Jacques Hassoun: Contrebandiers de la mémoire
Mais comment la haine - un affect éprouvé - a-t-elle fait perdre au verbe avoir tout sens de possession ? Avoir non plus de la haine, mais la haine, comme on peut avoir soif ou faim, ne suppose-t-il pas que cet affect relève désormais autant de la pulsion que de la passion ?
("De la haine")
Aussi ce livre sera-t-il dédié à tous ceux qui ignorent la vie passionnée de cette communauté, mais surtout aux Égyptiens – coptes et musulmans – qui seraient amenés à oublier qu’à leurs côtés avaient vécu nombreux ceux que l’on continue à appeler les juifs d’Égypte, et qui continuent eux-même à se désigner comme tels.
Pourtant, même si cela pourrait nous combler d’aise, il serait inepte de parler d’un juif d’Égypte trans-historique, immuable. Les juifs d’Égypte ont intégré, absorbé, les cultures et les invasions, les schismes et les hérésies. Ceux que leur pays – l’Égypte – a subis. Ceux que leur communauté a subis. Ainsi LE Juif d’Égypte serait une fiction, une licence poétique née de la dispersion d’une minorité. Sur sa terre natale, ce juif était pluriel. Pluriel dans le temps. Pluriel dans la société dans laquelle il s’inscrivait.
Le mouvement national égyptien n’allait pas tarder, à la charnière du siècle,à tourner autour de deux pôles principaux : d’une part un nationalisme spécifiquement égyptien se voulant non-confessionnel, et de l’autre, un renouveau religieux transcendant la patrie égyptienne, et tendant quelques fois à se rapprocher du panarabisme, dans lequel l’ensemble du monde musulman, et encore davantage arabe, aller plonger de plus en plus au fil du temps.
On ne saurait assez souligner, au plan psychologique, comment cette obligation morale de se montrer »loyal » au maître du moment devait placer les Juifs – comme ce fut le cas pour toutes les minorités ethniques ou confessionnelles au cours de l’histoire – dans une situation d’impasse, et en porte-à-faux, chaque fois qu’un renversement de dynastie ou de régime modifiait radicalement la situation.
Deux tendances contradictoires, se sont opposées concernant l’histoire du Judaïsme à l’ombre tutélaire de l’Islam. Certains n’ont pas hésité à la considérer aussi dramatique et cruelle que celle du judaïsme en terre chrétienne. D’autres, à l’opposé, l’ont dépeinte avec les couleurs idylliques d’une parfaite harmonie. L’historien objectif ne peut qu’infirmer ces deux impostures.