Jacques AUDIBERTI Un siècle d'écrivains : Des tonnes de semences (DOCUMENTAIRE, 1998)
L'émission « Un siècle d'écrivains », numéro 158, intitulée « Des tonnes de semences », diffusée sur France 3, le 08/04/1998, et réalisée par Marie-Louise Audiberti et Philippe Condroyer.
Un baiser apaise la faim, la soif. On y dort.On y habite. On y oublie.
Bellenature. - Je veux dire qu'elle porte un grand manteau de berger. Elle est peut-être nue sous ce manteau, et armée.
Félicien. - Si elle est nue, elle est armée.
(La fête noire)
La longue et froide Henriette était l’esclave de la moue que dessinaient ses lèvres dès qu’elle se mettait à parler. La moue d’un perpétuel délit, d’un renoncement triste et moqueur. Elle était toute entière marquée par ce détail de son apparence, et, par lui, sans cesse repoussée aux renfrognures, contaminée en défiance. Sa bouche eût-elle pris, dans la parole, une autre forme, que la fille Laclef, peut-être, se fût joyeusement déliée en complaisances d’amour et de feu envers la vie.
Stèle aux mots (extrait)
Les hommes, fleuve, un seul, tous les énonce, flot.
Un seul, dans sa mémoire enceinte de silence,
entend assermenter...vitraux...gémir...balance...
tant de mots, tant de mois qu'il borne et qu'il éclôt.
Le temps vide les mots de leur gomme nacrée
pour qu'elle écrive ailleurs des infinis finis.
Mais les carricks du verbe et ses cobalts vernis
me restent, cavaliers dans la hutte sacrée.
Tout de suite dressez le sonore menhir,
quand même il s'ajustât au profond de la tombe!
Grains de la langue, qui, pourtant, par vous, succombe,
vous consentez l'épi, l'azurable avenir….
Si je meurs, qu'aille ma veuve
à Javel près de Citron.
dans un bistrot elle y trouve
à l'adresse du Beau-Brun
trois musicos de fortune
qui lui joueront- mi ré mi -
l'air de la petite Tane
qui m'aurait peut-être aimé
puisqu'elle n'offrait qu'une ombre
sur le rail des violons.
Mon épouse, ô ma novembre,
sous terre les jours sont lents.
Le cirque est reparti, laissant un rond dans l’herbe
Et puis moi je suis seule et je tourne dedans
Je tourne comme un vieux cheval. Adieu, superbe,
adieu vorace instant quand nous marchions ardents.
DU COTE DE LARIBOISIERE
J'aime les coups de poings luisants
comme la cuisse des fermières,
Mort, par eux, dans quelque six ans,
J'emporterai sous la trémière
le cri nocturne des brisants,
l'ongle des bêtes non premières
et jusqu'au poil des paysans
mais aussi le sel des lumières.
Le plaisir du meurtre et son contenu résident dans l’attente et dans la menace.
La tempête s'emballait. Vainement elle cherchait, de ce qui l'exaspère, le difficile secret dans les mollesses qu'elle chavire. La caravelle, de toutes ses forces, se contractait. Elle se bouchait les oreilles au bruit de ses mâchoires dont éclate l'os délicat. Cernée par les vagues ameutées, elle leur demandait, pourtant, de la porter, de la masquer. Perdue dans une bave massive, elle frissonnait aux jambes chaque fois qu'une gifle liquide l'écrasait dans l'élasticité diluvienne, laquelle prenait sa part de la bourrade allongée et, de plus belle, s'ébouriffait.
CRÉATION
Extrait 2
La salive velue
atteint le monde vert
où lente se dilue
l'ardeur de Lucifer.
La langue s'élabore
parmi les moucherons.
Déjà la corrobore
ce que nous nommerons
tandis que telle éponge
couve, rêve lacté,
Michel-Ange qui songe
dans sa futurité.
…