devient en effet non seulement sa raison d'exister, mais aussi son double.



Les relations qu'il entretient avec elle sont physiques, charnelles, presqu'amoureuses, et c'est là où le magnifique style de le Clezio se déploie, dans des descriptions et des comparaisons à la fois poétiques et pleines de petits détails.

Les vagues, les marées, le vent deviennent des parties de lui-même et cette histoire d'amour nous laisse pantois, comme lui, à la fin de la grande marée !



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Chanson bretonne - L'enfant et la guerre : ..

Installez-vous confortablement, je vous emmène à Sainte-Marine, charmant petit port breton qui salue fièrement l'Odet, situé sur la côte sud-finistérienne. Vendredi 7 août en fin d'après-midi, retour de plage, me voilà rendue à Sainte-Marine, je n'ai pas pu résister à fouler les pas de J.M.G. Le Clézio qui, avec ce merveilleux roman, nous transmet tout son amour pour la Bretagne.



Je m'installe au bout de la Cale à la terrasse ombragée et joliment bordée d'hortensias du café qui porte le même nom (le Café de la Cale), je commande une bolée de cidre et j'admire la vue. Je la connais par cœur cette vue mais à chaque rendez-vous c'est comme si je la decouvrais pour la première fois, moment magique !

Un arc-en-ciel de petits bateaux de pêche et d'annexes colorés sont amarrés à quai ou maintenus à l'ancre pour le mouillage : jaunes, verts, rouges, bleus... le reflet scintillant de leurs coques se confond avec cette teinte si particulière, entre le vert et le jaune, que prend la mer l'été dans le port de Sainte-Marine. Non loin, le P'tit bac s'en va dodelinant tranquillement sur les flots en direction de Bénodet pour la énième fois de la journée...



J'ai le cœur léger quand je lis un roman de Le Clézio, ça me rend toute chose, c'est doux, c'est beau comme un poème, comme cette "Chanson Bretonne" avec laquelle il partage avec nous ses souvenirs d'enfance, les souvenirs du petit niçois alors âgé de dix ans qui passe tous ses étés en famille dans la maison de madame Helias à Ker-Huel au début des années cinquante.



Je me suis plongée avec délice dans cette Bretagne que je n'ai pas connue mais qui ressemble à celle que me racontait ma grand-mère. La boutique Biger, disparue aujourd'hui, l'unique dépôt de pain du village ; la pompe communale, seule source d'eau potable, dont la tâche incombe deux fois par jour aux gosses du village d'aller y récupérer l'eau. Ces mêmes gosses pour la plupart des fils et filles de marins ou de pêcheurs locaux qui se réunissent chaque après-midi à l'embarcadère (là où je suis en ce moment même) pour regarder passer le bac, véritable attraction (ça l'est toujours) ou discuter en breton, la langue de leurs parents et de leurs grands-parents, qu'ils perdront une fois devenus adultes car comme le dit si bien l'auteur : "le breton c'est la langue de l'enfance, celle dont ils n'auront pas besoin pour gagner leur vie et faire de longues études", Yanick, Soizig, Fanc'h, Erwan, Pierrick, tous autant qu'ils sont, les gamins de Sainte-Marine... Mais Sainte-Marine c'est aussi l'odeur de l'eau aux abords de la cale, "le ster ar Sorenn", la rivière du sommeil, ce mélange de vase et d'iode que j'aime tant ; c'est l'odeur poivrée de la "lann" , des ajoncs, qui vous titille les narines ; c'est le bruit du ressac des vagues que vous pouvez entendre au loin le long de la plage de Pen Morvan. Sainte-Marine c'est tout ça et bien plus encore, vous le découvrirez en lisant ce très joli conte.



À la suite de ce premier conte, l'auteur nous fait cadeau d'une cinquantaine de pages toujours sur la thématique de l'enfance avec "L'enfant et la guerre", un récit que j'ai pour ma part trouvé très émouvant. Lui qui est né à Nice le 13 avril 1940 en pleine guerre, a ressenti le besoin de coucher les mots sur le papier. Il a trois ans quand une bombe s'écrase dans le jardin de l'immeuble situé Quai Carnot à Nice où il vit avec sa grand-mère, sa mère et son frère aîné, les obligeant à fuir vers le village de Roquebillière dans l'arrière pays niçois. Il nous raconte Roquebillière, il nous raconte ses habitants, mais aussi combien la guerre est la pire des choses qui puisse arriver à un enfant. Ce récit c'est la naïveté touchante et le rire d'un enfant qui ignore à quel point le monde des adultes peut être cruel.



Deux très beaux récits à l'écriture contemplative et poétique qui abordent des sujets tels que la guerre, la religion, les traditions, l'histoire de la Bretagne. Il y a de la nostalgie dans l'écriture de J.M.G. Le Clézio mais c'est une nostalgie joyeuse, une nostalgie qui vous rend heureux.



Ce billet il est pour la maman d'une amie rochelaise qui m'a conseillée cette lecture et je l'en remercie vivement. Pour conclure, je vous invite à chanter avec moi le célèbre Bro gozh ma zadoù (vieux pays de mes ancêtres) dont la version a été reprise maintes fois, par les Tri Yann et Alan Stivell entre autres.



C'est parti !



O breizh, ma Bro, me gar ma Bro

Tra ma vo mor'vel mur'n he zro

Ra vezo digabestr ma Bro !

Breizh, douar ar Sent kozh, douar ar Varzhed,

N'eus bro all a garan kement' barzh ar bed

Pep menez, pep traonienn, d'am c'halon zo kaer,

Enne kousk meur a Vreizhad taer !





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Désert

Désert ou déserts? JMG a choisi le singulier pour le titre de son livre car c'est bien le désert marocain le premier héros de ce livre éblouissant de lumière, de sable, de soleil mais aussi de détresses diverses.



Alors, en lisant les dernières lignes ("tournés vers le désert...ils s'en allaient... ils disparaissaient") j'ai revu sur les "lèvres saignantes" des hommes bleus, tous ces autres déserts que l'on peut parcourir en suivant cette plume si riche de Le Clézio.



D'abord, le vrai désert avec cette caravane avançant péniblement vers une terre hypothétique, vers le nord, avec un jeune héros, Nour, donnant son épaule au guerrier aveugle en l'accompagnant vers une destinée inéluctable. Il est discret, Nour, silencieux, mais agissant, calmant les douleurs et les angoisses des mourants, et Le Clézio montre bien davantage ses actes en faveur des autres que son propre cheminement.



Nour introduit le parallèle immédiat avec Lalla, la véritable héroïne du désert et de tous les autres déserts qu'elle va sillonner. Lalla, c'est la femme-enfant qui devient femme-mère avec là encore un récit magnifique de son accouchement solitaire. Lalla, c'est la volonté, l'abnégation, l'accueil du différent au coeur du désert de l'indifférence dans la cité phocéenne. Elle aussi, comme Nour, accompagne un mourant, silencieusement, par sa seule présence.



Et puis, subitement, on pourrait croire que tout va basculer par quelques photographies qui la propulsent vers une fugitive célébrité qu'elle ne recherchait pas. Mais, elle reste lucide, tout en conservant la volonté d'accomplir sa destinée, laissant à mesure tout ce qui ne peut être que des étapes, avnt celle, ultime, qui la ramène vers le désert, le vrai, celui qu'elle aime et dont elle ressent le besoin viscéral pour être vivante et donner la vie.



Elle est magnifique, Lalla, et le Clézio prend le temps de la dépeindre et de la peindre, sa peau cuivrée et sa chevelure poétiquement exprimées par l'écrivain qui sait comment transmettre à ses lecteurs toutes les émotions qu'elle ressent.



D'autres déserts apparaissent, plus ou moins fugacement, ceux de la solitude, du profit, de l'exploitation, des hommes et femmes qui marchent, indifférents, dans Marseille ou Paris. Le Clézio les emmêle pour revenir toujours vers ce Sahara marocain, vers ces "gens des nuages", vers la lumière, le sable, le vent, la mer.



C'est un livre long, tellement riche, qu'il est bon d'en relire de nombreux passages, d'en retirer les messages délivrés, suivant nos perceptions, les miennes sont plus que favorables pour un auteur que je prends toujours plaisir à lire, à suivre, sur la mer, sur le sable, à Rodrigues, Raga, partout, à contempler avec lui les étoiles, les aubes, blanches ou rouges, les crépuscules et toute cette lumière qui éclaire son oeuvre en lui donnant une dimension lyrique complètement aboutie.
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Ritournelle de la faim

Merci à mon ami Berni de m’avoir fait découvrir ce livre grâce à sa belle critique et merci à Piatka d’avoir posé les mots justes plus vibrants que jamais.



Ce roman n’est pas un roman comme un autre, c’est un récit troublant qui sonne horriblement juste la destinée d’une fillette, Ethel au proie à la guerre des hommes. Celle qui déchire ses parents, celle qui empoisonne l’amitié acculée aux faux-semblant, celle qui tua des millions d’hommes et de femmes dans les années quarante.



Une petite ritournelle qui revient sans cesse nous déclamant la violence de l’Histoire, ça vient, ça part, ça revient, inlassablement comme des ruines qui viennent à remplacer les maisons, comme les cadavres d’un triste paysage, comme l’espoir qui se meurt faute de paix.



Un roman au diapason du boléro de Ravel qui commence piano piano, quelques pas hésitants dans une enfance insouciante, le rythme s’accélère, tam tam, les tambours se mettent à trembler, dans les hauts-parleurs la voix du führer, les danseurs s’enflamment, courent, halètent.



C’est un roman qui crie famine, à toutes ces heures tuées qui ne reviendront plus et laisseront à jamais le ventre vide et les survivants étourdis.



C’est la ritournelle de la faim.

Magnifique. Tentaculaire. Étourdissant.
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Désert

"Ils sont apparus, comme dans un rêve, au sommet de la dune, à demi cachés par la brume de sable que leurs pieds soulevaient"

J’ai marché avec Eux,

J'ai marché avec Eux -- péniblement, durant des jours et des nuits, au bord de la sécheresse des pages, dans les lumières aveuglantes d'or et de sel, sur cette mer de dunes mouvantes, où le silence est roi, le ciel vierge, vide, sans nuages, sans oiseaux, sans rien, seulement du bleu, seulement brûlure.

J'ai marché, là où les vagues se taisent. Avec Eux, avec Nour, dans cette mer de sable modelée, ridée par les frasques du vent qui danse et trébuche comme bon lui semble sur l'éternelle poudreuse, là, où toute trace finit toujours par disparaître, engloutie par les fines poussières.

Désert, ocres, rouges, blancs, éblouissants jusqu'à perte de vue, vallées desséchées, crevasses, boue, pays de pierres et de vents où le soleil boit tout : des hommes, jusqu'à la moindre goutte d'eau.

Désert - l'Eau. J'ai marché pour elle. L'eau comme un trésor. L'eau précieuse, convoitise arrachée, sale et lourde, âcre, âpre, juste cette "trace de sueur", ce "don parcimonieux d'un dieu sec, dernier mouvement de la vie" dans une aridité sans horizon.

Désert ! Et Rien d'autre !

On y vit, on y passe, on s'y courbe -- sans paroles – on y meurt !



Le long cortège s'étale : fantomatique, muet, lent, lourd, misérable, miséreux, hommes, guerriers, femmes, enfants, vieillards, troupeaux, sans fin, la faim, la misère, l'épuisement, harassement, la douleur … des ombres. Fuite obligée. Mort infligée.

J'ai croisé les regards brûlés, les lèvres saignantes, les corps penchés, les pieds nus, les morsures du sel, les haillons, la folle idée de terre promise, les prières, les chants, les espérances … J'ai croisé l'injustice !

Nous sommes en 1910 -1912 dans l'Histoire Vraie. Dans une guerre sainte contre l'envahisseur : Hommes bleus, touaregs, chassés du Sud, de LEUR terre, par les soldats français. Incroyable migration indigo, tragique calvaire, où l'argent et les armes auront raison de la plus légitime des rebellions. …

Hommes bleus, traqués, spoliés, brisés, tués …. Au nom de quoi et de quel droit ?

Inconfort. Quelque part en moi, une réelle compassion, un malaise, un écœurement, quelque chose comme un voile sale et noir, un sentiment de honte …. Le "plus jamais" n'existe pas …

Désert, c'est cette tragédie onirique, émouvante, admirablement peinte par Le Clézio.

Peinte, est le mot exact : une toile de maître picaresque. Désert comme un glacis brûlant.

Nour, jeune touareg, en est le fil conducteur, celui de l'exil, de l'errance, des derniers hommes libres raclant la poussière, enroulés de lumière crue dans la sombre nuit nue de leurs singuliers voiles bleus.



Mais Désert, en parallèle, c'est aussi un conte, une histoire dans l'Histoire, une petite merveille, prenante et éclatante, dont l'action se déroule bien des années plus tard.

C'est l'histoire de Lalla.

Celle qui porte en elle la force ancestrale du désert.

La raconter serait réducteur, la lire est fabuleux : des passages sublimes, des paysages somptueux, une sorte de pureté virginale servie par une douceur d'écriture vraiment particulière, presque vibratoire.

Et, partout, ces variations de lumière en bout de plume, égrenées en nuances infinies, accordées avec l'atmosphère ou le lieu à dépeindre : une perfection !

Lumière ! Autre acteur du livre ?

Lumière qui cingle, éclate, aveugle, brule, fascine, joue, danse, ondule, magnifie la beauté, lumière qui tremble, blêmit, s'efface, s'écrase et se dilue dans la misère ou le sordide….

Lumière hypnotique, façonnant telle une seconde peau le personnage de Lalla :



- Lalla éblouissante, parcelle de lumière cuivrée, étreinte dans sa Cité bidonville maghrébine. Bonheur simple du peu, heureuse, aux portes de deux libertés : le désert et la mer. Deux sels, deux silences, deux poumons, deux transparences, deux éclats…Elle s'y vertige. S'y fond. S'y colorise. Lalla sauvageonne aux pieds nus, posée dans les échancrures rassurantes des dunes, brulée sur les vastes plateaux de pierres sèches, ombrée des clartés stellaires des nuits, éblouie des ciels extraordinaires, nus, rosés, cendrés ou incendiaires …

Mélancolie étincelante, elle s'échappe, elle entend, elle attend … son histoire, le chant lointain, le regard de l'homme bleu.



- Lalla feutrée, rasante dans la ville grise de l'exil. Marseille l'oppressante, triste, sale, grouillante, bruyante et meurtrière. Misère de l'immigration … Lalla éteinte, cœur mendiant de lumière, "silhouette à peine visible, grise et noire, pareille à un tas de chiffons". Partout la peur, la pauvreté froide, l'abandon et cette tenaille : "la faim, la faim de douceur, de lumière, de chansons, la faim de tout".



- Lalla irradiante, aux yeux "brillants comme des gemmes", vertigineuse lueur sauvage et secrète dans son échappée du malheur



- Lalla, cristalline, toute en lumière douce et ardente dans son retour aux sources



Désert est tout à la fois une tragédie et un merveilleux, lyrique et onirique, intolérable et intensément doux, déchiré et unifié.

Il accueille la révolte mais aussi l'apaisement, la réconciliation.

Il se fait l'apologie de la liberté, celle la plus primaire possible, celle symbiotique avec l'élément vivant, celle sans limite "aussi vaste que l'espace, aussi simple que le sable" .



"Il n'y avait pas de fin à la liberté,

elle était vaste comme l'étendue de la terre,

belle et cruelle comme la lumière,

douce comme les yeux de l'eau"



Eblouie ! (jusqu'à l'avoir lu deux fois)

"Désert" : un embrasement de la première aube.



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Avers

Huit nouvelles sur les vies et les morts de ceux que JMG le Clézio appelle les indésirables, un mot très dur qui porte tout le sens de la misère de l'exclusion, des viols, de la guerre, des espérances effondrées.



Il faut un auteur comme Le Clézio pour exprimer, par son style, et par petites touches, où viennent se mêler les beautés de la nature, de la mer, des arbres, des nuits étoilées, les souffrances variées d'enfants, d'adolescents et d'adultes à travers le monde.



La première de ces nouvelles, la plus longue, conte l'histoire d'une jeune orpheline, qui parvient malgré les douleurs qui lui sont infligées à trouver divers réconforts et un chemin d'espérance. le chant est très présent dans cette nouvelle, il intervient comme un magnifique contraste avec les duretés de l'existence de ces jeunes.



Les autres conduisent le lecteur à travers le monde, par exemple dans les égouts reliant Mexique et Etats-Unis où se faufilent des enfants en quête de petites richesses américaines.



On a aussi un "Chemin lumineux" aux abords d'un grand fleuve d'Amérique du Sud avec de très beaux portraits d'enfants qui s'accrochent à la vie et parviennent peut-être à réchapper de la maltraitance de leurs bourreaux.



La guerre est aussi présente en des lieux non nommés du Moyen-Orient avec encore des fuites, des solidarités, des détresses que JMG dépeint avec son talent capable d'une relative poésie parmi tant de noirceur.



La qualité de ces différentes nouvelles peut paraître inégale selon les attentes ou la réceptivité des lecteurs, elle témoigne toujours de la plume parfaite d'un écrivain capable de transmettre une palette d'émotions qui finissent toujours par convaincre le lecteur le plus hermétique s'il en est.
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L'Africain

Un après-midi d'été très chaud, installée dans une chaise longue, j'ai lu ce court roman de Jean-Marie le Clézio et j'ai été véritablement transportée. Par l'évocation magique d'un continent que je ne connais pas. Par la poésie et la beauté des phrases. Par l'évocation de l'enfance de l'auteur sans son père, puis la découverte de celui-ci et de l'Afrique, de sa liberté de petit garçon à peine entravée par l'autorité de ce médecin anticolonialiste. Un homme revenu en France à l'âge de la retraite, seul et désabusé, africain pour toujours comme le sera son fils.

Une expérience incomparable que peu de livres m'ont donné de vivre.





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Le Procès-verbal

Obsessions, tel pourrait être le titre du Procès-verbal qui relate une tranche de vie d'un jeune homme, assez perturbé, dont le lecteur découvre au fil des pages des pans de son passé et surtout de sa désorientation qui fait le quotidien de son présent. Il déroule ses journées avec les préoccupations qui l'obsèdent au point de ne vivre quasiment que dans ce contexte très particulier.



C'était le premier roman de Jean-Marie-Gustave le Clézio qu'il a écrit à l'âge de 23 ans et qui présente un intérêt littéraire indéniable bien qu'il soit souvent difficile de suivre le cheminement du héros, Adam. Il me semble qu'il faut le lire en se détachant du personnage, profitant de certains passages métaphysiques, d'autres assez réalistes, en ne s'immergeant pas trop dans cet univers de l'absurde, qui peut faire penser à Sartre, Camus, voire Céline.



Le soleil et la mer ont un rôle de premier plan dans cette aventure solitaire, mais aussi l'ombre, l'obscurité, les angles des pièces et toutes une série de protections personnelles que se constitue Adam.



Le dernier chapitre est un interrogatoire psychiatrique réalisé par des étudiants, ceux-ci ne parvenant guère à percer les mystères de la personnalité tourmentée de leur sujet.



Les longueurs, variées cependant, sont nombreuses et ajoutent au sentiment de confusion que l'auteur a peut-être voulu faire ressentir à ses lecteurs. Si tel est le cas, il a réussi.



Les avis sont partagés sur cette oeuvre; pour ma part, je lui reconnais les qualités d'écriture, rares aujourd'hui chez les jeunes écrivains, tout en ne la considérant pas comme une oeuvre majeure.
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Ritournelle de la faim

Imaginez : un danseur beau, puissant, expressif sur une grande table ronde et rouge au milieu d'une scène faiblement éclairée, des danseurs qui tournoient autour de cette table au rythme envoutant d'une ritournelle, une des œuvres musicales les plus jouées au monde, Le Boléro de Maurice Ravel.

Avant de découvrir le livre de J.M.G Le Clézio, le Boléro était pour moi associé à la chorégraphie épurée et sensuelle de Maurice Béjart ( un autre Maurice...) dansé par un Jorge Donn félin, habité par cette musique singulière. En moins de 10 minutes, la mélodie vous prend aux tripes, son rythme monte crescendo pour symboliser l'obsession, la montée en puissance de la rage, de l'impuissance, de la force de vie triomphante, avant de s'éteindre subitement. Si vous n'avez jamais vu, éprouvé ce Boléro-là, faites un tour sur internet, cette interprétation dansée est non seulement magistrale, mais elle éclaire de façon originale l'interprétation littéraire du Boléro par Le Clézio.



Pourquoi évoquer un ballet me direz-vous, il s'agit bien d'un livre ici ?

Tout d'abord, il ne faut pas oublier que Le Boléro est une musique de ballet composée et créée en 1928 à l'Opéra Garnier pour Ida Rubinstein, grande danseuse russe. La première, le 22 novembre, est mentionnée par Le Clézio, à la toute fin du livre car sa mère y était. C'est clairement le point de départ et d'arrivée de ce roman fortement auto-biographique, même si Le Boléro n'est que le point d'orgue du livre. En effet, pourquoi sinon l'appeler ritournelle de la faim ? Associer deux mots que tout oppose ? Sauf si la ritournelle est Le Boléro, puissant, envoûtant, violent, et la faim, puissante, obsédante, violente, toutes les formes de faim en fait évoquées par Le Clézio ; la faim physique, liée à la pauvreté, la seconde guerre mondiale, la faim pour l'argent, pour l'amour, et tout simplement la faim et la soif de vivre de l'héroïne Ethel.



C'est le destin d'Ethel de 8 à 20 ans que l'écriture sensible et limpide de l'auteur nobellisé en 2008 ( l'année de parution du roman ) nous livre avec une musique toute personnelle et un talent qui éclate à chaque page. Très beau portrait d'enfant puis de femme qui prend son destin en main alors même que sa famille subit une faillite et l'exode.

Ce roman relativement court est puissant, entraînant, violent aussi, mais non dénué de poésie, tout comme la ritournelle de Ravel. Deux chefs d'œuvre qui seront maintenant associés pour moi, symboles très forts de l'énergie vitale.



Challenge Nobel 2/1?
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Bitna, sous le ciel de Séoul

Afin d'échapper à deux parentes odieuses, Bitna, étudiante sans le sou, en échange de quelques milliers de wons imagine des contes pour Salomé, une jeune infirme.



Mais le destin de Bitna, qui lui semble être d'aller à l'université et de donner à Salomé le goût de la vie, change quand amoureuse d'un jeune homme mystérieux elle délaisse Salomé qui la supplie de revenir. Prenant alors conscience de son pouvoir sur elle, Bitna invente des histoires vraies et perturbantes... pour impressionner la jeune femme, par jalousie (Salomé est issue d'un milieu privilégié), « parce qu'il y a toujours une vérité cachée dans un mensonge », mais surtout parce que ses mots retardent l'heure de la mort de Salomé.



Pour notre plus grand plaisir, Jean-Marie le Clézio, au sein d'une ville grouillante, nous plonge dans un monde réaliste et flottant, cruel et poétique, angoissant et serein. Un monde où les hommes oscillent entre le bien et le mal. Un monde où parfois les mots sont « plus forts que les actes, plus forts que la mort... ».



Merci à NetGalley et aux Éditions Stock pour leur confiance.
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Identité nomade

Ce petit livre de Le Clézio, cette Identité nomade m'a fait voyager, mais voyager!... Tant en Afrique qu'en littérature d'auteurs que j'ai la bonne et heureuse surprise de retrouver ou de découvrir.

L'ouvrage n'est pas long, mais il recèle la richesse d'un auteur humble.

Il y a quelques trésors, dans ce livre, qui m'ont enthousiasmé, passionné et donné envie, donc,de continuer de voyager plus avant dans les terres littéraires de l'auteur et des pays de ceux que je ne connais pas encore...

C'est ces voyages perpétuels et divers qui ouvrent et habitent l'esprit et la mémoire du lecteur éclectique. J.M.G. Le Clézio (que ma compagne mauricienne appelle affectueusement Tonton) en fait une simple et brillante démonstration: La littérature peut-être une arme pacifiste contre les maux de notre temps... à condition, bien entendu, d'ouvrir les yeux, son cœur et ses bras.

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Lullaby

Les rêveries d'une ado solitaire



Vous ressentez la nécessité de vous poser un peu ?

De sortir un court instant des tracas du quotidien ?

Vous avez une heure ? Juste une heure ?

Alors laissez-vous bercer par ce petit roman de le Clézio.



Lullaby, elle aussi, a besoin d'une parenthèse.

Son père est en Iran et aujourd'hui réduit à un tas de lettres.

Sa mère est physiquement plus proche mais son esprit, lui, est bien plus éloigné.

Lullaby se pose un tas de questions, tout un tas de questions.

Un beau matin, elle décide de ne pas aller au Lycée.

Elle se rend sur la plage, emprunte le chemin des contrebandiers, explore la mystérieuse maison grecque, fait quelques rencontres insolites.

Pendant ces quelques jours, cette escapade, petite fugue d'une réalité peu complaisante, va lui permettre se s'abandonner tout en douceur à une nature bienveillante.

La mer qui la couvre de ses embruns en emmenant au loin ses rêveries chevaucher ses flots bleus.

Le soleil, astre chaleureux, qui la couve de ses rayons réconfortants.

Mais Lullaby s'aperçoit que le danger rôde tout près d'elle comme une ombre aux contours indéfinis.

Elle se rend à l'évidence. Il faut revenir affronter la réalité qui l'attend de pied ferme, qui trépigne, furieuse de son infidélité.

Se justifier encore et toujours auprès de ces regards d'incompréhension. Sauf, peut-être celui de Monsieur Filippi, le professeur de Physique qui lui sourit souvent avec indulgence. Lui pourrait bien croire à son étrange voyage...



Ce roman au style épuré et élégant nous invite à une douce rêverie poétique. Une quête de liberté adolescente que les jeunes lecteurs prendront également beaucoup de plaisir à partager.











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Alma

En guise de prologue, l’auteur nous livre des noms « ce sont ces noms que je veux dire, ne serait-ce qu’une fois, pour les appeler, pour mémoire, puis les oublier. »



Puis commence le récit avec les deux branches de la famille Fersen qui descendent de l’ancêtre Axel Fersen qui a débarqué en 1796 : la branche « noble », celle qui a réussi et occupait la propriété « Alma » à laquelle appartient Jérémie, de l’autre celle dont on a un peu honte qui était dans une maison miteuse (une cabane au fond du jardin !) masquée par un rideau d’arbres, à laquelle appartient Dominique, alias Dodo.



L’auteur a choisi d’alterner les deux histoires, comme un chant à deux voix, chacun des deux personnages étant à la poursuite d’une quête.



Dodo, défiguré par la maladie qui l’a bouffé, qui n’a pas de nez, de paupières, de lèvres, ne dort jamais, et peut lécher son œil avec sa langue, qui vit de façon misérable, se fait souvent agresser et finit par quitter le pays pour rejoindre la France, terre de son ancêtre. Dodo qui trouve refuge dans les cimetières, et recouvre à la craie le nom de ses parents pour perpétuer leur souvenir. Ce « clochard merveilleux » s’exprime toujours au présent : « la littérature ne parle pas du passé ni du futur, elle parle du présent dans laquelle elle est écrite » a confié l’auteur…



Jérémie, dont le père a quitté l’île et n’y est jamais retourné, ne conservant qu’une pierre gésier de dodo, qui lui sert de rappel, de fétiche, et qui va retourner à Maurice pour rechercher les traces de sa famille.



« Mon père était émigré, on dit maintenant de la « diaspora » – c’est un mot que je ne lui ai jamais entendu prononcer, pas plus que le mot « exil ». Il n’en parlait pas, même s’il était imprégné de la plus profonde nostalgie pour son pays natal. Ses regrets, il ne les disait pas avec des mots. Il les extériorisait par des gestes, par des manies, par des fétiches. » P 32



Se croiseront ils ?



J.M.G. Le Clézio nous raconte la quête initiatique de Jérémie (qui lui ressemble beaucoup ?) à la recherche des secrets de famille, de la terre perdue, de l’exil mais surtout de la culpabilité qui peut tourmenter les descendants des esclavagistes, ces êtres qu’on arrachait à leur terre pour les embarquer sur des bateaux et qu’on tuait à la tâche. Ils n’auront pour identité qu’un prénom et le nom du bateau qui les a amenés… traités comme des sous-humains, parfois enfermés dans un puits sans fond dont ils ne pouvaient s’échapper et sur les murs duquel, on peut encore voir les traces des ongles, dans un effort inutile pour s’échapper ; par souci de cruauté, on leur laissait voir le ciel…



Le troisième personnage est le dodo, alias Raphus cucullatus, l’animal mythique qui a régné en maître à Maurice, avant l’arrivée de l’homme qui l’a exterminé méthodiquement, détruisant son habitat pour y planter de la canne à sucre, avec une main d’œuvre constituée d’esclaves. Ce dodo, oiseau sans aile qui pleure quand il se retrouve seul ou prisonnier et se laisse mourir…



J.M.G. Le Clézio décrit la canne à sucre, l’esclavage, les Marrons, venus d’Asie qui se cachent dans la forêt, tentant de préserver un peu de culture, de respect de la Nature. Forêt qui couvrait les neuf dixièmes de l’île en 1796 et qui subsiste à l’état de poches de forêt endémique, des miettes.



Le rythme de l’écriture est lancinant, les mots reviennent comme ce morceau de Schubert que Dodo arrive encore à jouer au piano, avec ses doigts raidis par la maladie… Et qui dit si joliment : « je ne sais pas encore que le bonheur, ça ne dure pas »



Un personnage, parmi les nombreux qui font partie du roman, vient adoucir cette histoire : Aditi, jeune femme proche de la nature, enceinte à la suite d’un viol, curieuse de tout dans cette poche de forêt, qui est à la recherche de l’essentiel comme Jérémie est sur les traces de son oiseau disparu…



J’aime beaucoup cet auteur dont j’ai lu et aimé au moins une dizaine de livres, et pourtant cette lecture a été difficile, malgré la beauté du style et la manière dont il expose cette quête initiatique, autant que le côté inéluctable du destin de l’homme. Je me suis sentie coupable, j’ai eu honte d’appartenir à la gent humaine (quand on pense que cela a donné des mots comme humanité, humanisme…) capable de commettre des choses aussi abjectes, alors que ma famille n’a jamais rien eu à voir avec l’esclavagisme, la colonisation…



Lors de son passage à La Grande Librairie, J.M.G. Le Clézio a dit que ses ancêtres avaient été compromis dans l’esclavage, que c’était une responsabilité collective dont il portait un peu le poids, pas de la culpabilité, car la responsabilité appartenait aussi à la Compagnie des Indes où Voltaire avait des actions, donc personne n’était innocent…



On retrouve le même récit croisé, les mêmes quêtes que dans un roman plus ancien que j’ai adoré « Etoile errante », mon premier livre de l’auteur qui a déclenché un coup de foudre pour son style… mais ici, le récit est plus dur, plus désenchanté, plus noir même parfois.



J’ai mis du temps à rédiger cette critique, alors que j’ai terminé le roman il y a plus d’une semaine, car submergée par l’émotion, la révolte et ce cri lancinant venu d’outre-tombe, dooo-do, dooo-do … en tout cas, je l’ai beaucoup aimé et j’espère vous avoir donné l’envie de le lire.
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Avers

Je retrouve Jean Marie Gustave le Clézio, dans son dernier et magnifique recueil de nouvelles.

Avers: Ceux et celles que l'écrivain sensible, précis et bon nous offre à voir en face. Ceux et celles avec qui L'auteur nous invite à partager un morceau d' existence, un long bout de chemin.

Avers: Ce volume de vies, de souffrances, de lieux, d'errances et d'aventures que Le Clézio présentait, un soir, invité aux côtés de Florence Aubenas... Florence Aubenas qui venait présenter, aussi, son dernier livre.

Je ne pouvais faire autrement que d'acquérir Avers pour me nourrir de ces

huit histoires avec Maureez, Chuche, Aminata, Renault, Abdelhak, Marwan, Yoni, la bande du collecteur numéro 74 et toutes ceux et celles rencontrés au cours d'un long voyage: La pérégrination autour d'un monde dans lequel les destins d'enfants sont trop souvent piétinés par le mal et la mort. Dans lequel, aussi, des rêves se sont transformés en cauchemars affreux et lancinants.

Ma compagne, mauricienne, va pouvoir maintenant entrer à son tour dans le livre de celui qu'elle appelle affectueusement "Tonton"... Et retrouver cette rivière Taniers (Elle m'en a montré une photo du temps où l'on y lavait le linge) qui inspira cette si belle berceuse créole dont Le Clézio, généreux, nous offre quels quelques beaux extraits.

Et voilà! La magie-Le Clézio a encore peuplée ma mémoire de nouveaux personnages, de nouvelles couleurs.... Voici le moment de quitter le port d'Avers pour cingler vers d'autres terres littéraires connues ou encore inconnues!

Mais soyez sûrs, amis babéliotes, que je retournerais visiter les îles de J.M.G. le Clézio. Promis!





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Lullaby

Lullaby, comme une berceuse qui nous emmène au pays des rêves, où le corps s'endort pour éveiller les sens et communier avec la nature; le soleil, la mer et le vent.



Lullaby quitte le lycée pour s'offrir une balade au goût salé, au goût de solitude, pour y trouver son essentiel, pour s'évanouir ou se fondre avec "le mince fil de l'horizon, là où il y avait le pli entre le ciel et la mer".



Un roman jeunesse d'une grande qualité, court, léger, poétique et riche en sensations. Les illustrations sont également d'une grande finesse, entre ombre et lumière.



Voyage onirique qui m'a fait penser à la nouvelle "Tipassa" dans Noces de Camus.



Après "Voyage au pays des arbres", "Tempête : Deux novellas" et "Lullaby", j'aimerais continuer à découvrir cet auteur.
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Désert

Qu'elle fut longue, solitaire et douloureuse ma traversée du "Désert" de Le Clézio !



Indéniablement, côté écriture, y a du niveau mais j'ai eu bien de la peine à entrer dans le roman qui se partage entre deux récits : celui de Nour, un jeune Bédouin, qui parcourt le Sahara à la suite du grand cheikh Ma-el-Aïnine, avec le peuple des "Hommes Bleus" menacés par la colonisation du désert par les Occidentaux, et celui de Lalla, une jeune Marocaine, habitante d'un bidonville de Tanger, forcée de fuir son pays pour échapper à un mariage forcé.



Ces deux existences sont distantes de quelques soixante-dix ans mais sont liées entre elles par le désert, terre aride et pourtant nourricière d'âmes nomades et libres. J'ai prêté plus d'intérêt au récit de Nour qu'à celui de Lalla, le premier s'inscrivant dans un contexte historique et spirituel fort, tandis que le second emprunte davantage à une dimension sociale et poétique.



Donc, en synthèse, le fond de ce roman tient la route, la forme est soignée, et pourtant, je me suis ennuyée à périr et j'en ai soupé des dunes brûlantes et des nuits froides. Le dépaysement est bien retranscrit, le désert prend vraiment vie sous la plume de l'auteur qui, on le sent, est très attaché à son sujet, mais si j'ai touché du doigt l'âme de cet immense océan de sable et de ses habitants, je sors essoufflée, éreintée et désorientée de cette expérience, que je ne souhaite pas renouveler de sitôt.





Challenge de lecture 2015 - Un livre publié l'année de votre naissance

Challenge ABC 2015 / 2016
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Chanson bretonne - L'enfant et la guerre : ..

Chanson bretonne - L'enfant et la guerre : Deux contes, c'est le dernier ouvrage que vient de publier J.M.G. Le Clézio. Ces deux textes se veulent être justement pour l'auteur deux contes. L'écrivain, qui nous habituait jusqu'ici à introduire une dimension romanesque dans son oeuvre, s'en détache désormais avec pudeur et délicatesse, avec émotion aussi.

C'est un rapport à l'écriture, à la création, à l'enfance aussi, surtout l'enfance, ce thème qui domine ces deux contes. L'enfance ici est en effet au coeur de ce double récit, comme une passerelle, quelque chose qui va et vient, comme un écho, comme une balançoire, comme le vent dans les arbres, comme une respiration entre le temps d'avant et le temps de maintenant. C'est un voyage entre la Bretagne et la Provence. C'est douloureux comme si l'enfance n'avait jamais existé.

Le premier conte nous ramène à la Bretagne, un endroit que je connais très bien, le village de Sainte-Marine, en Finistère, au bord de la mer. Avant qu'il ne devienne une station balnéaire prisée par les touristes parisiens, c'était avant tout un village de pêcheurs. J.M.G. Le Clézio y venait l'été avec son frère. J'aime cet endroit, je préfère y venir l'hiver loin de la foule estivale. Jusqu'à la pointe de Combrit, jusqu'à la mer plus belle encore l'hiver. Il y a un sentier côtier qui offre une vue splendide sur la mer, l'horizon et au détour de la pointe, l'île Tudy. Lorsque le ciel est bien dégagé, on aperçoit au loin Les Glénans...

Mais je dirais plutôt que c'est l'enfance et la guerre qui sont au coeur de ces deux récits. Être enfant pendant la guerre est terriblement cruel. J.M.G. Le Clézio nous le rappelle avec cette manière à la fois distanciée, douce et douloureuse.

Les enfants ne savent rien lorsque la guerre vient, lorsque la guerre est là. Les adultes tentent de les protéger comme ils peuvent, parfois avec des mots, des sourires, des contes, des astuces inouïes et merveilleuses pour les distraire du bruit des bombes et de l'envie de sortir dans les rues pour courir. Que restent-ils longtemps après ce traumatisme ?

Que reste-t-il de cette enfance ? Qu'aurait été cette enfance sans la guerre ? Qu'aurait été l'insouciance ? le sable, le soleil sur la peau, les jeux cruels sur la plage ? Pourtant, ces souvenirs furent là aussi...

La dimension romanesque laisse place à la vie d'avant, un voyage vers l'enfance, l'odeur du foin et des moissons, du cidre qu'on buvait tiède à cette époque, la langue bretonne, ceux qui la parlaient avant, ici, tandis que le second conte se déroule dans l'arrière-pays niçois, sur le versant d'un texte plus douloureux. Le coeur de l'auteur bat entre ces deux rivages...

C'est une merveilleuse communion avec les gens d'ici et d'avant. Chanson bretonne, le premier conte est une hymne à la Bretagne, à celle que j'aime, authentique, sobre, respectueuse de sa terre et de ses chants. L'auteur évoque comment la langue bretonne fut anéantie progressivement et je me suis alors souvenu ce que ma grand-mère me racontait, les enfants punis à l'école parce qu'ils parlaient bretons, condamnés à rester dans la cour de la récréation sous la pluie battante avec une pancarte humiliante autour du cou : « je ne parlerai plus breton ».

Nous apprenons que le patronyme Le Clézio provient du mot « Cleuziou », qui signifie en breton : talus, ces talus détruits par l'agriculture intensive qui a dévasté progressivement les paysages bretons. L'écrivain s'en révolte aussi...

Le second conte, L'enfant et la guerre, est antérieur au premier texte, dans la vie de l'écrivain. Il offre les premiers souvenirs de la vie de J.M.G. Le Clézio. Ils sont terribles puisque ce sont des souvenirs de violence. Des bombes qui tombent du ciel comme de la pluie... C'est la fin de la guerre, mais les fins de guerre sont parfois pires que leurs débuts...

L'auteur nous révèle que cette enfance fut « une peur sans visage, sans nom, sans histoire ».

Est-ce la magie de la mémoire, savoir oublier ce qui fut horrible, savoir trier dans l'horreur et trouver l'écho d'une fête dans le petit village de Sainte-Marine, des enfants qui crient sur une barge entre deux quais, entre deux rives, se jettent de l'eau à gorges déployées ? Plus loin c'est un champ de blé qui ondule face à l'océan, comme un prémices au mouvement de l'océan.

« Les enfants ne savent pas ce qu'est la guerre ». Comme cette phrase est douce et douloureuse...

Ce n'est ni une confession, ni un album de souvenirs. Ce n'est pas une autobiographie de l'auteur, il s'en défend farouchement. Il se défend de délivrer un récit chronologique, car « les souvenirs sont ennuyeux, et les enfants ne connaissent pas la chronologie ». Ce n'est qu'une chanson bretonne, quelque chose qui revient dans la mémoire comme un refrain, un air entêtant qui ne vous lâche plus, jusqu'à l'obsession, un kan ha diskan comme on dit ici, le mystère de la Bretagne et de l'enfance en même temps...

Ces retrouvailles avec J.M.G. Le Clézio m'ont étonné. Agréablement surpris. J'ai l'impression que cet auteur auquel je suis attaché depuis longtemps, pour l'avoir également rencontré dans une librairie brestoise en 1995 à l'occasion de la dédicace d'un de ses romans, La Quarantaine, se délivre plus que jamais, laissant tomber le voile sur un pan intime de son existence qui a, je pense, forgé et dicté son esprit créateur à jamais. C'est pour moi un coup de coeur et je tenais à vous le partager...
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Tempête : Deux novellas

Simplicité et humilité.



Pas facile : le lecteur est parfois ridiculement exigeant et l'écrivain pompeusement vaniteux.



La simplicité que j'ai cru retrouver chez l'auteur, c’est banal, mais elle me parait synonyme d'authenticité.



D’aucuns pourraient lui reprocher d'être, dans ses livres, dans son style, comme dans ses prises de position politiques, pétri de bons sentiments et disons-le pour reprendre cette rhétorique caricaturale dans la « bien-pensance ». 



***



Qu’est-ce qui redonne un sursis à un homme venu sur une île pour mourir dans le tumulte des flots ? La douceur. C'est encore la douceur d'une mère pour sa fille qui console et permet à cette dernière de prendre son envol.



Cette première novella à deux voix est effectivement d'une grande douceur, ce qui n’est pas synonyme de tendresse.



Tout de même, quelques incohérences dans certains termes prononcés par une gamine de 13 ans… Mais ce qui est intéressant dans un récit à deux voix c'est qu'on se rend compte que nous nous voyons comme un soleil au milieu de sa petite galaxie. C'est égotique. Les événements ont une signification différente pour les deux personnes qui les vivent mais également un degré d'importance qui diffère mais malgré cela notre mémoire c’est les autres.



A contrario, cela nous interpelle : peut-on encore se fier au roman à une voix ? Le narrateur peut toujours nous mentir, s’exagérer les choses, omettre certains détails. Cette technique narrative est formidable à tous ces égards.



La seconde novella, sur le parcours d’une jeune fille sans famille, est-elle aussi d’une simplicité et d’une beauté dans laquelle on se glisse aussi facilement que l’auteur a pu se glisser dans la peau d’une jeune adolescente en toute vraisemblance et avec une attention aux peines et souffrances ainsi qu’aux éclaircies où l’espoir renaît.



***



Chez J.M.G Le Clézio, il y a la tempête bien sûr, les gifles, le grondement des vagues, mais in fine c’est la douceur qui sauve.



Qu’en pensez-vous ?

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L'Africain

J.M.G le Clézio est l'auteur de L' Africain , un roman où l'auteur évoque son enfance passée en Afrique et sa vie en France en compagnie de sa mère. L'auteur a vécu loin de son père médecin en Afrique, au Cameroun . Il est marqué par les beaux paysages africains et l'exotisme régnant . Tout cela est décrit de fort belle manière , de façon magique. On sent que la beauté de continent l'a fortement empreingnée.Au passage, il évoque sa relation avec sa mère à laquelle il est fort attachée. L'auteur nous apprend

l'engagement anti-colonial de son géniteur. A la retraite, le père rentre en France mais désabusé.

Un très beau et bon roman écrit savamment et dont la lecture est plus que captivante.
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Gens des nuages

Très beau voyage aux confins du désert marocain réalisé par Jemia et JMG le Clézio, davantage pèlerinage que voyage, puisqu'ils cheminent sur les traces des ancêtres de Jemia.



Ce texte, magnifiquement écrit, dévoile une multitude d'émotions de ses auteurs, révélées poétiquement, naturellement, simplement. ll coule comme le sable du désert entre les doigts, comme l'eau si rare dans la vallée de la Saguia el Hamra, il est porté par ce vent des sables qui a dicté l'ordonnancement des plantations et des constructions.



Les légendes ont leur place dans cette découverte et elles viennent à point lui conférer un dimension quasi mystique en parfait accord avec l'immensité désertique.



Deux parties m'ont particulièrement accroché. D'abord, celle sur le Tombeau de Sidi Ahmed el Aroussi, où le recueillement prime sur toute description, où seules les stèles et le vent parlent, où soleil et étoiles jouent une partition de lumière. Et puis, il y a cette anecdote de la cruche cassée, le désarroi de la femme ne pouvant puiser l'eau et le miracle. Cette femme n'est pas sans rappeler une samaritaine rencontrant un homme du nom de Jésus.



Ensuite, le Rocher, météorite précipitée sur la vallée de la Saguia el Hamra? Les auteurs ressentent un éblouissement plus que visuel lorsqu'ils atteignent et restent "le plus longtemps" qu'ils ont pu sur cette table, regard et esprit perdus sur cette vallée. Ils sont dans le vent, le sable, le ciel et savent transmettre au lecteur leur état émotionnel dans cet accomplissement de leur voyage.



L'ouvrage est agrémenté de photographies de Bruno Barbey dont les couleurs d'ocre et de bleu viennent donner une réalité encore plus prenante au récit de Jemia et JMG le Clézio.

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